De l’art du rythme

Christian Gailly, Be-bop, éd. de 2002, couverture

Christian Gailly aime la musique, et celle des mots. (L’Oreille tendue a déjà eu l’occasion de citer un de ses portraits ici.) Il aime donc les rythmes. Exemples, tirés de Be-bop (1995).

Il peut s’agir de reprises de sonorités : «peu importe, revenons aux saints, s’il te plaît. Si c’est ou si ce sont des saints. Si si mais si ce sont des saints sinon, on ne voit pas pourquoi [etc.]» (p. 17).

La reprise peut être de mots complets : «Voilà voilà, dit Fernand. Il le dit deux fois, pas deux fois voilà, deux fois voilà voilà. Voilà-voila, voilà-voilà. Ça forme un rythme rappelant à Lorettu le début d’un mouvement d’un des quatuors médians de Beethoven, mais lequel ?» (p. 23).

Le rythme est itou affaire de ponctuation : «je suis musicien. Ah bon ? Dit le vieux. Il répète ah bon sur différents tons. Ah bon, ah bon. Ah bon. Ah bon ! Ah, bon» (p. 34).

Pour résumer : vive la variation.

Paul a du mal à se défendre contre une pensée relative à Psychose, le fils reproduisant la voix de la mère, le fils ayant tué mais bon. Le fils identifié ayant tué, mais bon. Le fils ayant tué, identifié pour que la mère mais bon. Le fils ayant tué parce qu’identifié mais bon. La mère ayant tué le fils parce que mais bon. Le fils se tuant en tuant la mère mais bref (p. 91).

Auraient-ils faim qu’ils n’auraient pas le temps de déjeuner. Ou plutôt, auraient-ils faim, ils n’auraient pas le temps de déjeuner (p. 125).

À lire avec les oreilles.

 

Référence

Gailly, Christian, Be-bop, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 18, 2002, 158 p. Suivi de le Swing Gailly par Jean-Noël Pancrazi. Édition originale : 1995.

Récit de voyage

Engagez-vous, qu’ils disaient. Vous entendrez du pays, qu’ils disaient. L’Oreille s’est engagée et elle a entendu.

Pizzeria, rue du Maine, Paris. La pizza et le vin rouge de l’Oreille font un repas correct. Son voisin, qui a pris la même chose, parle de «booster calorique».

Sur une camionnette, quai des Grands-Augustins, Paris : «Lutte raisonnée contre les nuisibles.» Vaste programme.

Dans un amphi universitaire, Université Paul-Verlaine, Metz, un adverbe inconnu de l’Oreille, mais plus maintenant, et joli : «moultement». (Il y avait aussi «mono-écranique» et «angler» [un article de journal]. Elle est moins séduite.)

Pendant une conférence, au Centre Pompidou-Metz, l’expression «fond d’écran», pour désigner ce qu’on appelait autrefois «air du temps». Cette expression ne serait plus dans l’air du temps.

Dans le même amphi que tout à l’heure, à un autre moment, découverte de l’existence, il y a plusieurs années, d’une Commission du vocabulaire, à l’Union des journalistes de sport en France. Sa mission ? Chasser le cliché. L’Oreille tendue aurait voulu en être.

Toujours le même amphi, découverte d’un nouveau sport, le «beach rugby» (en français dans le texte). L’Oreille ne voudrait pas en être.

Restaurant messin. La maison nous offre à boire quelque chose en apéro : c’est blanc, inconnu de tous, mauvais. «Improbable», dit un collègue pour caractériser le goût. À retenir : ça peut servir.

Publicité dans le métro parisien : «Speak Wall Street English.» Voilà une variété linguistique que l’Oreille ne connaissait pas.

Rue Vaugirard, à Paris, elle reçoit une leçon de traduction. Soit le panneau suivant :

Annonce de petit déjeuner, Paris, 2010

Si le «petit-déjeuner» n’est pas le «breakfast» — bien que les deux mots soient synonymes —, est-ce parce que l’anglais de ce restaurant viendrait de Wall Street ?

Rue de Rennes, Paris : croisé un homme avec un sac rouge d’une boutique appelée L’œil écoute. Le propriétaire de celle-ci accepterait-il de commanditer — de «sponsoriser» — ce blogue ? (Ça tombe bien : c’est peut-être une librairie.)

L’art du portrait, rebelote

Jean Echenoz, Des éclairs, 2010, couverture

«Arrêtons-nous quelques instants sur le jeune Angus Napier. C’est un garçon de petite taille à l’air apeuré quoique dangereux, sournois bien qu’une innocence parfois égarée dans son regard, naïve et butée comme celle d’un ange, fasse concurrence à cet aspect chafouin et donne l’impression d’un enfant assez fou, capable de torturer quelqu’un à mort tout en le serrant en larmes contre lui, lui vouant son amour et sa vie entre deux séances au fer rouge […].»

Jean Echenoz, Des éclairs. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2010, 174 p., p. 65.

Sauvé par une babouche

Dans Eh bien, dansez maintenant…, Marc Lambron se fait «menu chroniqueur des très riches heures de la sarkozye» (p. 174), en l’occurrence de la première année de la présidence de Nicolas S. Sa série de «croquis» (p. 231) — du prince lui-même, de ses épouses, de ses prédécesseurs, de ses sous-fifres, de ses adversaires — se laisse lire d’un œil distrait.

Puis, subitement, on tombe sur la phrase suivante : «Garant de la laïcité, n’allant d’ailleurs guère à la messe, [Nicolas Sarkozy] soutenait pourtant que la ferveur des croyants doit être mise au service de l’intérêt civique, prompt à baiser tactiquement la mule du pape, sinon la babouche de l’imam» (p. 90-91). Avant l’apparition de la babouche, on aurait pu s’interroger sur le rapport du président français aux animaux. Heureusement que cette babouche est là.

 

Référence

Lambron, Marc, Eh bien, dansez maintenant…, Paris, Grasset, 2008, 231 p.