Chapleau classique

Serge Chapleau, caricature de Bernard Drainville, inspirée par Jacques-Louis David, la Presse+, 23 avril 2023

Serge Chapleau est caricaturiste au quotidien montréalais la Presse depuis 1996, après avoir travaillé pour plusieurs autres publications. La plupart de ses caricatures sont des dessins, mais, depuis quelques années, il s’inspire à l’occasion de la peinture.

Il s’en explique dans son ouvrage Chapleau. Depuis mes débuts (2020).

Je me suis donc servi de cette quincaillerie-là [l’ordinateur, le logiciel Photoshop] pour faire des photomontages, mais aussi pour retravailler mes dessins en repositionnant ou en ajoutant des éléments.
Mais le plus beau, c’est que ça m’a permis de réunir deux passions : la caricature, bien sûr, et la peinture classique, héritage de mon passage à l’École des beaux-arts.
Je me suis donc fait un malin plaisir à insérer nos politiciens dans des tableaux de grands maîtres comme Hyacinthe Rigaud, Jacques-Louis David, Philippe de Champaigne, Jean-Auguste-Dominique Ingres (p. 198).

Parmi ces «grands maîtres», Chapleau se sert à l’occasion de peintres d’une période chère au cœur de l’Oreille tendue, le XVIIIe siècle.

En 2017, Michaëlle Jean, alors secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie, apparaît dans un décor emprunté à François Boucher (Chapleau 2017, p. 114). Goya est mis à contribution pour une réunion du Parti québécois (Depuis mes débuts, p. 205) et pour la relation entre Donald Trump et Steve Bannon (Depuis mes débuts, p. 207).

Le peintre des Lumières vers lequel Chapleau se tourne le plus volontiers dans la Presse est Jacques-Louis David. Il s’en inspire pour le couronnement de Pauline Marois (Depuis mes débuts, p. 204) et pour les interventions du président de l’Assemblée nationale du Québec de Jacques Chagnon (Chapleau 2018, p. 19).

Dans l’œuvre de David, Chapleau a un faible pour le tableau «La mort de Marat» (1793). Il a remplacé la tête du révolutionnaire français par celles de l’ancien premier ministre canadien Paul Martin («Je n’ai rien à voir avec le scandale des commandites», Depuis mes débuts, p. 202), de Luc Ferrandez («Fuck you / Nous autres !», la Presse+, 16 mai 2019) et, hier, de Bernard Drainville («Je m’excuse / Je m’excuse / Je m’excuse / Je m’excuse / Je m’excuse / Je m’excuse / Je m’excuse / », la Presse+, 23 avril 2023).

Le Siècle des lumières est bien vivant.

P.-S.—En effet : ce n’est pas la première fois qu’il est question ici d’un caricaturiste de la Presse. En 2018, il s’agissait de Jean-Pierre Girerd.

 

[Complément du 14 mai 2023]

Autre recours à Goya, en 2009, au sujet du Bye bye, spectacle télévisuel annuel (l’Année Chapleau 2009, p. 29).

 

Références

Chapleau, Serge, l’Année Chapleau 2009, Montréal, Boréal, 2009, 118 p.

Chapleau, Serge, Chapleau 2017, Montréal, Éditions La Presse, 2017, 127 p.

Chapleau, Serge, Chapleau 2018, Montréal, Éditions La Presse, 2018, 109 p.

Chapleau, Serge, Chapleau. Depuis mes débuts, Montréal, Éditions La Presse, 2020, 303 p. Textes d’Yves Boisvert, Jean-René Dufort, Lucien Bouchard, Guy A. Lepage, Pauline Marois, Jean Chrétien, Justin Trudeau, Jean Charest, François Cardinal, François Legault et Gilles Duceppe.

Les zeugmes du dimanche matin et d’Adeline Dieudonné

Adeline Dieudonné, Reste, 2023, couverture

«Il adorait les bains. C’était hier, dans l’après-midi. Il était si froid, j’ai voulu le réchauffer. Il n’était pas encore raide. Je l’avais ramené dans le chalet, luttant contre son poids et mon chagrin.»

«Sur la route, le ballet des vacanciers reprenait doucement. Kayaks ou vélos sur les toits des voitures, de la vallée au sommet ou inversement, le troupeau promenait ses mômes et son ennui.»

Adeline Dieudonné, Reste. Roman, Paris, Éditions de l’Iconoclaste, 2023. Édition numérique.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Simenon

Georges Simenon, Félicie est là, éd. de 2011, couverture

«Elle tend l’oreille. Qu’est-ce que c’est ? Il y a quelqu’un dans la cuisine. Elle reconnaît le bruit familier du moulin à café. Elle rêve. Il n’est pas possible que quelqu’un soit occupé à moudre du café.»

Georges Simenon, Félicie est là, dans Tout Simenon 24, Paris et Montréal, Presses de la Cité et Libre expression, coll. «Omnibus», 1992, p. 563-646, p. 641. Édition originale : 1944.

Citation outrée du jour

Adeline Dieudonné, Reste, 2023, couverture

Ceci, dans Reste (2023), le plus récent roman d’Adeline Dieudonné :

Le monde d’Hugo ne m’intéressait pas parce qu’il me rendait triste. Il m’a fallu plusieurs mois après notre séparation pour identifier exactement l’origine de cette tristesse. C’était son vocabulaire. Management, CEO, implémenter, data, digitalisation, customer, gestion des flux, expérience client, ressources humaines, target. Un vocabulaire de nazi. Hugo et moi ne parlions pas la même langue. Pourtant c’était un homme intelligent. Peut-être que c’est ça aussi qui me rendait triste. Toute cette intelligence gâchée.

Jusqu’à «nazi», l’Oreille tendue était assez d’accord avec cette détestation de la place des mots (anglais, notamment) de la gestion dans l’univers linguistique contemporain.

P.-S.—On ne confondra évidemment pas ce que dit un personnage et ce que pense sa créatrice.

 

Référence

Dieudonné, Adeline, Reste. Roman, Paris, Éditions de l’Iconoclaste, 2023. Édition numérique.

L’oreille tendue de… David Lopez

David Lopez, Fief, éd. de 2018, couverture

«Untel, lui, il aime bien entendre les moteurs, parce que souvent il arrive à dire quel genre de modèle c’est. Il a traîné avec les mecs à scooter quand il grattait les plans de Lahuiss. Il en a appris un rayon sur la mécanique. Sucré, Ixe et moi, et puis Lahuiss aussi, ce n’était pas notre délire. On en a surtout retenu une notion de carbu de douze. Pour se foutre de leur gueule, Sucré, quand il entendait un scooter passer, il faisait chut les gars, il tendait l’oreille et l’index, et il disait un truc du genre Kawasaki de couleur verte.»

David Lopez, Fief. Roman, Paris, Seuil, coll. «Points», P4874, 2019, 236 p., p. 77-78. Édition originale : 2017.