Proses sportives de la semaine

Rondelle à l’effigie de Patrice Bergeron

Depuis plusieurs lustres, l’Oreille tendue ne cesse de contredire ceux qui disent que la lettre est disparue avec l’apparition du numérique. À partir du moment où de nouveaux modes de communication sont devenus disponibles, la lettre, elle, a commencé à jouer un rôle particulier. Pour aller vite : on l’utilise évidemment moins, mais, quand on la choisit, cela donne un poids considérable à la forme épistolaire. (L’Oreille cause de cela, par exemple, dans cet entretien.)

C’est notamment vrai dans le domaine du sport. En 2015, le joueur de baseball Alex Rodriguez diffuse une lettre d’excuse — manuscrite ! : oui, il s’est dopé. En 2020, Willian Borges da Silva quitte le club de foot de Chelsea et rédige une lettre d’adieu. En 2021, le hockeyeur Mike Bossy écrit une lettre à ses partisans pour commenter ses problèmes de santé.

Plus tôt cette semaine, le joueur de centre des Bruins de Boston Patrice Bergeron a annoncé sa retraite. Comment ? En rédigeant deux longues lettres, l’une en anglais, l’autre en français. Pourquoi cette façon de faire ? Il a expliqué à Simon-Olivier Lorange de la Presse+ comment «ce médium […] s’est imposé à lui à ce moment névralgique de sa vie», même si l’écriture n’a jamais été une «force» chez lui :

Je savais que d’écrire mes pensées et mes états d’âme, c’était probablement la meilleure façon pour moi d’exprimer ce que je ressentais, ce que je voulais dire aux gens qui m’ont tant aidé, qui ont eu une influence immense sur ma carrière, a-t-il poursuivi. C’était la meilleure solution.

Une conférence de presse a suivi, mais le principal intéressé s’en serait passé. La lettre, cette forme qui reste, lui aurait suffi.

P.-S.—Oui, bien sûr, l’Oreille a écrit sur les lettres des sportifs : voir ici, ou là encore. Ci-dessous, une autre référence.

 

Référence

Melançon, Benoît, «Le cabinet des curiosités épistolaires. Le courrier des sportifs», Épistolaire. Revue de l’AIRE (Association interdisciplinaire de recherche sur l’épistolaire, Paris), 33, 2007, p. 279-283; repris, sous le titre «Sportifs épistolaires», dans Écrire au pape et au Père Noël. Cabinet de curiosités épistolaires, Montréal, Del Busso éditeur, 2011, p. 81-89. https://doi.org/1866/32393

Benoît Melançon, Écrire au pape et au Père Noël, 2011, couverture

Jazzer le hockey

Hugo Blouin, Sport national, 2023, pochette

«Le but !
But, but, but, but, but !»

L’Oreille tendue s’intéresse aux liens entre sport et culture au Québec. Elle a écrit, entre autres sujets, sur des icônes sportives — Maurice Richard, Jean Béliveau, Guy Lafleur —, sur les relations entre bande dessinée et hockey, et sur la chanson et ce sport.

Elle se devait d’écouter le plus récent album du compositeur et contrebassiste Hugo Blouin, Sport national (2023).

Blouin n’est (n’était ?) pas un amateur de hockey : les onze pièces «de musique de chambre de hockey» qu’il vient de lancer «suivent [sa] découverte fascinée de ce sport et de cet objet culturel», à la «manière d’un documentaire» (livret de l’album). Il n’est donc pas obsédé — comme l’est parfois l’Oreille — par la langue de puck ou — comme le sont certains — par les arcanes du sport.

Il met en scène des événements largement connus : l’équipe des Canadiens de Montréal est créée en 1909, comme le rappelle «Sport national»; l’émeute du 17 mars 1955 à la suite de la suspension de Maurice Richard est évoquée dans «La soupape» et dans «Ne plus causer de trouble»; la série de 1972 (dite «du siècle») entre les Canadiens et les Soviétiques, ces «robots», se retrouve dans «Attaboy» (en français, en anglais et en russe), dans «God is Canadian» (en anglais) et dans «This is War» (en anglais et en français). Blouin sait qu’il y a eu récemment une équipe de la Ligue nationale de hockey à Québec, mais qu’il n’y en a plus : «Ce n’est pas une séparation / Ce n’est pas un divorce / C’est une mort» («Le glas»).

Relevant du jazz, les chansons sont toutes interprétées par Julie Hamelin, souvent accompagnée par un chœur, sauf la dernière, «Ne plus causer de trouble». (L’Oreille doit confesser un tout petit chagrin : au «trouble» de cette version, elle aurait préféré le «troubbe» d’origine.) La plupart des pièces s’appuient, de façon plus ou moins importante, sur des «repiquages» d’extraits sonores : reportages télévisés (Radio-Canada, CBC, etc.), documentaires, vox-pop, conférences de presse (Pierre Elliott Trudeau, Phil Esposito). On reconnaît aussi bien Marc Bergevin que Foster Hewitt, Jean St-Onge et Kim Saint-Pierre. Des paroles sont tirées de déclarations officielles, d’entrevues, de chroniques, de reportages, de tribunes téléphoniques ou d’histoires du sport. Olivier Niquet a collaboré à «Ça sent la coupe», en fournissant «les propos de nos hommes de hockey préféré», propos tous moins glorieux les uns que les autres.

Des choses sont inattendues. En néophyte, Blouin n’a pas de prévention envers le hockey féminin : «Manon» rappelle les souvenirs de la carrière de Manon Rhéaume et les niaiseries sexistes auxquelles elle a dû faire face; «Le but» fait entendre la victoire en prolongation de l’équipe féminine canadienne contre l’équipe américaine aux jeux Olympiques de Sotchi en 2014. «Sport national» s’appuie sur un court métrage assez peu connu des amateurs de sport, Un jeu si simple, de Gilles Groulx (1964). Faire chanter la violence et les bagarres par une voix féminine donne un air d’étrangeté aux propos des goons : «Lachez pas, y faut toutes les tuer» («Pas des mitaines»). Peu de joueurs sont nommés, alors que plusieurs des chansons enregistrées multiplient traditionnellement ce genre d’allusions. Tout cela est bienvenu.

Bref, foi d’Oreille, c’est à mettre entre entre toutes (les oreilles).

P.-S.—Elle est un peu perplexe devant le refrain de «Sport national» : «Bassin ! Bassin !»

 

Références

Melançon, Benoît, «Chanter les Canadiens de Montréal», dans Jean-François Diana (édit.), Spectacles sportifs, dispositifs d’écriture, Nancy, Questions de communication, série «Actes», 19, 2013, p. 81-92. https://doi.org/1866/28751

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Benoît Melançon, Langue de puck. Abécédaire du hockey, 2014, couverture

Pas derrière Zdeno Chára

Dans la Presse+ d’hier, rubrique «Mauvaise conduite», sept journalistes qui y couvrent le sport répondaient à la question «Quelle expression liée au sport vous irrite le plus ?» Réponses : le recours au «tu» collectif (Simon-Olivier Lorange), «éthique de travail» (Guillaume Lefrançois), «grande finale» (Mathias Brunet), «match sans lendemain» (Richard Labbé), «tir sans avertissement» (Justin Vézina), «équipe canadienne de soccer féminin» (Nicholas Richard), «vibrer les cordages» (Jean-François Tremblay).

L’Oreille tendue a beaucoup (trop) réfléchi à la langue du hockey. Que répondrait-elle à cette question ?

Elle choisirait probablement le verbe se blottir, si cher au cœur du commentateur Yvon Pedneault. Exemple : «X est allé se blottir derrière le défenseur.»

Au sens strict, cet usage peut se défendre, si l’on en croit les définitions du Petit Robert (édition numérique de 2018) : «Se ramasser sur soi-même, de manière à occuper le moins de place possible»; «Se mettre à l’abri, en sûreté.»

Cela étant, l’Oreille, quand elle entend se blottir, pense lit, couverture, confort. Le Petit Robert, encore : «Se blottir dans un coin, dans son lit, sous ses couvertures.»

Elle ne penserait jamais à cela en allant se placer derrière (l’ancien joueur) Zdeno Chára, 2,06 m, 116 kilos (souvent déposés peu délicatement sur un joueur adverse). Il y a des endroits plus accueillants dans la vie.

Bien sûr, vous vous blottissez où vous voulez sur la glace. Tous les dégoûts sont dans la nature.

 

Référence

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Benoît Melançon, Langue de puck. Abécédaire du hockey, 2014, couverture

Autopromotion 701

Benoît Melançon, les Yeux de Maurice Richard, éd. de 2012, couverture

Depuis plusieurs années, l’Oreille tendue s’intéresse aux représentations de Maurice Richard — c’est du hockey.

En 2006, elle lui consacrait un livre, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle.

La Société internationale de recherche sur le hockey a retenu ce livre parmi ses «15 livres remarquables sur le hockey en français» (la liste complète, en PDF, est ici).

L’Oreille est honorée. Merci.

 

Référence

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.