Paroles de Ravey

Yves Ravey, Adultère, 2021, couverture

Vous choisissez : il y a toutes sortes de bonnes raisons de lire Yves Ravey.

Dans Trois jours chez ma tante (2017) et dans Pas dupe (2019), le narrateur vous trompe de page en page, et c’est un grand plaisir. Ce qu’on vous dit est vrai, mais on ne vous dit pas tout. Petit à petit, vous le découvrez et ce n’est pas jojo, surtout dans le roman de 2017.

Dans le récent Adultère (2021), on appréciera (ou pas) l’étrange preuve d’amour finale.

Surtout, on s’intéressera à la diversité des façons qu’a le narrateur de rapporter la parole de ses personnages.

En style direct : «On n’en sait rien, et c’est top secret» (p. 77).

En style indirect : «J’ai continué de l’interroger : Parle-moi franchement, dis-moi comment tu te sens avec moi ? Elle a ignoré ma question, elle a dit que je devais revoir les registres de compte avant le placement définitif en règlement judiciaire, ensuite elle est venue vers moi, m’a serré dans ses bras» (p. 49).

En style indirect libre : «Elle est revenue, a tendu l’argent à mon veilleur de nuit, lui demandant si, cette fois, il s’estimait heureux, et si ça convenait ?» (p. 28); «Il vous donnera des conseils et ça vous rassurera. Aussi, a-t-il poursuivi, insistant, j’étais méconnaissable, je ne sais si vous vous en rendez compte, mon pauvre ami, mais vous êtes blanc comme un linge» (p. 79).

En un mélange de style direct, de style indirect et de style indirect libre : «Je lui ai demandé ce qu’elle faisait là… ? à cette heure-ci ? Mais enfin, maman, c’est insensé…! Elle prenait l’air, car elle ne parvenait pas à dormir. Dolorès n’a pas manqué de me rappeler que, la dernière fois, j’avais installé un écran de télévision dans sa chambre» (p. 39-40).

En Ravey : «Je lui ai tendu la gourmette, cadeau de Remedios lors de notre voyage de fiançailles à Venise. / Ousmane a reculé d’un pas : Justement, si c’est un cadeau de fiançailles, monsieur Seghers, je ne préfère pas, ça me gêne […]» (p. 17).

Du grand art.

P.-S.—N’oublions pas cette sublime incise.

 

Références

Ravey, Yves, Trois jours chez ma tante, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 117, 2019, 155 p. Édition originale : 2017.

Ravey, Yves, Pas dupe. Roman, Paris Éditions de Minuit, 2019, 139 p.

Ravey, Yves, Adultère. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2021, 140 p.

Le zeugme du dimanche matin et de Chantal Thomas

Chantal Thomas, Cafés de la mémoire, éd. de 2017, couverture

«Son audace architecturale impressionnait. Moi aussi j’avais envie d’apprécier sa beauté, mais j’étais mal placée. À travers la transparence de ses baies vitrées se profilait, en même temps que les chênes et le pin du jardin, l’incertitude de l’avenir.»

Chantal Thomas, Cafés de la mémoire. Récit, Paris, Seuil, coll. «Points», P4657, 2017, 344 p., p. 107. Édition originale : 2008.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Accouplements 165

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Des goûts et des couleurs…

Tremblay-Gaudette, Gabriel, «“Écrire ce qui vient naturellement” : la langue dans l’histoire de la bande dessinée québécoise», dans Aline Francœur (édit.), Adaptation de l’expression française dans les cultures francophones, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. «Culture française de l’Amérique», 2016, p. 111-135.

«il tire à boulets rouges sur le journalisme jaune» (p. 117).

Guillaume Ancel, Un Casque bleu chez les Khmers rouges, 2021, couverture

Le zeugme du dimanche matin, de Poe et de Baudelaire

Edgar Allan Poe, Histoires extraordinaires, éd. de 1965, couverture

«At Paris, just after dark one gusty evening in the autumn of 18–, I was enjoying the twofold luxury of meditation and a meerschaum, in company with my friend, C. Auguste Dupin, in his little back library, or book-closet, au troisième, No. 33 Rue Dunôt, Faubourg St. Germain

Edgar Allan Poe, «The Purloined Letter», dans The Collected Tales and Poems of Edgar Allan Poe, New York, Modern Library, 1992, p. 208. Édition originale : 1844.

 

Traduction de Baudelaire : «J’étais à Paris en 18… Après une sombre et orageuse soirée d’automne, je jouissais de la double volupté de la méditation et d’une pipe d’écume de mer, en compagnie de mon ami Dupin, dans sa petite bibliothèque ou cabinet d’étude, rue Dunot, no 33, au troisième, faubourg Saint-Germain.»

Edgar Allan Poe, «La lettre volée», dans Histoires extraordinaires, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «GF», 39, 1965, 306 p., p. 89-108, p. 89. Ttraduction de Charles Baudelaire. Chronologie et introduction par Roger Asselineau. Édition originale : 1856.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Chantal Thomas

Chantal Thomas, Cafés de la mémoire, éd. de 2017, couverture

«Les reines du Luxembourg n’avaient pas un regard pour moi. Elles restaient sourdes à mes demandes. Sous l’entrelacs de leurs tresses piquées de bijoux de pierre, elles semblaient tendre leur petites oreilles, à peine verdies à l’arrière du pavillon; en réalité, elles n’écoutaient rien.»

Chantal Thomas, Cafés de la mémoire. Récit, Paris, Seuil, coll. «Points», P4657, 2017, 344 p., p. 281. Édition originale : 2008.