Swift à toutes les sauces

En 1726 paraît Gulliver’s Travels de Jonathan Swift. Ces voyages imaginaires ont connu une fortune considérable, notamment au cinéma et à la télévision.

C’est aussi vrai du dessin d’humour, dans lequel on aime bien rejouer la scène où Lemuel Gulliver, sur l’île de Lilliput, se réveille couché sur le dos, retenu par des câbles. Le 1er décembre 2018, André-Philippe Côté a ainsi mis en scène le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford. Le 9 novembre 2020, Michael de Adder appliquait le même traitement au 45e président des États-Unis.

Grâce au magnifique site Wikia La BD de journal au Québec, l’Oreille tendue découvre une publicité illustrée parue dans la Presse le 8 mai 1943, en pleine Deuxième Guerre mondiale. Il s’agit d’encourager les lecteurs du quotidien montréalais à participer à l’effort de guerre et à acheter des Obligations de la Victoire : tout effort individuel, même modeste, contribuera à financer «la machine de guerre la plus puissante de l’histoire du monde».

Publicité pour les Obligations de la Victoire, la Presse, 8 mai 1943

La littérature et le dessin, armes de guerre ?

P.-S.—Oui, vous avez bien lu, l’Oreille tendue évoquait la caricature de Côté dans son livre Nos Lumières (2020).

 

Référence

Melançon, Benoît, Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 194 p.

Votre arrière-grand-père et Voltaire

La semaine dernière, en goguette conjugale sherbrookoise, l’Oreille tendue a visité une exposition consacrée à Voltaire. Son attention a été attirée, entre autres choses, par une publicité de la bière Molson représentant l’écrivain.

Publicité de la bière Molson représentant Voltaire, 1954

Pourquoi citer Candide et parler d’«arpents de neige» ? C’est que Voltaire «était convaincu que le Canada ne valait pas qu’on se batte pour le conserver», dit l’annonce. Des «arpents de neige», cela vaudrait bien peu.

Intriguée, l’Oreille a mené enquête. Voici quelques découvertes préliminaires, grâce aux merveilleuses ressources numériques de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

Cette publicité n’a pas paru que dans le quotidien montréalais le Devoir (9 avril 1954, p. 5), comme l’indique le musée diocésain de Sherbrooke; on la trouve aussi — recherche non exhaustive — dans l’Action catholique (23 juin 1954, p. 21) et dans le Droit (28 juillet 1954, p. 15).

Cette «réclame» s’inscrit dans «une série publiée par Molson’s», dit-on. Qu’y trouve-t-on ? Sous l’intitulé «Qui a dit… ?», d’autres personnages historiques sont associés à des phrases, parfois datées :

«Le temps c’est de l’argent !» («François» Bacon, 1620, le Bien public, 21 mai 1954, p. 6);

«Je répondrai par la bouche de mes canons» (Frontenac, 1690, le Droit, 21 avril 1954, p. 15 et 21 juin 1954, p. 15);

«Après moi le déluge» (Louis XV à Mme de Pompadour, le Droit, 28 mai 1954, p. 24 et 25 août 1954, p. 11);

«Une armée marche sur son ventre» (Napoléon, le Guide, 18 février 1954, p. 6; le Canada, 26 mai 1954, p. 8; le Clairon maskoutain, 28 mai 1954, p. 14);

«Les Canadiennes sont si jolies que ça repose les yeux lorsqu’on en rencontre une qui l’est moins» (Mark Twain, 1881, le Droit, 16 février 1954, p. 12 et 20 août 1954, p. 10);

«Le XXe siècle appartient au Canada» (Wilfrid Laurier, le Bien public, 18 juin 1954, p. 6).

Chaque publicité est illustrée par un portrait de la personne à qui on doit la citation, sauf pour Napoléon : au lieu d’une représentation d’époque, on a dessiné quatre militaires contemporains, sourire aux lèvres, remplissant leur plateau de victuailles.

Le slogan «La bière que votre arrière-grand-père buvait» ne correspond guère aux exigences de la publicité actuelle, laquelle préfère généralement l’ultramoderne à la tradition. Molson l’a pourtant utilisé pendant des décennies. Il apparaît en effet dès les années 1910 (la Presse, 30 mai 1916, p. 10).

Ce n’est pas la première fois que Molson fait appel à l’histoire pour vendre ses produits. En 1931, le XVIIe siècle était à l’honneur : Louis Hébert défrichant son champ en 1620 (le Nouvelliste, 24 octobre 1931, p. 5); Lambert Closse défendant l’Hôtel-Dieu en 1652 (la Presse, 16 juin 1931, p. 21); Louis Joliet quittant Lachine en 1673 (le Progrès du Golfe, 1er mai 1931, p. 4). Chaque réclame était accompagnée de sa vignette explicative.

En 1952, la campagne publicitaire porte sur les richesses contemporaines du Québec : le titane (le Journal de Waterloo, 1er février 1952, p. 2); le tourisme (le Guide, 24 avril 1952, p. 4); les ressources naturelles (le Guide, 1er mai 1952, p. 5); le cuivre (le Petit Journal, 24 juin 1952, p. 22). La perspective n’est plus historique, mais économique.

Nos «arrière-grands-pères» — nos «arrière-grands-mères» ? — s’instruisaient en buvant. Envions-les.

P.-S.—En matière de bière, on trouvera d’autres publicités québécoises illustrées ici.

 

[Complément du 25 janvier 2023]

La clinique des phrases (kkkk)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit la phrase suivante :

«De plus, on définit un continuum d’interventions afin d’agir efficacement auprès des problèmes comportementaux.»

«Auprès de ma blonde» ? Oui. Auprès de nos bénéficiaires ? Oui. Auprès de l’autel ? À la rigueur. «Auprès des problèmes» ? Non.

S’agissant d’un cadre scolaire, proposons ceci :

«De plus, on définit un continuum d’interventions afin d’agir efficacement auprès des élèves avec des problèmes comportementaux.»

À votre service.