Accouplements 61

«Pour la suite du monde», graffiti, Paris, 2016

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Au printemps 2012, des grèves étudiantes ont secoué le Québec. L’Oreille tendue avait alors rassemblé, sur Tumblr, les Pancartes de la GGI (grève générale illimitée). Elle leur a aussi consacré un texte ici.

Depuis le printemps 2016, des mouvements sociaux secouent la France. Un site Web rassemble «Les meilleurs graffitis du mouvement contre la Loi Travail».

Les rues parlent.

Ali et Richard, bis

Hier, il était question ici même des rapprochements possibles entre le boxeur Mohamed Ali (né Cassius Clay, 1942-2016) et le hockeyeur québécois Maurice Richard (1921-2000). Ci-dessous, un complément iconographique.

Le magazine américain Sport d’avril 1955 comporte une photo de Maurice Richard fort différente de celles qu’on voit habituellement. Une épaule le tirant vers le sol et l’autre vers le ciel, les yeux tournés vers ce ciel, son bâton le protégeant et pointant lui aussi vers le ciel, le visage couvert d’une légère couche de sueur, ce Richard-là a tout du saint Sébastien de Luca Giordano, le peintre baroque du XVIIe siècle. Entre le Richard de Sport et «Le martyre de saint Sébastien», on peut multiplier les points communs : la position des épaules est la même, le cou est en extension dans les deux cas, les yeux sont également à la limite de la révulsion, les deux corps se détachent d’un fond noir, là où l’un a une flèche au flanc, l’autre tient son bâton.

Maurice Richard et saint Sébastien

Treize ans plus, en avril 1968, Ali fait la une du magazine Esquire. Cette photo, prise par Carl Fischer (historique ici), sur une idée de George Lois (explication ), évoque également saint Sébastien, à un moment où Ali est interdit de boxer à cause de son refus de participer à la guerre du Viêt-Nam. Sous la photo, une légende : «The Passion of Muhammad Ali.» La photo est inspirée d’un tableau de Francesco Botticini, «Saint Sébastien», qui se trouve au Metropolitan Museum de New York.

Saint Sébastient et Mohamed Ali, collage

Sébastien aurait été un soldat de l’armée romaine et il aurait vécu à la fin du IIIe siècle; il aurait été transpercé de flèches sur les ordres de l’empereur Dioclétien parce qu’il était chrétien. Comme lui, (le bon catholique) Maurice Richard et (le musulman) Mohamed Ali auraient été des martyrs.

[Ce texte reprend une analyse publiée dans les Yeux de Maurice Richard (2006).]

 

Références

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Accouplements 58

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

C’était le 20 février 2016. L’amie Martine Sonnet, sur son blogue, donnait à voir un(e) couple de valises.

Photo par Martine Sonnet, 2016Sur Twitter, plus tôt cette semaine, Florent Daudens présentait «Duos de voyage // Travel duos».

Florent Daudens, «Duos de voyage», 2016L’univers du voyage serait-il inégalitaire ?

P.-S. — L’Oreille tendue a déjà dit tout le bien qu’elle pense des livres de Martine Sonnet, par exemple Atelier 62 et Montparnasse monde.

Accouplements 54

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

En 2013, Alain Farah publie, au Quartanier, Pourquoi Bologne. Annik MH de Carufel, dans le Devoir du 24 août, le photographie dans une piscine.

Plus tôt cette semaine, au Quartanier, on réédite en un seul volume les trois romans de la série 1984 d’Éric Plamondon. Rodolphe Escher (p. 171) fait son portrait dans l’eau jusqu’au cou.

Écrire comme un poisson dans l’eau ?

 

[Complément du 1er octobre 2019]

Ce n’est manifestement pas le propre des écrivains.

[Complément du 30 mars 2023]

Le mononc’ peut, lui aussi, être aquatique.

Frédéric Beigbeder, Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé, 2023, couverture

 

Références

Farah, Alain, Pourquoi Bologne. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 71, 2013, 206 p.

Plamondon, Éric, 1984. Romans. Trilogie. Hongrie-Hollywood Express. Mayonnaise. Pomme S, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 96, 2016, 600 p. Ill.

Génuflexions

Illustration tirée de Refrancison-nous, 1951, deuxième édition

L’Oreille tendue aime citer cette phrase d’André Belleau (parmi tant d’autres) : «La vérité, c’est que les langues sont des guidounes et non des reines» (éd. de 1986, p. 118). Elle l’a fait dans un article en 1991, et ici même le 2 février 2012 et le 12 novembre 2013. Et la liste n’est pas exhaustive.

Son sens ? Les langues ne sont pas à vénérer (ce ne sont pas des reines), mais à embrasser, voire plus si affinités (ce sont des guidounes).

L’Oreille pensait que cette vénération était propre au Québec. Ce n’est peut-être pas le cas. C’est du moins de ce que donne à penser la citation suivante, gracieuseté de l’émissaire québecquois de ce blogue :

Faire acte d’allégeance à la langue française, amour et soumission, est pour l’écrivain le seul espoir qui lui reste de se reconstituer entièrement, de se rétablir dans son intégrité primitive. À la suite de Charles d’Orléans, de Malherbe, de Jean de Sponde, et de tous ceux qui ont eux-mêmes suivi ces pères fondateurs, Racine et Pascal, Sade et Voltaire, Baudelaire et Hugo, Proust et Céline — deux par siècle, toujours — l’écrivain français doit user et fortifier sa langue, «au seing de la tant désirée France», écrit du Bellay, comme les premiers hommes conservaient le feu et se le transmettaient de père en fils. C’est dans son Enfer que Dante a mis un écrivain coupable d’impiété envers sa langue natale : pas de salut pour lui ! (p. 148)

«Faire acte d’allégeance», pratiquer la «soumission», ainsi que l’écrit Jacques Drillon en 1991, cela se conçoit certes pour une guidoune, mais encore plus facilement pour une reine.

 

Illustration : F. J.-F. [Frère Jean-Ferdinand], Refrancisons-nous, s.l. [Montmorency, Québec ?], s.é., coll. «Nous», 1951 (deuxième édition), 143 p., p. 14.

 

Références

Belleau, André, «Langue et nationalisme», Liberté, 146 (25, 2), avril 1983, p. 2-9; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 88-92; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 115-123; repris, sous le titre «Langue et nationalisme», dans Francis Gingras (édit.), Miroir du français. Éléments pour une histoire culturelle de la langue française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Espace littéraire», 2014 (troisième édition), p. 425-429; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 113-121. https://id.erudit.org/iderudit/30467ac

Drillon, Jacques, Traité de la ponctuation française, Paris, Gallimard, coll. «Tel», 177, 1991, 472 p.

J.-F., F. [Frère Jean-Ferdinand], Refrancisons-nous, s.l. [Montmorency, Québec ?], s.é., coll. «Nous», 1951 (deuxième édition), 143 p. Ill.

Melançon, Benoît, «Le statut de la langue populaire dans l’œuvre d’André Belleau ou La reine et la guidoune», Études françaises, 27, 1, printemps 1991, p. 121-132. https://doi.org/1866/28657