Les Lumières du Devoir, prise deux

Goethe, les Souffrances du jeune Werther, éd. 1965, couverture

Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a récemment émis un avis au sujet d’un roman (posthume) de François Blais, le Garçon aux pieds à l’envers (2022) : il déconseille aux enseignants, aux bibliothécaires et aux libraires d’en faire la promotion Motif ? Ce roman pourrait inciter des adolescents à se suicider.

Le quotidien le Devoir, dans son édition du 5 janvier, commente l’affaire :

On appelle cet effet d’entraînement vers l’abîme le syndrome de Werther, à cause des effets du roman de jeunesse de Goethe. Les souffrances du jeune Werther (1774), après la mort volontaire du héros en mal d’amour, avait entraîné une épidémie de suicides.

C’est aller un peu vite en affaire. Les chercheurs sont loin de s’entendre sur la réalité de cette «épidémie de suicides». Certains y croient (Nicholas Karadaras, en 2022); d’autres sont plus réservés (Jan Thorson et Per-Arne Öberg, en 2003).

Coupons la poire en deux : «Les souffrances du jeune Werther (1774), après la mort volontaire du héros en mal d’amour, aurait entraîné une épidémie de suicides.»

P.-S.—«Prise deux» ? Il y eut, en effet, une première prise.

 

Références

Blais, François, le Garçon aux pieds à l’envers. Les chroniques de Saint-Sévère, Montréal, Fides, 2022, 320 p.

Kardaras, Nicholas, «How Goethe’s Sorrows of Young Werther Led to a Rare Suicide Cluster. Dr. Nicholas Kardaras on the Dangers of Social Contagion», article électronique, Literary Hub, 15 septembre 2022. https://lithub.com/how-goethes-sorrows-of-young-werther-led-to-a-rare-suicide-cluster/

Thorson, Jan et Per-Arne Öberg, «Was There a Suicide Epidemic After Goethe’s Werther ?», article électronique, Archives of Suicide Research, 7, 1, 2003. https://doi.org/10.1080/13811110301568

Le zeugme du dimanche matin et de Tristan Saule

Tristan Saule, Jour encore, nuit à nouveau, 2023, couverture

«OK, comme tu veux, dit Fabian, laissant Loïc avec son mensonge et son sandwich, dont on se demande bien où il va le manger.»

Tristan Saule [pseudonyme de Grégoire Courtois], Jour encore, nuit à nouveau. Roman. Chroniques de la place carrée. III, Montréal, Le Quartanier, coll. «Parallèle», 04, 2023, 293 p., p. 84.

P.-S.—L’Oreille tendue apprécie fort le travail de cet auteur. Voir ceci, par exemple.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Tristan Saule

Tristan Saule, Jour encore, nuit à nouveau, 2023, couverture

«Au feu rouge, il s’assied sur le banc, dos au massif de fleurs et au parterre de gazon qui embellissent ce carrefour passant où des semi-remorques freinent et redémarrent dans un grondement assourdissant. Loïc n’y prête pas attention. Les voix ne s’arrêtent pas. Il lui suffit de tendre l’oreille et d’écrire» (p. 63).

«Loïc gare sa Golf dans la cour des parents. Le bruit des roues dans les gravillons l’apaise. Quand il sort de l’habitacle, il sent l’odeur des vaches, de leur bouse, qui fait enrager les Parisiens, et que ceux qui vivent ici ne sentent même plus. Il tend l’oreille machinalement. Quand il était enfant, le grésillement de la trayeuse était comme une horloge. Quand il se taisait, c’était l’heure de rentrer. Aujourd’hui, si la trayeuse ne fait plus de bruit, c’est parce que les voisins ont cessé d’élever des vaches laitières. Ils avaient une cinquantaine de têtes, pas assez pour que ce soit rentable, avec le cours des prix du lait. Ils se contentent des céréales» (p. 145-146).

«Plusieurs fois, Loïc a demandé au docteur Somard et à Nini s’ils avaient des nouvelles de Cloque. Ils n’en avaient pas. Tous deux lui conseillaient de cesser de penser à cet individu, de se concentrer sur lui-même, sur sa propre guérison. Loïc a dit : “Oui.” Loïc a dit : “D’accord.” Mais le soir, dans sa chambre, Loïc tend l’oreille, il pose sa main bien à plat sur la cloison et écoute. Peut-être qu’on lui ment» (p. 293).

Tristan Saule [pseudonyme de Grégoire Courtois], Jour encore, nuit à nouveau. Roman. Chroniques de la place carrée. III, Montréal, Le Quartanier, coll. «Parallèle», 04, 2023, 293 p.

 

P.-S.—L’Oreille tendue apprécie fort le travail de cet auteur. Voir ceci, par exemple.

Le zeugme du dimanche matin et de Catherine Éthier

Catherine Éthier, Une femme extraordinaire, 2022, couverture

«En trois femmes grises qui, de génération en génération, s’étaient transmis le sens du spectacle, nous lui répondîmes toutes en même temps, en ne tenant absolument pas compte que “Corinne-Gazaille-Micheline-Gisèle-Trottier-votre-manteau” feraient vibrer les osselets des oreilles diaphanes du vieillard en un ramassis de syllabes et d’autorité qui donne envie d’aller se cacher derrière les rideaux.»

Catherine Éthier, Une femme extraordinaire, Montréal, Stanké, 2022, 302 p., p. 17.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)