Journal de Paris (et de Twitter)

Quelques jours en France ? L’Oreille tendue ne se détend pas, et elle échange avec ses correspondants sur Twitter.

4 mai 2012

Arrivée à Paris ce matin. Première constatation linguistique : «Merci», c’est fini; «Merci beaucoup» a pris sa place.

Commentaire (expérimental) de @variations_zoo : «j’ai fait l’expérience ce matin, ça marche :-)».

C’est le Monde qui le dit : out les lepénistes et les frontistes. Les électeurs du Front national sont désormais des marinistes, du prénom de la fille et héritière politique de Jean-Marie Le Pen (5 mai 2012, p. 15). Marine a évincé son papa ?

Commentaire (lexicoculinaire) de @iericksen : «On parlera bientôt de marinés et de marinades.»

5 mai 2012

La loi française veut interdire «Mademoiselle» sur les formulaires officiels. La loi ne s’applique pas (encore) dans les cafés.

Commentaire (préventif) de @cvoyerleger : «On l’utilise encore au Québec même après X années d’absence des formulaires. Ce sera long. Et certaines femmes y tiennent.»

6 mai

Larguez les amarres est une librairie, rue de la Gaîté, spécialisée en marine, voyages et aviation. Elle a dû fermer quelques jours. La raison ? Un «dégât des eaux». Injustice immanente ?

À la télé, en cette soirée électorale : «Je suis absolument dans la voiture d’Henri Guaino.»

Commentaire (interrogatif) de @MelAbdelmoumen : «L’Oreille a-t-elle remarqué, chez les journalistes tv français, cette confusion étonnante de l’“eh bien” et de la virgule ?», suivi d’un exemple : «F. H. est rentré, eh bien, chez lui. Il a voulu, eh bien, dit-il, saluer la foule. N. Sarkozy, eh bien, quant à lui, etc.»

Métro, Étoile-Nation, 23 h 45 : «Bon quinquennat, M’sieurs-dames», dit le chanteur à la guitare.

7 mai

Chronique mode : la Parisienne confond rarement leggings / collants et pantalon. Ce sont les filles de Go Fug Yourself qui seraient fières d’elles.

Ce soir, à la Comédie-Française, Une puce, épargnez-la, de Naomi Wallace, traduction de Dominique Hollier. On y apprend qu’en langage de matelot une femme à la poitrine plantureuse aurait «de la voile».

8 mai

Consultation linguistique auprès d’une Parisienne de 16 ans. Expressions à la mode à Lutèce ?

1. Vous croisez quelqu’un que vous connaissez; vous saluez; on ne vous répond pas. Vous levez la main en classe; on ne vous voit pas. Dans un cas comme dans l’autre, vous venez de «prendre un vent».

Commentaire de @beloamig_ : «Je suis ce producteur de vents, archimyope.»

N.B. On entend aussi se prendre un bache.

2. @mdumais sera heureux d’apprendre que le mot «genre» est (aussi) populaire à Paris.

Confirmation, sur Twitter, par @MrJeg57 : «Expressions passablement énervantes, à bannir au plus vite : “Dire de la merde”, “genre”, “style”, “t’es sérieux, là ?”, «Et pis tout”, “trop”.»

3. Le bolos — prononcé avec des o graves — est, entre autres choses, un bouffon, mais pas congénital. Qui est bolos ne l’est généralement que temporairement. Du moins, c’est ce qu’on lui souhaite.

4. Le casso (ou cassos) est un bolos en bien pire : son état est permanent. L’origine de ce substantif, très péjoratif, est peut-être à chercher du côté du cas social. Il paraît être proche de l’ortho québécois.

5. Qui se tape une barre rit beaucoup.

6. Ce gâteau est une tuerie ? Il en a été question ici.

7. Vous vouliez voir un film, mais, quand vous vous présentez au cinéma, il vient de quitter l’affiche ? Vous étiez absente de l’école le jour où il y avait des frites à la cantine ? Vous avez, bien sûr, le seum.

8. L’historique ta gueule pourrait être avantageusement remplacé par stéve.

9 mai

Métro Mairie d’Ivry-La Courneuve, 10 : des lycéens révisent à haute voix leurs notes de cours sur l’identité sexuelle. Une pensée pour Judith Butler ?

10 mai

L’Oreille se rend à la salle Charles-Trenet de la maison de Radio-France pour assister à un enregistrement du Masque et la plume. Jérôme Garcin, l’animateur de cette émission de radio, joue de la distinction deuxième / second. L’Oreille devrait-elle se réjouir ?

«Vous avez voté ?» demande l’un. «Je l’ai fait par acte citoyen», répond l’autre. La manie du citoyen adjectivé est universelle.

11 mai

Le signe de l’américanisation de la France ? Pas la langue. La dimension des portions au restaurant.

Commentaire (inquiet) de @charlesdionne : «Dès que le doggie bag aura été popularisé, on pourra craindre le pire pour la France !».

Une voisine de l’Oreille : «Nous allons prendre seulement une entrée, un plat et un dessert, avec un pichet de rouge.» L’adverbe ravit.

Histoire d’être dépaysée, l’Oreille tendue regarde, à télé française, un match de hockey (Canada-Finlande). Les commentateurs de Sport+ s’en donnent à cœur joie : «Mikko Koivu est monstrueux depuis le début du match»; «Dion Phaneuf se fait manger par le capitaine finlandais»; «L’équipe canadienne se fait bouger par les Finlandais»; «Les Canadiens sont dominés dans tous les compartiments du jeu.» Ça change de Benoît Brunet. (Cela dit, «incroyable» sévit ici aussi.)

Commentaire (jaloux) de @niedesrochers : «OUATE?!? Pourquoi on diffuse pas ça ici??? #SoiréeTéléÀOuagadougou #TropInjuste».

«Du pipi de chat», disait-il à son téléphone. «Du pipi de chat», insistait-il. L’Oreille tendue décida de ne pas le contredire, et de rentrer chez elle.

Autopromotion 030

Il y a 1,2 lustre, l’Oreille tendue publiait les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle. Une édition de poche de ce livre vient de paraître à Montréal, chez Fides, dans la collection «Biblio-Fides». Elle sera très bientôt disponible, en édition papier et en édition numérique.

En avant-première, la couverture.

Benoît Melançon, les Yeux de Maurice Richard, éd. de 2012, couverture

 

Référence

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Images de Butch

[Lecteur, si tu ne t’intéresses pas aux relations du sport et de la culture, passe ton chemin.]

Émile «Butch» Bouchard, l’ex-défenseur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey — de 1941 à 1956, est mort le 14 avril; il était né en 1919. Il n’occupe pas, dans les représentations culturelles de ce sport, la même place que Maurice Richard, Jean Béliveau ou Guy Lafleur, voire que Lorne Worsley, mais il a néanmoins été objet de discours.

C’est le cinéma qui lui a accordé le plus de place. Il apparaît notamment dans des films de Gérard Pelletier (Passe-partout : «Le sport est-il trop commercialisé ?», 1955), de Gilles Gascon (Peut-être Maurice Richard, 1971), de Jacques Payette (le Rocket / The Rocket, 1998) et de Karl Parent et Claude Sauvé (Maurice Rocket Richard, 1998). Deux autres films méritent d’être présentés un peu plus longuement.

Parmi les lieux communs les plus récurrents sur l’histoire du hockey à Montréal, on trouve celui de l’exploitation économique des joueurs (souvent francophones) par leurs patrons (souvent anglophones). Un exemple parmi cent : «Maurice Richard était sous-payé et exploité parce qu’il était canadien-français», écrit Normand Lester en 2003 (p. 10). Les joueurs auraient été victimes de leurs employeurs. On peut relativiser ce type de jugement, et les déclarations filmées d’Émile Bouchard y contribuent.

S’il est vrai que Maurice Richard n’a pas toujours été payé à sa valeur (marchande) du temps qu’il était joueur, il ne faudrait pas oublier que son origine ethnique n’était peut-être pas la seule cause de cet état de fait. À l’époque de Richard, il y a eu au moins un joueur mieux payé que lui chez les Canadiens de Montréal, mais c’était lui aussi un Canadien français, Jean Béliveau, qui rappelle le fait dans ses Mémoires en 2005. Il y a donc lieu de se demander quelle est la part de responsabilité des joueurs eux-mêmes dans les négociations de travail.

Dans Maurice Richard. Histoire d’un Canadien / The Maurice Rocket Richard Story (1999), Jean-Claude Lord et Pauline Payette donnent la parole à l’ancien numéro 3 des Canadiens : «Dans ce temps-là, on était imbéciles», affirme-t-il. Pourquoi ? Parce que les joueurs ne discutaient pas entre eux de leur salaire, ce qui les privait du pouvoir de négocier. Arrive cependant le début de la saison 1947 : constatant qu’il y avait «un peu d’abus», Bouchard et Richard décident de faire «front commun» pour négocier leur contrat. Certains iront jusqu’à parler de grève. La leçon se sera pas immédiatement entendue ni par eux ni par leurs coéquipiers : Bouchard et Richard n’obtiendront pas gain de cause; les joueurs ne se rassembleront en syndicat que bien plus tard. Pourtant, quelque chose était peut-être en train de changer.

Maurice Richard. Histoire d’un Canadien est un docudrame; Maurice Richard / The Rocket (2005), de Charles Binamé, est une fiction. Le personnage de Bouchard, joué par Patrice Robitaille, fait partie d’une série de personnages qui déterminent, plus qu’il ne le fait lui-même, les choix, sur la glace et hors de celle-ci, de Maurice Richard : sa femme, son entraîneur, Dick Irvin (d’abord et avant tout), son directeur gérant, Frank Selke, un représentant syndical, son coiffeur, son nègre (Richard était joueurnaliste à ses heures). C’est son entourage qui dicte quoi faire au Rocket.

Cela est parfaitement clair quand il est question du statut social de Richard. Binamé propose une interprétation clairement nationaliste de la carrière de celui-ci. Richard est moqué à Montréal comme ailleurs parce qu’il ne parle pas anglais, lui qui est entouré d’anglophones, la plupart du temps en position d’autorité, qui ne lui veulent pas que du bien : le patron de l’usine où, jeune homme, il travaille, Dick Irvin, Frank Selke ou Clarence Campbell, le président de la Ligue nationale de hockey. Maurice Richard serait leur victime parce qu’il est canadien-français.

C’est le personnage d’Émile Bouchard qui, dans le film, est chargé de faire comprendre à Richard ce qu’il est pour les siens, et quelles responsabilités cela entraîne. La scène se déroule dans un train, la nuit, et Bouchard déclare ce qui suit à son coéquipier : «Toi, faut qu’tu donnes un sens à c’que tu fais.» On peut s’interroger sur le réalisme supposé de cet échange, mais il est reste que Binamé, comme Lord et Payette, fait d’Émile Bouchard la voix de l’affirmation des joueurs contre ceux qui les emploient. Voilà un leader.

Émile «Butch» Bouchard

Mais il n’y a pas que le cinéma.

Butch Bouchard est présent dans cinq chansons. On y vante ses talents de passeur : «Quand sur une passe de Butch Bouchard i prenait le puck derrière ses goals» (Pierre Létourneau, «Maurice Richard», 1970); «Butch Bouchard à Savard vers Béliveau» (Loco Locass, «Le but», 2009). On apprécie la qualité de son jeu défensif : «Avec Butch à leurs côtés / Les goals seront bien gardés» (Denise Émond, «La chanson des étoiles du hockey», 1956). On notera qu’il n’est jamais représenté seul : «Maurice Richard qui part avec grand Butch Bouchard» (La famille Soucy, «Le club de hockey Canadien», 1954); «Morenz Joliat pis les deux Richard / Bonin Béliveau pis Geoffrion / Sans oublier not’Butch Bouchard / Hourra pour nos champions» (Oswald, «Les sports», 1960). Émile Bouchard, capitaine des Canadiens de 1948 à 1956, était, encore et toujours, un joueur d’équipe.

La peinture, à l’exception de Bernard Racicot, ne s’est guère intéressée à Bouchard. En matière de sculpture — on se souviendra qu’il y a quatre statues de Maurice Richard à Montréal —, ce n’est guère mieux : une fresque en sept scènes, signée Jules Lasalle, orne la façade de l’aréna Émile-Butch-Bouchard de Longueuil. L’Oreille tendue ne connaît qu’un roman où il est question de Bouchard, la Poussière du temps (2005), de Michel David, mais c’est pour son restaurant, rue De Montigny, à Montréal (p. 400). Bill Templeman semble être le seul poète à avoir chanté le joueur, sur le mode de la nostalgie : «It used to be a game of skill and grace when the Rocket played / along with Geoffrion and Bouchard. Now it is a game of thugs» (p. 194). La bande dessinée ? Sur la couverture de la Patinoire en folie de Pierre Huet (2011), un personnage ressemble fort à Bouchard; il ne réapparaîtra pas dans l’intrigue.

Émile «Butch» Bouchard en bande dessinée

D’autres joueurs ont occupé plus de place qu’Émile Bouchard dans la culture québécoise. Il en a pourtant une, marquée par sa contribution à son équipe, à ses coéquipiers et à son sport, plus que par ses exploits personnels.

P.-S. — L’Oreille tendue a donné un entretien sur ces questions à Franco Nuovo, à la radio de Radio-Canada, le 15 avril. On peut l’entendre ici.

 

Références

Béliveau, Jean, avec Chrys Goyens et Allan Turowetz, Jean Béliveau. My Life in Hockey, Vancouver, Greystone Books, 2005, xii/312 p. Ill. Foreword by Wayne Gretzky. Introduction by Allan Turowetz. Traduction : Ma vie bleu-blanc-rouge, Montréal, Hurtubise HMH, 2005, 355 p. Ill. Préface de Dickie Moore. Avant-propos d’Allan Turowetz. Traduction et adaptation de Christian Tremblay.Édition originale : 1994.

David, Michel, la Poussière du temps. Tome I. Rue de la Glacière, Montréal, Hurtubise HMH, 2005, 456 p.

Huet, Pierre, la Patinoire en folie, Montréal, Les 400 coups, coll. «Strips», 2011, 62 p. Avec la participation de Patrick Moerell.

Lester, Normand, «1. La discrimination dans le sport. Maurice Richard : la fierté d’un peuple», dans le Livre noir du Canada anglais 3, Montréal, Les Intouchables, 2003, p. 14-26.

Templeman, Bill, «They Don’t Play Hockey Here Any More : The Montreal Forum’s Chief Ghost Meditates Upon the History of the Game», dans Dale Jacobs (édit.), Ice. New Writing on Hockey. A Collection of Poems, Essays, and Short Stories, Edmonton, Spotted Cow Press, 1999, p. 194-197.

Sur le Web

Émile «Butch» Bouchard

Exposition Bienvenue Chez Butch Bouchard !

Temple de la renommée du hockey (Toronto)

Wikipédia

Capitales hors capitale

Roy MacGregor, Mensonges et dinosaures, 2006, couverture

Le Québec se voulait la capitale des capitales. Cela n’empêche pas d’autres lieux de se croire plus gros que le bœuf.

La Finlande : «Helsinki, capitale du bonheur» (Radio-Canada, 28 février 2012).

La France : «Soupçonnée de cannibaliser les subventions, l’opération “capitale culturelle” entend rassurer ses accusateurs» (le Monde, 19 mars 2011, p. 27). Il est question de Marseille.

L’Alberta : Drumheller serait la «“capitale canadienne des dinosaures”» (Mensonges et dinosaures, p. 18).

La Colombie-Britannique : «Vancouver, capitale piétonnière» (Radio-Canada, 4 avril 2012).

L’Allemagne : «Métropole capitale. Berlin explose» (la Presse, 24 mars 2012, cahier Arts, p. 1).

L’Australie : «Au cœur de la capitale des opales» (le Devoir, 31 avril-1er mai 2012, p. D1).

En matière de capitalisation, nous ne sommes plus seuls. Il y a toutefois de l’espoir : «Montréal a peut-être encore deux ou trois choses à envier aux autres métropoles culturelles, mais plus pour très longtemps» (la Presse, 24 mars 2012, cahier Arts, p. 8).

Ouf.

 

[Complément du 2 octobre 2017]

Marseille, encore ? Pourquoi pas.

Et la Californie :

 

Référence

MacGregor, Roy, Mensonges et dinosaures, Montréal, Boréal, coll. «Les Carcajous», 10, 2006, 138 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 1999.