Accouplements 219

Naissance d'un pont et Madame Bovary, couvertures, collage

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Flaubert, Gustave, Madame Bovary, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «GF», 86, 1966, 441 p. Chronologie et préface par Jacques Suffel. Édition originale : 1857.

«Une fois, au milieu du jour, en pleine campagne, au moment où le soleil dardait le plus fort contre les vieilles lanternes argentées, une main nue passa sous les petits rideaux de toile jaune et jeta des déchirures de papier, qui se dispersèrent au vent et s’abattirent plus loin, comme des papillons blancs, sur un champ de trèfles rouges tout en fleur» (p. 270).

Kerangal, Mailys de, Naissance d’un pont, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 5339, 2020, 336 p. Édition numérique. Édition originale : 2010.

«Avant de redémarrer la voiture, Shakira avait pris soin d’essuyer le sable collé sur ses pieds à l’aide de mouchoirs en papier glissés entre ses doigts de pied, puis froissés d’une pression sèche et jetés par la vitre, un par un, la boîte entière bientôt dilapidée. Sanche avait suivi du regard les kleenex blancs qui flottaient en l’air, voletaient doucement, déformés au moindre souffle, se redéposaient enfin au sol, maculant peu à peu tout le paysage.»

 

P.-S.—Toujours dans Naissance d’un pont : «un mouflon blanc aux grosses cornes ambrées recourbées en arceaux comme la coiffure à rouleaux de Mme Bovary».

P.-P.-S.—En sa jeunesse, l’Oreille tendue a consacré quelques lignes à la scène flaubertienne dite «du fiacre» : Melançon, Benoît, «Faire catleya au XVIIIe siècle», Études françaises, 32, 2, automne 1996, p. 65-81. https://doi.org/1866/28660

L’oreille tendue de… Benjamin Hoffmann

Benjamin Hoffmann, «Évaporée», 2023, titre

«Sans me regarder ni répondre à mes questions, elle s’est installée aussitôt au comptoir, elle a commandé deux whiskys à une serveuse vêtue d’un T-Shirt Nirvana alors que dans les haut-parleurs de la petite salle bondée, c’étaient les Pixies qui passaient un peu trop fort, et Namiko a dû forcer sa voix pour se faire entendre au téléphone qu’elle a sorti de sa poche, parlant en japonais avec un débit continu et, m’a-t-il semblé, un ton plaintif, presque implorant, tandis que la jeune femme apportait nos verres avec une expression trop absente pour ne pas révéler qu’elle tendait l’oreille à ce que disait Namiko et qu’incapable de rien comprendre à son propos, à ce qui se passait, je m’accrochais à la seule parole qu’il m’était possible d’identifier dans le flot continu de son discours où elle revenait régulièrement, une parole qu’elle a fini par répéter une dernière fois comme si elle était le point culminant de ce qui ressemblait fort à une plaidoirie : nikagetsu, “deux mois”.»

Benjamin Hoffmann, «Évaporée», article électronique, AOC, 7 mai 2023.

Le zeugme du dimanche matin et d’Éric Chacour

Éric Chacour, Ce que je sais de toi, 2023, couverture

«Elle recevait les visites minutées de ceux que l’alliance improbable des règles de bienséance et d’un instinct voyeuriste conduisaient à votre palier. Ils venaient avec leurs formules convenues et quelques souvenirs de ton père soigneusement dépoussiérés pour l’occasion, jugeaient intérieurement de votre état d’accablement. Ils scrutaient le sillon obscur creusé sous vos yeux par la fatigue, le frémissement s’emparant de vous au moment où ils prononçaient le nom du défunt, puis repartaient avec le goût mêlé des pâtisseries à la pistache et du devoir accompli. Pour certains, la mort est résolument ce que la vie peut offrir de plus divertissant.»

Éric Chacour, Ce que je sais de toi, Québec, Alto, 2023, 296 p. Édition numérique.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)