Préfixe du jour

Yves Boisvert, la Presse+, 18 août 2019, titre

Dans sa chronique du jour du quotidien montréalais la Presse+, Yves Boisvert répond aux gens qui, pour cause d’écoanxiété, décident de ne pas faire d’enfant : «Oui, cette idée de déprocréation, ça se comprend. Les raisons de désespérer sont nombreuses et spectaculaires.» Boisvert ne partage pourtant pas cette idée.

L’oreille de l’Oreille tendue s’est tendue devant le préfixe dé- dans déprocréation. Pourquoi pas refus de la procréation ou non-procréation, voire improcréation ?

Le préfixe dé- a les sens suivants suivant le Petit Robert (édition numérique de 2018) : «Élément, du latin dis-, qui indique l’éloignement (déplacer), la séparation (décaféiné), la privation (décalcifier), l’action contraire (décommander, défaire, démonter).» S’appliquent-ils ici ?

Éliminons «l’éloignement» et «la séparation» : ce n’est manifestement pas ce qui est en cause. De même, «l’action contraire» n’est pas envisageable : il ne s’agit pas de revenir à un état antérieur à la création (en décommandant, en défaisant ou en démontant un enfant — façon de parler).

Reste «la privation». Prenons l’exemple du Robert, décalcifier : «Priver d’une partie de son calcium.» Encore une fois, il est difficile d’enlever quelque chose au type de création dont il est question. L’enfant existe ou pas.

Bref, l’Oreille tendue n’est pas convaincue par le mot (par les arguments de Boisvert, en revanche, si), ce qui ne veut rien dire : l’usage tranchera.

P.-S.—Pour l’instant, si l’on se fie à Google, Yves Boisvert est une des très rares personnes à avoir employé le mot. (Ô ironie ! L’Oreille s’ajoutera bientôt à ce petit nombre.)

Lectures de fin de semaine

Le Canada privé de l’or par la Finlande, titre de presse, 26 mai 2019

Comme tout un chacun, l’Oreille tendue consomme de l’information. Ces derniers jours, dans des médias locaux, elle est tombée sur trois phrases qui l’ont poussée à se poser des questions.

Dans «Aujourd’hui, une nouvelle gauche, passée du social au sociétal, met en procès la civilisation occidentale pour cause de racisme, de sexisme et de nationalisme», quelle est la différence entre «social» et «sociétal» ?

Dans «Il a beau être le plus grand stade d’Europe avec ses presque 100 000 sièges, le Camp Nou de Barcelone s’affiche avant tout en catalan», quel est le lien logique entre les deux éléments de la phrase ?

Dans «Le Canada privé de l’or par la Finlande», faut-il comprendre que le Canada était assuré de gagner au Championnat du monde de hockey et qu’il a été «privé» de ce qui lui était dû ? «La Finlande bat le Canada et gagne la médaille l’or», ce n’aurait pas été plus juste ?

Proposition de moratoire du lundi pluvieux

Logo de Netflix

Soit trois phrases tirées du quotidien le Devoir :

«Le géant de l’informatique [Apple] aligne les stars afin de rivaliser avec les Netflix de ce monde» (26 mars 2019, p. B7).

«On saura si les Netflix de ce monde ont reçu des traitements de faveur» (7 mai 2019).

«Qu’une star de ce calibre veuille se pencher sur un projet aussi délicat en apparence pouvait rassurer Hulu, une plateforme qui commence sérieusement à toiser les Netflix de ce monde […]» (18-19 mai 2019, p. 35).

Laissons Netflix tranquille, mais faisons un usage plus parcimonieux du syntagme «de ce monde».

Merci à l’avance.

Le passé de la langue, son présent

«Ça fera», titre de la Presse+, 26 avril 2019

L’Oreille tendue n’est plus de la première jeunesse. Il lui arrive d’entendre ou de lire des mots et de se dire «Tiens, ça se dit encore».

En 2009, elle s’étonnait de la persistance de poche. La semaine dernière, à la radio, elle s’étonnait plus encore de celle Rhodésien.

Autre exemple récent, tiré de la Presse+, en titre : «Ça fera

Traduction libre : «Ça va bien faire», «Assez, c’est assez».

Il y a bien quelques décennies que l’Oreille n’avait pas entendu l’expression. Cela n’engage qu’elle, bien évidemment.

 

[Complément du 31 décembre 2021]

Exemples livresques :

«j’suis parti / heille / ça fera» (Trouve-toi une vie, p. 36).

«Ben là ça fera OK, je veux que tu respectes mon choix» (Je suis un produit, p. 121).

 

Références

Boudreault, Simon, Je suis un produit, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2021, 157 p.

Cloutier, Fabien, Trouve-toi une vie. Chroniques et sautes d’humeur, Montréal, Lux éditeur, 2016, 140 p. Dessins de Samuel Cantin.

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 29 février 2016.

La clinique des phrases (hh)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit la phrase suivante, tirée d’un quotidien montréalais, dans une chronique portant sur l’interdiction du port des signes religieux chez les agents de l’État :

Taylor a toutefois insisté pour que la Commission n’affirme pas que l’interdiction soit vue comme une conséquence nécessaire du principe de laïcité.

Tous les mots de la phrase sont français, la syntaxe est (en partie) correcte et pourtant ça ne va pas. Que faire ?

Essayons ceci :

Taylor a toutefois insisté pour que la Commission n’affirme pas que l’interdiction était une conséquence nécessaire du principe de laïcité.

Le verbe être est souvent utile.

À votre service.