Accouplements 241

François Hébert, Si affinités, 2023, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Ducharme, Réjean, l’Océantume (1968), dans Romans, Paris, Quarto Gallimard, 2022, 1951 p., p. 165-423. Édition établie et présentée par Élisabeth Nardout-Lafarge. Vie & œuvre par Monique Bertrand et Monique Jean.

«Nous y sommes. Soyons-y !» (p. 312)

Hébert, François, Holyoke. Les ongles noirs de Pierre. Roman, Montréal, Quinze, coll. «Prose entière», 1978, 300 p.

«nous y sommes / n’y soyons pas !» (p. 162)

Hébert, François, le Rendez-vous. Roman, Montréal, Quinze, coll. «Prose entière», 1980, 234 p.

«Ben oui, mon vieux, que veux-tu ? Comme dit Ducharme, “nous y sommes, soyons-y”. Le Québec, et puis merde» (p. 114).

Hébert, François, Histoire de l’impossible pays. Nommé Kzergptatl, de son roi Kztatzk premier et dernier et de l’ennemi de celui-ci le sinistre Hiccope 13 empereur du Hiccopiland. Roman, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, 187 p.

«Nous y sommes, dans le cosmos; soyons-y» (p. 144).

 

[Complément du 12 juin 2024]

Labelle, François-Simon, «Édition critique de la correspondance de Jacques Ferron et François Hébert», Montréal, Université de Montréal, mémoire de maîtrise, 1998, vii/338 p. Dir. : Ginette Michaud. https://hdl.handle.net/1866/30017

«Nous y sommes, soyons-y, comme dirait ce cher Ducharme» (lettre de François Hébert à Jacques Ferron, 26 novembre 1980, p. 82).

Hébert, François, Pour orienter les flèches. Notes sur la guerre, la langue et la forêt, Montréal, Trait d’union, coll. «Échappées», 2002, 221 p.

Philippe Avro «est venu nous parler comme à des vieux amis, nous dire en toute franchise et simplicité tout le mal qu’il pensait du monde moderne et des importants de ce monde, et l’importance d’être là où l’on est, le temps qu’on y est» (p. 32).

Hébert, François, Dans le noir du poème. Les aléas de la transcendance, Montréal, Fides, coll. «Nouvelles études québécoises», hors série, 2007, 214 p.

«Dans cet esprit, aucune distance ne me sépare du monde et d’autrui, ne m’en distingue, protège, isole, ne permet d’en parler froidement, en connaissance de cause. C’est le noir. Nous y sommes, et comme disait l’autre : soyons-y !» (p. 9-10)

 

Illustration : François Hébert, «Ducharme à bicyclette», collage, 2023

Nostalgie culinaire

Restaurant Bens, Montréal, enseigne, non datée, Montréal Signs Project

Quoi qu’on en pense et quoi qu’on en dise, l’Oreille tendue a déjà été jeune. À cette époque, il lui arrivait relativement souvent de fréquenter le restaurant montréalais Bens, aujourd’hui disparu. L’endroit lui manque.

Quelle ne fut pas sa joie de voir Bens évoqué par François Hébert, dans son livre Homo plasticus, en 1987, dans le «Chant dixième» :

Bon patron, au restaurant j’invite tous mes employés.
Comme c’est eux qui paient l’addition (ainsi que mon loyer),
Ils choisissent un établissement pas cher : chez Ben.
Pour ceux qui ne le savent, c’est un délicatessen.
[…]
J’entame mon smokède-méate ainsi que le débat, sans ambages. (p. 19)

Ces vers appellent trois commentaires.

Pour la rime («Ben» / «délicatessen»), l’auteur a sacrifié une lettre finale : Bens est devenu Ben (et restera Ben; voir p. 30).

Le «smokède-méate» est, bien sûr, un smoked meat, spécialité montréalaise (et de Bens).

Le dernier vers contient un zeugme.

Bon appétit !

 

P.-S.—Vous avez entièrement raison : l’Oreille a déjà reconnu cette nostalgie.

P.-P.-S.—Dans ses archives, l’Oreille retrouve cette note, vieille de… 35 ans : «Chez Bens, parmi les photos dédicacées de sportifs et autres vedettes montréalaises, il y a un “Coin des poètes / Poets’ Corner”. Le mercredi 23 août 1989, on y trouvait, au milieu de quelques anglophones (Louis Dudek, A.M. Klein, etc.), des poètes francophones : Gaston Miron, Paul Chamberland (profil pharaonique), Jean Éthier-Blais (!), Sylvie Sicotte et… Nicole Brossard ! Comment imaginer Nicole Brossard mangeant un Bens Special ?»

 

[Complément du 29 octobre 2025]

Dans le roman d’espionnage Jour de clarté (2025), Laurence La Palme — c’est un pseudonyme — a aussi du mal avec le nom du restaurant : «Cette fois-ci, il me devrait davantage qu’un souper chez Ben’s» (p. 9).

 

Illustration : Montréal Signs Project

 

Références

Hébert, François, Homo plasticus, Québec, Éditions du Beffroi, 1987, 130 p.

La Palme, Laurence, Jour de clarté. Roman. Tome 1, Montréal, Le Cheval d’août, 2025, 140 p.

Le zeugme du dimanche matin et de William S. Messier

William S. Messier, le Miraculé, 2024, couverture

«Les semaines qui précèdent l’opération, je pars souvent seul après l’école avec rien d’autre que mon Discman et ma mauvaise humeur. Je marche longtemps. Je tente de chasser des pensées obsédantes : toutes les façons dont j’aurais pu mourir.»

William S. Messier, le Miraculé. Récit, Montréal, Le Quartanier, série «QR», 187, 2024, 162 p., p. 111.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Maigret vu de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson

Georges Simenon, Maigret à New York, 1947, couverture

Il y a souvent, dans les romans de Georges Simenon, des allusions à la méthode bien peu orthodoxe de son personnage fétiche, le commissaire Jules Maigret.

Dans Maigret à New York, rédigé en 1946, Simenon ne se contente pas d’allusions; la méthode de Maigret est un des leitmotive du roman.

Désormais à la retraite, l’ex-commissaire s’est laissé embarquer dans une affaire familiale américano-française. Ne maîtrisant pas bien l’anglais, il a du mal à faire son travail, malgré l’aide de collègues états-uniens. Comment procède-t-il ?

Il n’a jamais d’idées (p. 37). Il flâne : «il avait toujours été un flâneur» (p. 67). Il ne sait pas «exactement» ce qu’il cherche (p. 87). Il ne s’intéresse pas particulièrement aux «faits» (p. 122) et aux «idées» précis (p. 143). Il se dit «pas intelligent» (p. 142) et il refuse de se «faire une idée sur une affaire avant qu’elle soit terminée» (p. 142). Il se laisse porter par ce qu’il voit, entend, ressent :

Je nage, lieutenant… Sans doute nageons-nous tous les deux. Seulement, vous, vous luttez contre le flot, vous prétendez aller dans une direction déterminée, alors que moi je me laisse aller avec le courant en me raccrochant par-ci par-là à une branche qui passe (p. 143).

Arrive pourtant un moment où les choses prennent forme dans son esprit : il entre alors «en transe» (p. 145), il se trouve «dans le bain» (p. 145).

Pendant des jours, parfois des semaines, il pataugeait dans une affaire, il faisait ce qu’il y avait à faire, sans plus, donnait des ordres, s’informait sur les uns et sur les autres, avec l’air de s’intéresser médiocrement à l’enquête et parfois de ne pas s’y intéresser du tout. […] Puis soudain, au moment où on s’y attendait le moins, où on pouvait le croire découragé par la complexité de sa tâche, le déclic se produisait. […] les personnages du drame venaient, pour lui, de cesser d’être des entités, ou des pions, ou des marionnettes, pour devenir des hommes. […] Tel individu, à un moment de sa vie, dans des circonstances déterminées, avait réagi, et il s’agissait, en somme, de faire jaillir du fond de soi-même, à force de se mettre à sa place, des réactions identiques (p. 145-147).

Rien de compliqué : «Il ne fallait pas courir après les vérités qu’on voulait découvrir, mais se laisser imprégner par la vérité pure et simple» (p. 149-150); «Se rendre compte, tout simplement» (p. 151); «Seulement, pour comprendre cette simplicité-là, il fallait aller tout au fond et non se contenter d’explorer la surface» (p. 152).

Ça ne marche pas trop mal.

P.-S.—Pourquoi Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson ? Le roman y a été rédigé.

 

Référence

Simenon, Georges, Maigret à New York, Paris, Presses de la Cité, coll. «Le livre de poche», 14242, 2019, 189 p. Édition originale : 1947.