N’exagérons rien

Dans le français populaire du Québec, on trouve des conseils. «Pousse, mais pousse égal», par exemple, suppose une forme d’exagération, mais limitée : «Mets-en, mais pas trop.»

Cela peut même s’appliquer dans le domaine agricole. Des exemples ?

«Pousse mais pousse local», suggère W communication pour l’Union des producteurs agricoles du Québec.

«Pousse mais pousse local. -Réalisé au Québec pour l'Union des Producteurs Agricoles», t-shirtr

«Pouce vert mais pousse égal», chante Québec Redneck Bluegrass Project (p. 67).

Vive la culture !

P.-S.—Les cinéphiles, façon de parler, se souviendront du film Pousse mais pousse égal (1975), de Denis Héroux.

 

Référence

Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.

Foglia à l’écran

Image de Pierre Foglia dans le film Albédo, de Jacques Leduc et Renée Roy, 1982

En 1982, Jacques Leduc et Renée Roy lancent, pour l’Office national du film du Canada, un moyen métrage (54 minutes), Albédo. Pourquoi en parler aujourd’hui ? Parce que le chroniqueur Pierre Foglia, qui vient de mourir, y joue.

L’Oreille tendue avait vu ce film à sa sortie, ce qui ne rajeunit personne, et elle n’en gardait qu’un seul souvenir; elle avait oublié tout le reste.

Elle avait oublié la facture du film. S’y mêlent des trames narratives en apparence fort différentes. La fiction met en scène la vie, la mort (par suicide) et la vie familiale d’un photographe et archiviste sourd, qui a réellement existé, David W. Marvin (1930-1975), ainsi que les discussions et pérégrinations d’un couple sans nom, joué par Paule Baillargeon et Foglia. La partie documentaire raconte le quartier montréalais de Griffintown, l’immigration dans la métropole et le monde du travail (à défaut d’un emploi, on peut toujours s’enrôler dans l’armée). L’intersection de la fiction et du documentaire a dérouté le critique de cinéma du quotidien la Presse, où écrivait Foglia, Luc Perreault. Celui-ci voit dans le film une «certaine prétention moderniste fort discutable» (9 octobre 1982, p. C14) et de l’«ésotérisme» (17 novembre 1984, p. E18).

De quoi l’Oreille se souvenait-elle alors ? D’une scène d’une soixantaine de secondes, vers la 18e minute, quand le personnage joué par Foglia se retrouve dans une imprimerie et que les gestes du typographe lui reviennent «automatiquement» («C’est mon seul métier. J’en ai pas appris d’autre pour vrai. C’est le seul qu’j’ai aimé»). Des pinces lui étaient indispensables et il les rangeait toujours au même endroit, dans sa poche arrière droite. La mémoire professionnelle est une mémoire corporelle, ici digitale. Avant le numérique, les mots ont longtemps été des lettres que l’on touchait pour les assembler et les rendre lisibles (Foglia compose un seul mot pour Baillargeon, «un mot doux» : «marmelade»). Les typographes ne sauraient l’oublier.

On peut (re)voir le film ici.

P.-S.—Quelqu’un aurait-il pu penser à proposer la candidature de Pierre Foglia à un prix d’interprétation ? C’est bien peu probable.

P.-P.-S.—Que signifie albédo ? La définition du mot apparaît à l’écran au début du film et il est expliqué plus tard par un professeur donnant cours dans un amphithéâtre : «Fraction diffusée ou réfléchie par un corps de l’énergie de rayonnement incidente.» D’où l’importance de la lumière, du blanc et de la neige dans le film.

P.-P.-S.—Alain-N. Moffat a consacré une étude à ce film, «Histoire et contrepoint dans les œuvres récentes de Jacques Leduc» (Copie zéro, 37, juillet 1988); on peut la lire . Celle de Denis Bellemare, «Albédo. Le dernier objet» (Copie zéro, 30, octobre 1986), se trouve de ce côté.

9 œuvres pour le numéro 9

Murale de Maurice Richard, rue Fleury, Montréal, 27 novembre 2024

Il peut arriver — à l’occasion — que l’Oreille tendue s’intéresse à Maurice Richard, le plus célèbre joueur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey. Pour commémorer le 25e anniversaire de la mort du Rocket, elle vous propose ci-dessous neuf œuvres le concernant et particulièrement dignes d’intérêt.

Roman

Deux romans des années 1950 font une place particulière à l’émeute du 17 mars 1955 au Forum de Montréal, à la suite de la suspension de Richard par le président de la Ligue nationale de hockey, Clarence Campbell. En 1956, Eugène Cloutier, dans les Inutiles, dit du joueur des Canadiens qu’il est un «mythe» (p. 196). Trois ans plus tard, Pierre Gélinas (les Vivants, les morts et les autres) décrit l’émeute comme s’il s’agissait d’une guerre. Une place dans la mythologie québécoise est déjà faite à Richard, alors qu’il n’a pas encore prise sa retraite.

Théâtre

En 1976, dans sa pièce Un pays dont la devise est je m’oublie, Jean-Claude Germain imagine le dialogue entre Louis Cyr (mort en 1912) et Maurice Richard (né en 1921). Cyr a parfaitement compris ce que Richard va représenter : «T’es Mau-ri-ce Ri-chard !… Ç’avait jamais été… pis ça sra jamais !… Çé !… Pis çé là astheure pour tout ltemps !» (p. 136)

Journalisme

Louis Chantigny était à la fois un journaliste sportif et un amateur de littérature. Le style ronflant ne lui faisait pas peur. Voyez «Une fin tragique pour le Rocket», dans Le Petit Journal, en 1959. Richard devient un personnage de la mythologie grecque et il est comparé à… Icare ! «Il est des hommes sur lesquels pèse dès leur naissance la malédiction de la grandeur…»

Poésie

«Homage to Ree-shard», le meilleur poème sur Maurice Richard, a paru, en anglais, en 1976. On y trouve, sous la plume d’Al Purdy, cet étonnant vers : «[he] made Quebec Canadian» (p. 39). Le Numéro 9 est évidemment un mythe québécois; il est aussi un héros canadien.

Chanson

Quelle chanson sur Le Rocket choisir ? La première, celle de Jeanne d’Arc Charlebois en 1951 ? La plus célèbre, celle de Pierre Létourneau, en 1970 ? Allons-y avec «Rocket Rock and Roll» de Denise Filiatrault (1957) et ces magnifiques rimes : «Monsieur l’placier, quel bonheur / J’ai retrouvé mon ticket / Il était là sur mon cœur / Je vais voir mon Rocket.»

Roman pour la jeunesse

La littérature pour la jeunesse, depuis des décennies, a voulu faire de Maurice Richard un modèle à imiter. François Gravel a plutôt choisi la voie du mystère, voire du fantastique. Son roman le Match des étoiles (1996) est un des textes les plus fins sur Richard, qui en signe la préface.

Peinture

En 1990, la Presse organise une rencontre entre le Rocket et Jean-Paul Riopelle. Le peintre met alors la touche finale à «Hommage à Maurice Richard». Des patins, une rondelle, des bâtons, une raquette, des mains : Riopelle représente l’esprit de Richard comme il ne l’avait jamais été, dans une œuvre en bleu, blanc et… rose.

Cinéma

Animation, fiction, documentaire : tous les genres cinématographiques ont été utilisés pour représenter Maurice Richard. Histoires d’hiver, réalisé par François Bouvier en 1998, rappelle combien l’image du plus célèbre joueur des Canadiens de Montréal est, au Québec, une affaire de famille : «Heye, Mononc’, raconte-moi l’histoire du Rocket.»

Des années 1940 à aujourd’hui, la culture québécoise n’a jamais fini de raconter cette histoire.

 

Références

Chantigny, Louis, «Une fin tragique pour le Rocket», le Petit Journal, du 18 octobre au 25 octobre 1959, p. 132.

Cloutier, Eugène, les Inutiles, Montréal, Cercle du livre de France, 1956, 202 p.

Gélinas, Pierre, les Vivants, les morts et les autres, Montréal, Cercle du livre de France, 1959, 314 p. Rééd. : Notre-Dame-des-Neiges, Éditions Trois-Pistoles, 2010, 324 p. Préface de Jacques Pelletier.

Germain, Jean-Claude, Un pays dont la devise est je m’oublie. Théâtre, Montréal, VLB éditeur, 1976, 138 p.

Gravel, François, le Match des étoiles, Montréal, Québec/Amérique jeunesse, coll. «Gulliver», 66, 1996, 93 p. Préface de Maurice Richard.

Purdy, Al, «Homage to Ree-shard», dans Sundance at Dusk, Toronto, McClelland and Stewart, 1976, p. 36-39.

Autopromotion 816

Serge Giguère, Maurice, film de 2025, affiche

Dans sa longue vie, l’Oreille tendue a beaucoup parlé de Maurice Richard. Elle le fait encore dans Maurice, le plus récent film de Serge Giguère, dont la première a eu lieu jeudi dernier, dans le cadre des Rendez-vous Québec Cinéma.

Sortie en salle le 7 mars 2025.

Timothée Chalamet n’a qu’à bien se tenir.

Bande-annonce :

 

[Complément du 29 mai 2025]

Le film est désormais disponible en format DVD.

 

[Complément du 24 juin 2025]

Après le DVD, la vidéo sur demande (Telus, Cogeco, Illico, Bell et Apple TV) et la télévision : le 25 juin 2025, à 20 h, sur les ondes de Télé-Québec.

Déficits à craindre

Requiem pour un beau sans-cœur, film de Robert Morin, 1992, affiche

Sans-cœur : avec ou sans trait d’union, substantif ou qualificatif.

Qui est sans-cœur peut manquer de compassion : «“Ça prend une méchante gang de sans cœur pour être capables de punir des gens, de faire mal à des gens comme ça qui autrement auraient le droit d’avoir accès au dentiste”, a dénoncé M. Boulerice en point de presse mercredi» (la Presse+, 9 octobre 2024).

On peut aussi manquer de volonté : «je suis trop sans-cœur» (Tiroir no 24, p. 120).

Ne soyez ni l’un ni l’autre.

P.-S.—Vous avez l’œil. Nous avons en effet déjà croisé un sans-cœur chez Gérald Godin (ici).

P.-P.-S.—On trouve d’autres exemples dans Usito.

 

Référence

Delisle, Michael, Tiroir no 24, Montréal, Boréal, 2010, 126 p.