Portrait épicycloïque du jour

 Jules Verne, le Docteur Ox, 1966, couverture

«Quel âge avait cet être singulier ? Personne n’eût pu le dire ! On devinait qu’il devait exister depuis un grand nombre de siècles, mais voilà tout. Sa grosse tête écrasée reposait sur des épaules dont la largeur égalait la hauteur de son corps, qui ne dépassait pas trois pieds. Ce personnage eût fait bonne figure sur un support de pendule, car le cadran se fût naturellement placé sur sa face, et le balancier aurait oscillé à son aise dans sa poitrine. On eût volontiers pris son nez pour le style d’un cadran solaire, tant il était mince et aigu; ses dents, écartées et à surface épicycloïque, ressemblaient aux engrenages d’une roue et grinçaient entre ses lèvres; sa voix avait le son métallique d’un timbre, et l’on pouvait entendre son cœur battre comme le tic-tac d’une horloge. Ce petit homme, dont les bras se mouvaient à la manière des aiguilles sur un cadran, marchait par saccades, sans se retourner jamais. Le suivait-on, on trouvait qu’il faisait une lieue par heure et que sa marche était à peu près circulaire.»

Jules Verne, le Docteur Ox, Paris, Le livre de poche. Jules Verne, 1966, 329 p. et un cahier non paginé sur Jules Verne, p. 139.

Un nouveau membre de l’École de la tchén’ssâ

L’École de la tchén’ssâ

Le 19 mai 2012, l’Oreille tendue enfantait un mouvement littéraire, l’École de la tchén’ssâ. Ce texte a eu des échos inattendus (voir ici et ).

De quoi s’agit ? Rappel de la définition originale.

Cette école est composée de jeunes écrivains contemporains caractérisés par une présence forte de la forêt, la représentation de la masculinité, le refus de l’idéalisation et une langue marquée par l’oralité.

[…]

Il n’est pas nécessaire d’être un homme pour faire partie de l’École de la tchén’ssâ, mais plusieurs personnages que représentent ses membres sont des hommes, saisis dans un décor non urbain, souvent un fusil à la main. Parfois, ils se contentent d’une canne à pêche.

L’écriture réaliste des auteurs tchén’ssâ ne recule devant aucune matière. Le sang coule dans leurs textes au moins autant que l’huile à moteur. […] Ce réalisme n’est évidemment pas incompatible avec la création de mythologies personnelles ou avec des passages proches de la littérature fantastique.

Elle s’applique parfaitement au roman Panache. 1. Léthargie de Sylvain Hotte (né en 1972). Ça se déroule au Québec, dans un village anonyme de la Côte-Nord et dans la forêt qui l’entoure, où Alexandre McKenzie, le narrateur, croise un orignal au panache impressionnant. Ce jeune hockeyeur étoile de quinze ans découvre que la vie autour de lui n’est pas toujours rose (alcoolisme, toxicomanie, pauvreté, dépendance économique). Il est à la recherche de modèles masculins, entre son père autochtone à la merci des compagnies forestières et un ami mécanicien toujours en train de bidouiller voitures, bateaux, quatre-roues et ski-doos. Alexandre utilise constamment la langue populaire québécoise, avec ses particularismes (on rince ou on torche son moteur, quand on sort du chemin c’est pour prendre le clos) et son recours à l’anglais, adapté en français (chiller, shooter, spiner) ou pas (game, moves, net, wheely, weirdo, etc.).

Et il y a bien sûr ceci :

Je me suis assis sur un tréteau de bois pendant que Michel rangeait quelques outils. J’ai, évidemment, remarqué la nouvelle Miss Octobre du calendrier Stihl : une fille en maillot de bain rose tenant une grosse scie à chaîne, à cheval sur un tronc d’arbre (p. 44);

J’ai trouvé refuge dans le coin chasse et pêche [du Canadian Tire] où j’ai regardé quelques cannes en bambou. Vraiment belles. L’an prochain, je veux une belle canne à moucher pour aller au saumon (p. 147).

C’est trop beau pour être vrai.

 

Référence

Hotte, Sylvain, Panache. 1. Léthargie, Montréal, Les Intouchables, coll. «Aréna», 1, 2009, 230 p.

Sylvain Hotte, Panache. 1. Léthargie, 2009, couverture

Modeste proposition de moratoire sportivo-littéraire

Le 1er avril dernier, rendant compte du livre le Hockey vu du divan (2012) de Simon Grondin, l’Oreille tendue évoquait un moratoire sur le découpage en trois périodes des ouvrages (ou des films) portant sur le hockey. Elle revient à la charge.

En effet, ce type de découpage est trop fréquent. Des exemples ?

Claude Dionne, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! (2012).

Alain M. Bergeron, la Coupe du hocquet glacé (2010).

Gaël Corboz, En territoire adverse (2006).

Luc Cyr et Carl Leblanc, Mon frère Richard (1999).

Raymond Plante, Jacques Plante (1996).

Michel Bujold, l’Amour en prolongation (1990).

André Simard, la Soirée du fockey (1972).

Cette liste est sûrement incomplète. Bref : on arrête svp.

 

[Complément du 17 août 2018]

Les trois prises du jour

Le Chandail de hockey / The Hockey Sweater (2006).

Bernard Pozier, Les poètes chanteront ce but (1991).

Yves Tremblay, Guy Lafleur. L’homme qui a soulevé nos passions (2013).

 

[Complément du 29 décembre 2018]

Deux autres ? Deux autres.

Catellier, Maxime, Mont de rien. Roman en trois périodes et deux intermèdes (2018).

Baruchel, Jay, Born into It. A Fan’s Life (2018).

 

[Complément du 5 novembre 2021]

Ce qui affectait les livres et les films touche maintenant les menus, par exemple à la magnifique exposition consacrée à Serge Lemoyne. Ce n’est pas mieux.

Café Québecor, Maison des beaux-arts du Québec, 5 novembre 2021

 

[Complément du 22 mars 2023]

On apprend, dans la Presse+ du jour, que le Cirque du Soleil est en train de concevoir un spectacle sur Guy Lafleur. Comment sera-t-il découpé ? «Guy ! Guy ! Guy ! sera structuré en suivant les trois périodes d’un match de hockey […]». Personne ne sera étonné.

 

[Complément du 20 novembre 2024]

Un mémoire de maîtrise découpé en trois périodes ? Celui-ci.

 

[Complément du 16 juin 2025]

Le collectif la Vraie Dureté du mental (2009) offre la totale : trois périodes, une prolongation, une fusillade.

 

[Complément du 20 juin 2025]

Le roman Twenty Miles (2007), de Cara Hendley, raconte le parcours hockeyistique d’une jeune femme. Il n’est pas explicitement découpé en trois périodes. Il compte toutefois trois parties, numérotées 1, 2, 3…

 

Références

Baillargeon, Normand et Christian Boissinot (édit.), la Vraie Dureté du mental. Hockey et philosophie, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. «Quand la philosophie fait pop !¢, 2009, xiii/262 p. Ill. Préface de Jean Dion.

Baruchel, Jay, Born into It. A Fan’s Life, Toronto, Harper Avenue, 2018, 249 p.

Bergeron, Alain M., la Coupe du hocquet glacé. Miniroman de Alain M. Bergeron — Fil et Julie, Québec, Éditions FouLire, coll. «Le chat-ô en folie», 9, 2010, 45 p.

Bujold, Michel, l’Amour en prolongation. Poésies hérotiques, Montréal, Éditions d’Orphée, 1990, s.p.

Catellier, Maxime, Mont de rien. Roman en trois périodes et deux intermèdes, Montréal, L’Oie de Cravan, 2018, 123 p.

Le Chandail de hockey / The Hockey Sweater, cédérom, 3D Courseware/ Les Éditions 3D, 2006. Conception de Donna Mydlarski, Dana Paramskas, André Bougaïeff et Larry Katz.

Corboz, Gaël, En territoire adverse, Saint-Lambert, Soulières éditeur, coll. «Graffiti», 37, 2006, 164 p.

Cyr, Luc et Carl Leblanc, Mon frère Richard, documentaire de 53 minutes, 1999. Production: Ad Hoc Films.

Dionne, Claude, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! Roman, Montréal, VLB éditeur, 2012, 271 p.

Grondin, Simon, le Hockey vu du divan, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, 2012, 214 p. Ill.

Hedley, Cara, Twenty Miles, Toronto, Coach House Books, 2007, 205 p.

Lemay, Clarence, «Chronique sportive ou politique ? Le Canadien de Montréal et la crise constitutionnelle canadienne dans La Presse, Le Devoir et la Gazette (1976-1995)», Ottawa, Université d’Ottawa, 2020, vii/186 p. http://dx.doi.org/10.20381/ruor-25327

Plante, Raymond, Jacques Plante. Derrière le masque, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Les grandes figures», 9, 1996, 221 p. Ill.

Pozier, Bernard, Les poètes chanteront ce but, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Radar», 60, 1991, 84 p. Ill. Réédition : Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2004, 102 p.

Simard, André, la Soirée du fockey. Le temps d’une pêche. Le vieil homme et la mort, Montréal, Leméac, coll. «Répertoire québécois», 40, 1974, 92 p. Préface de Normand Chouinard.

Tremblay, Yves, Guy Lafleur. L’homme qui a soulevé nos passions, Brossard, Un monde différent, 2013, 208 p. Ill. Préface de Guy Lafleur.