Fil de presse 004

Logo, Charles Malo Melançon, mars 2021

Des Allemands craignent les contacts entre leur langue et l’anglais, d’où un article de l’Agence France-Presse : «Halte au “Denglish” !» (la Presse, 26 février 2010, p. A14). Au nom de l’État, le ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne, Guido Westerwelle, s’élève officiellement contre un «tsunami d’anglicismes», ce «mélange d’allemand et d’anglais, le Denglish».

Rien de tel chez Catherine Mavrikakis, qui accueille, outre le français, l’anglais, le portugais, l’espagnol, l’italien, le suédois, le néerlandais, le grec moderne et le latin — moins l’allemand, il est vrai — dans un texte intitulé «Elle s’en mordra la langue» qu’elle a donné au Pied, le journal des étudiants du Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal (en PDF, ici).

L’Oreille tendue se sent plus proche d’une attitude que de l’autre.

Périple

Déplacement de sportifs.

Souvent pléonastique : ces voyageurs au long cours ne font de périple qu’à l’étranger. Exemple : «Pour le Canadien, le périple à l’étranger est le temps d’amorcer une poussée» (le Devoir, 2 mars 2010, p. B5).

Existe aussi en version écourtée : on parle alors de «petit périple» (la Presse, 9 septembre 2009, cahier Sports, p. 3).

 

[Complément du 24 février 2013]

Première remarque. Rappelons la double définition du «périple» dans le Petit Robert : «Didact. Voyage d’exploration maritime autour d’une mer, d’un continent»; «Cour. (sens critiqué) Voyage, randonnée par voie de terre, circulaire ou non» (édition numérique de 2010).

Deuxième remarque. Par tweet, le 23 février, le descripteur sportif Pierre Houde annonçait qu’il allait partir, avec les Canadiens de Montréal, pour «un périple sur la route de deux parties», ce périple les amenant à… Ottawa et à Toronto. Ce tweet a été effacé du compte du compte de @PierreHoudeRDS. Serait-ce à cause de celui-ci ? L’Oreille tendue n’ose le croire.

 

[Complément du 21 février 2017]

Les Carabins de l’Université de Montréal — c’est du football — viennent de rendre public leur calendrier pour la prochaine saison : «La troupe de Danny Maciocia lancera donc sa campagne 2017 dans l’ouest de la métropole lors d’un périple jusqu’au terrain de l’Université Concordia le 25 août.» Ce «périple» de 7 kilomètres prend 37 minutes en bus (la 51). Devrait-on parler de «très petit périple» ? De «périple local» ? Tant de questions, si peu d’heures.

Euphémisme délicat de la semaine

Dans le Devoir d’hier, en p. B4 : «Air Canada se sépare de 1010 employés.» Espérons que cette formulation met un peu de baume au cœur des 195 employés licenciés de façon permanente et aux 815 de manière temporaire. Si Air Canada doit se séparer d’eux, c’est sûrement à regret, et pour le bien de quelqu’un.

De l’attraction linguistique

François Blais, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant, 2009, couvertureL’Oreille tendue a déjà signalé les vertus pédagogiques et cognitives de Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Un dernier mot sur ce roman de François Blais, s’agissant cette fois de ce que les linguistes appellent le code-switching.

Soit les deux phrases suivantes : «Quand les dieux vont apprendre la chose, ça gonna chier, c’est clair» (p. 78); «on avait brainstormé fort» (p. 83).

La seconde suppose une connaissance minimale de l’anglais (son brainstorm transformé en participe passé français), mais la syntaxe est transparente.

La première est plus étonnante : dans le ça gonna, il faut entendre it’s gonna (it’s going to). Cet emploi du futur proche pousse un cran plus loin l’attraction linguistique.

Un cran trop loin, diront certains.

 

Référence

Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.

Le verbe de la connaissance

François Blais, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant, 2009, couverture

Fourrer, au Québec, a tous les sens qu’on lui donne en français hexagonal. De surcroît, un usage, jugé familier dans le Petit Robert, et un que ne décrit pas ce dictionnaire y sont fréquemment attestés, et les deux concernent une forme de connaissance.

Il y a se fourrer au sens de se tromper. Exemple tiré de la Vie d’Anne-Sophie Bonenfant, roman dont l’Oreille tendue parlait hier : «Bon, faut croire que c’est un souvenir fabriqué, ou plutôt des souvenirs superposés, genre que je me fourre entre deux gâteaux […]» (p. 67). La mémoire paraît confondre deux gâteaux. Sa connaissance n’est pas solide.

Et il y a le sens familier évoqué plus haut : fourrer est alors synonyme de la connaissance dite biblique (Gn 4:1).

Il ne faut pas confondre.

 

[Complément du 15 octobre 2016]

Les narratrices du recueil de nouvelles Des femmes savantes de Chloé Savoie-Bernard (2016) aiment beaucoup ce verbe en son deuxième sens. Elles emploient aussi un substantif que ne connaissait pas l’Oreille tendue pour désigner les occasions où on le pratique : «On jouissait comme des cochons. À la fin de nos fourres, on se donnait des high five, on se félicitait» (p. 37). C’est noté.

 

[Complément du 18 mars 2020]

Qui est digne de fourrer, ou de l’être, est évidemment fourrable — ou pas : «anyway je ne suis pas fourrable ces temps-ci, je ne suis pas sortable, je ne suis pas grand-chose» (la Morte, p. 13).

 

Références

Arsenault, Mathieu, la Morte, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 141, 2020, 131 p.

Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.

Savoie-Bernard, Chloé, Des femmes savantes. Nouvelles, Montréal, Triptyque, 2016, 120 p.