La connaissance de Joseph

Victor-Lévy Beaulieu, Jos Connaissant, 1978, couverture

Il est arrivé à l’Oreille tendue d’utiliser l’expression jos connaissant sans l’expliquer. Mea maxima culpa.

Laissons de côté le personnage de Victor-Lévy Beaulieu, pour nous intéresser à l’expression. Qu’est-ce qu’un jos connaissant ?

Léandre Bergeron, en 1980, avec cet usage si particulier de l’ordre alphabétique qui le caractérise, n’a pas d’article à «Jos connaissant», mais il en a un à «Connaissant» :

Connaisseur. Instruit. I est pas mal connaissant en médecine. Un Jos connaissant. — Se dit par moquerie de celui qui prétend en savoir plus que les autres (p. 144).

Pierre DesRuisseaux, à sa place, a un article sur «Jos Connaissant» :

Être un (grand, p’tit) Jos Connaissant. Aussi : Faire son (Faire son p’tit) Jos Connaissant. Faire son connaissant, son savant (p. 185).

L’auteur du Trésor des expressions populaires donne un exemple tiré de l’œuvre de Raymond Lévesque. Tous les dégoûts sont dans la nature.

L’Oreille tendue a ses propres exemples, tous péjoratifs.

Chez Marie-Hélène Poitras :

et puis si tu joues un peu trop au p’tit Jos connaissant, je te jure que tu feras pas long feu ici (p. 62).

Chez Patrick Nicol :

Mon ami bourgeois, mon Ti-Jos Connaissant, j’aurais souhaité que tu tiennes ton rang au lieu de tout abandonner (p. 96).

Chez Stéphanie Neveu et Laurent Turcot, qui privilégient la graphie Joe :

Celui qui, trop rapidement, veut se mettre au-dessus des autres, sans avoir discuté, échangé ou montré sa valeur par la modestie et la contenance est considéré comme un m’as-tu-vu ou un «Joe Connaissant» (p. 27).

Petit ou pas, évitez de vous transformer en Jos Connaissant. Vous aurez été prévenus.

P.-S.—Ce n’est pas la première fois qu’il est question de connaissance ici.

 

Références

Beaulieu, Victor-Lévy, Jos Connaissant. Roman, Montréal, VLB éditeur, 1978, 266 p. Édition originale : 1970.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Neveu, Stéphanie et Laurent Turcot, Vivre et survivre à Montréal au 21e siècle, Québec, Hamac, coll. «Hamac-carnets», 2016, 185 p. Ill. Préface d’Alexandre Taillefer.

Nicol, Patrick, Terre des cons. Roman, Montréal, La mèche, 2012, 97 p.

Poitras, Marie-Hélène, Griffintown, Québec, Alto, coll. «Coda», 2013, 209 p. Édition originale : 2012.

Onomastique de puck

Contrairement à la plupart des professeurs d’université, les sportifs ont très souvent droit à un surnom. Au hockey, Maurice Richard était Le Rocket; Jean Béliveau, Le Gros Bill; Georges Vézina, Le Concombre de Chicoutimi.

Une publicité lancée il y a deux jours évoque deux de ces surnoms.

https://www.youtube.com/watch?v=RAFMwULqBsQ

 

Patrick Roy parle d’un petit contenant de frites ? Bien sûr : Casseau est son surnom. Mario Tremblay se délecte par avance d’une tarte aux bleuets ? Qu’attendre de plus du Bleuet bionique ?

P.-S.—Pourquoi rassembler ces deux joueurs ? Parce que.

 

[Complément du 25 décembre 2021]

Version romanesque, chez Maxime Raymond Bock : «Morel a perdu son intérêt pour le hockey l’an dernier quand Peanut a échangé Casseau contre une caisse de pucks, lequel Casseau s’est empressé d’aller gagner la coupe dans les Rocheuses, avec feu les Nordiques par-dessus le marché. Un beau duo de perdants, Peanut et son Bleuet de coach» (2021, p. 281). Peanut est, bien sûr, Réjean Houle.

 

Référence

Raymond Bock, Maxime, Morel. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 325 p.

Divergences transatlantiques 063

Éric Plamondon, Aller aux fraises, 2021, couverture

Soit la phrase suivante, tirée de la nouvelle «Cendres» que vient de faire paraître Éric Plamondon :

Quand il avait fini de souper après son shift au moulin à veneer, Finger venait s’en jeter quelques-unes dans le dalot (p. 52).

Qu’est-ce que ce dalot ?

Il ne s’agit pas (tout à fait) de ceux dont parle le Petit Robert (édition numérique de 2018) : «Trou dans la paroi d’un navire, au-dessus de la flottaison, pour l’écoulement des eaux»; «Petit aqueduc en maçonnerie pratiqué dans un remblai pour l’écoulement des eaux.»

Ni de celui, lié à l’univers trépidant du bowling, présent dans Usito : «Creux, dépression qui reçoit une boule ayant quitté la piste de jeu avant d’atteindre les quilles.»

Notre dalot a bel et bien à voir avec le liquide, mais pas seulement les eaux. Dans s’en jeter quelques-unes dans le dalot ou dans se rincer le dalot, il relève du vocabulaire de l’imbibition.

On l’aura compris : ce dalot, comme tout gosier qui se respecte, est proche de la dalle et du gorgoton.

Santé !

 

Référence

Plamondon, Éric, «Cendres», dans Aller aux fraises. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 159, 2021, 106 p., p. 41-73.

Divergences transatlantiques 062

Chaussettes, détail

Qu’ils aient ou non besoin de fibres, les lecteurs québécois de l’Oreille tendue savent qu’ils peuvent manger leurs bas.

Ils savent aussi que, pour se détendre, ils ont le droit de se promener en pieds de bas. Exemple journalistique dans le quotidien le Devoir d’hier : «Les adieux de Terry DiMonte, l’animateur rock en pieds de bas.» Explication : «Chaque matin, en mettant les pieds dans les studios de [la station de radio] CHOM, coin Papineau et René-Lévesque, Terry DiMonte vide ses poches, retire sa montre, puis enlève ses chaussures.»

Exemples littéraires : dans le Sort de fille, on se promène «en pieds de bas» (p. 115); dans Six degrés de liberté, on «fait la file en pieds de bas» (p. 337).

Que dit le Petit Robert de cette pratique ? «Pied de bas : partie du bas qui recouvre le pied. Marcher en pieds de chaussettes, sans chaussures» (édition numérique de 2018).

Usito réconcilie tout le monde : «être en pieds de bas, de chaussettes».

À votre service.

P.-S.—On peut faire plus paradoxal (avec chaussettes, mais comme si pas) : être nu bas.

 

Références

Delisle, Michael, le Sort de Fille. Nouvelles, Montréal, Leméac, 2005, 120 p.

Dickner, Nicolas, Six degrés de liberté, Québec, Alto, 2015, 380 p.