Tabarnac ? Tabarnac !

Application Tabarnac !, écran d’accueil

L’Oreille tendue aime beaucoup sacrer, et sacrer beaucoup. Elle se targue d’un répertoire étendu de jurons, dans lequel tabarnac/k et ses variantes occupent la place d’honneur.

L’Oreille tendue aime les dictionnaires, en papier et en numérique, de toutes les variétés de français.

L’Oreille tendue aime Apple, ses ordinateurs, ses iPods, ses iPhones, son iPad.

Elle ne pouvait donc qu’être attirée par Tabarnac !, le dictionnaire numérique français du Québec / français hexagonal disponible sur l’App Store. (Selon la fenêtre où on se trouve, on voit aussi Tabarnac, sans point d’exclamation.)

Déceptions.

Déception typographique. Chaque apostrophe est précédée d’une espace : «d’accord» devient «d ’accord».

Déception graphique. Certaines définitions débordent du cadre de l’écran du iPhone et sont illisibles.

Déception orthographique. Le pluriel demande le s dans «ses responsabilité». En revanche, ce s ne devrait pas apparaître dans «sois-même» ou dans «sacrer son camps». L’«air d’aller» est une «erre». Il est le plus souvent préférable de «prendre le mors aux dents», plutôt que «le mort».

Déception de la nomenclature, enfin et surtout. Elle compte environ 240 mots; ce n’est pas beaucoup. C’est encore moins quand on s’aperçoit qu’il y a quatre entrées au mot gras, mais pour une seule définition, et que les mots commençant par c et par j apparaissent à leur place dans l’ordre alphabétique, puis de nouveau après la lettre z. Il faut de l’imagination pour découvrir que l’entrée «Sulption» renvoie à l’expression «sul ’piton» et «Wague», à «waque» (cri). À «charge», on lit «combien tu prend» (sans s) à côté d’une fleur de lys, et «combien tu prend» (toujours sans s) à côté d’un drapeau de la France, alors que ce devrait être l’inverse. Il vaut mieux ne pas confondre «crouser» («faire la cour») et «creuser» une fille (parfois appelée «chicks», au pluriel, même s’il n’y en a qu’une, parfois «chique», ce qui est plus dur à avaler). «Mornifle» et «couper les cheveux en quatre», pour prendre deux exemples au hasard, sont au Petit Robert; pourquoi les mettre ici ? Le logiciel s’appelle Tabarnac !, mais la nomenclature préfère Tabernac. Enfin, l’Oreille avoue avoir ignoré jusqu’à ce jour qu’un «coupe crotte» était un string, que «câler l’orignal» supposait un vomissement et qu’avoir «ses embacles [sans accent circonflexe] de lady» signifiait «avoir ses règles».

La définition de crouser dans l’application Tabarnac !

Trois remarques pour conclure.

On peut voter pour chaque définition, entre «C’est l’fun !» et «C’est plate !». C’est une catégorie de trop.

L’équipe qui revoit les logiciels soumis au App Store a retardé le lancement de Tabarnac ! Pas assez.

C’est bien ce qui s’appelle «Butcher son travail» (que l’on doit prononcer «Botcher», ce que ne dit pas le logiciel), soit «Faire un travail avec négligence». Tabarnac ! coûte 0,99 $. Ça ne les vaut pas.

P.-S. — L’Oreille tendue a assisté hier à la conférence d’Artiom Koulakov sur les jurons québécois qui précédait la pièce Sauce brune de Simon Boudreault à l’Espace libre et elle a suivi les conseils placardés sur les murs : elle a acheté «Le tabarnak de livre», le texte de la pièce. (Ce qu’elle a pensé de tout ça ? Ce sera pour demain.)

Défense des diacritiques

«Signe diacritique : signe graphique (point, accent, cédille) portant sur une lettre ou un signe phonétique, et destiné à en modifier la valeur ou à empêcher la confusion entre homographes» (le Petit Robert, édition numérique de 2010).

Quand on s’appelle Benoît (accent circonflexe souhaité) Melançon (cédille obligatoire), les diacritiques ont leur importance.

C’est ce que l’Oreille tendue se disait hier, après avoir expliqué à une employée de sa banque qu’elle comptait lui retourner plein de carnets de chèques pour cause de circonflexe et de cédille omis, malgré sa demande expresse. (Explication possible de ladite employée : l’imprimeur est anglophone.)

C’est ce que l’Oreille se disait aussi il y a quelques semaines, à la lecture d’un article de Frédérick Lavoie dans la Presse du 31 juillet, «Mettre les points sur les Ë» (p. A21). Il y fait le portrait de Viktor Tchoumakov, ce croisé de la septième lettre de l’alphabet cyrillique (ë, prononcée yo), qui veut voir revenir systématiquement le tréma sur le e dans les cas où il est aujourd’hui facultatif. Précision historique : «Le ë a connu son âge d’or entre 1942 et 1953, en raison d’un puissant partisan des deux points : le dictateur soviétique Joseph Staline.»

L’Oreille l’avoue : elle aurait préféré être en meilleure compagnie.

Cuisine québéco-russe

Sauce brune, Montréal, août-septembre 2010

L’Oreille tendue a déjà eu l’occasion de dire un mot d’Artiom Koulakov, cet universitaire russe fasciné par le juron — le sacre — tel qu’il se pratique au Québec.

On pourra l’entendre en conférence à Montréal, ce mardi, le 31 août, à compter de 18 h 30, au théâtre Espace libre, avant la présentation, à 20 h, de la reprise de la pièce Sauce brune, texte et mise en scène de Simon Boudreault, dans une production de Simoniaques Théâtre.

Pour avoir une idée de l’interprétation linguistique de Koulakov :

Les jurons forment une couche de lexique très importante dans chaque langue. Si dans la majorité des langues les jurons ont un caractère sexuel ou scatologique, au Québec les sacres ont, presque exclusivement, une origine religieuse. Cela reflète l’histoire des Québécois ainsi que leur vision du monde et leurs comportements quotidiens. Dans la conférence, il s’agira également de l’importance des sacres dans la qualification des Québécois comme nation distincte des Français, des sources de l’enrichissement de l’inventaire des jurons au Québec, du problème de la norme linguistique liée aux sacres, etc.

Pour avoir une idée de la langue de la pièce :

Sauce brune propose une langue québécoise où la majorité des mots sont remplacés par des sacres. Ceux-ci y deviennent adjectifs qualificatifs, adverbes, compléments, verbes et interjections. Dans un réel surdimensionné, les personnages tentent tant bien que mal de faire comprendre ce qu’ils ressentent avec une langue atrophiée où les mots sont devenus vides de sens.

Pour en savoir plus : le cahier pédagogique de la pièce (en PDF).

Pour payer moins : le tarif étudiant.

Ici et ailleurs

C’est officiel : il existe dorénavant une capitale des murs peints. Il s’agit de la municipalité québécoise de Mont-Joli (577 km de Montréal). Il suffisait d’y penser.

À Disney World, au pavillon du Canada — qu’un des fils de l’Oreille tendue appelait «l’ambassade» —, le bonimenteur se présente comme un natif de St. Catharines, Ontario, «la capitale mondiale du beigne». (En France, on dirait beignet ou deunote.)

Quand on se compare, on se console. Ou pas.

De la plogue

L’ami Antoine Robitaille se demandait récemment quelle graphie préférer, de plogue ou de plugue. À l’Assemblée nationale du Québec, on a tranché pour le u. Débat ici.

Le mot, lui, ne pose pas de problème : il est d’usage courant.

Il peut désigner la promotion (ploguer un spectacle), voire l’autopromotion (autoplogue). L’expression «Pure plogue promotionnelle» (le Devoir, 10 septembre 2001) est donc pléonastique.

Il désigne aussi une prise — de courant, pour les écouteurs, etc. Exemple (ça ne s’invente pas) : «Ploguez vos écouteurs» (vol Air Canada AC 945, Orlando => Montréal, 11 août 2010).

Puisqu’on peut ploguer, on peut aussi déploguer, voire tirer la plogue, au sens littéral comme au figuré. L’expression signifie alors mettre fin à : «Autant tirer la plogue moi-même avant que les gens me déploguent» (la Presse, 20 mars 1999).

On l’aura compris : quoi qu’en pense l’Assemblée nationale, l’Oreille tendue préfère la graphie en o, histoire d’être fidèle à la prononciation du mot et de ses dérivés.