Le kliss de morceau de bravoure du jour

Jean-François Chassay, les Taches solaires, 2006, couverture

Quiconque, comme l’Oreille tendue, aime sacrer ne pourra qu’apprécier ce passage du roman les Taches solaires (2006) de Jean-François Chassay :

Mon canal ! Mon canal ! Mon c-a-n-a-l, à créyé de kessé que j’avâs toutte prévu, kliss de porkioupïne, orignal de mon caleçon de bâsteurde ! Les écluses entre Saint-Louis pis Saint-François, 30 mètres sur 6, caltâsse de simonac ! Eul’ corridor dans sa largeur, pis eul’ canal dans toutte sa sôdite longueur de vinyenne ! Les sas pis les biefs, pis yousse qu’on met la porte en amont, pis touttes les sôdits calculs hydrauliques de base, géribouaîre ! Les débits, les pentes, la vélocité, asprit, j’ai même pensé au saint-libouére de bassin Wellington de mon darrière, pis y aura même pâs de bateaux là avant 60 clisses d’années, verrat de chien puant ‘à marde ! Touttes les shôgun de bassins, han ?! Han ?! Ben sontaient toutes là dans ma tête pis drette là su’ mes métempsychoses de plan ! J’ai même vu les bâsteurdes de ponts ferroviaires de kessé que j’sais pas de kessé que ça veut dire que j’lé cré même pas quand y’s ploguent dans ma tête, non mais ça tzu d’la maudite allure, ça là, non mais ça prend-tzu des crétaques d’hostos de tabaslak de voleurs d’enfants de nananes pourris ! Aye, Marie, t’aimes ça les orignals, han, t’aimes ça les orignals, géribouaîre ? Ben m’a t’en trouver un caltâsse, m’a l’amener en plein cœur de Montréal, pis les bâsteurdes de sépulcres blanchis d’enfant d’chienne, m’a les enculer avec ‘eul panache ! (p. 243-244)

À lire à haute voix.

 

[Complément du 3 janvier 2022]

En matière de chapelets de sacres, quelques accessits, en ordre chronologique.

«par ces maudits tabarnaques
de cinciboires de cincrèmes
de jériboires d’hosties toastées
de sacraments d’étoles
de crucifix de calvaires
de trous-de-cul
j’ai mal à mon pays
jusqu’à la fin des temps» (Gérald Godin, Libertés surveillées).

On peut entendre Gérald Godin lire une version légèrement différente de ce texte ici.

«Mastaï hurlait des “tabarnane de cibolaque de câline de binne d’hoston de calvinusse de chrysantème”, qui faisaient pâlir les sœurs et rougir les religieux» (Michel Tremblay, La grosse femme d’à côté est enceinte, p. 162).

«Criss de tabarnak d’hostie de calice de ciboire d’étole de viarge, oussé kié le sacramant de calice de morceau de casse-tête du tabarnak !» (François Blais, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant, p. 124)

«Y aiment crissement ça, tabarnak. Si j’fais pas ça, stie d’tabarnak, quessé m’as faire, crisse ? C’est mon ostie d’job d’être la tabarnaque de chef-cook, câlisse. On sert à d’quoi, icitte, crisse de tabarnak. On pourrait pas m’laisser tranquille une crisse de fois d’estie d’tabarnak ? Ça s’pourrait tu ça, câlisse de crisse ?» (Simon Boudreault, Sauce brune, p. 81)

«Et et et si on s’éteignait demain. Je veux dire, en tant que que que race humaine. Ou ou ou ou je veux dire, en tant que généalogie pensante. Ou je veux dire, faux prophètes, ou je veux dire menteurs de tabarnak du crisse d’estie de viarge de crisse de fuck qu’on est menteurs, ou je veux dire, plantes basiques dont l’oxygène est l’hypocrisie calme et généreuse. Je je je me regarde et je je je comprends ce que tu veux dire» (Emmanuel Schwartz, p. 36).

«Ben voyons donc… mais ça a pas d’ostie d’câlice de trou d’cul d’marde de saint-ciboire de tabarnac de bon sens ! (Chienne(s), p. 110)

 

Références

Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.

Boudreault, Simon, Sauce brune, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2010, 137 p.

Chassay, Jean-François, les Taches solaires. Roman, Montréal, Boréal, 2006, 366 p. Ill.

Godin, Gérald, Libertés surveillées, Montréal, Éditions Parti pris, coll. «Paroles», 38, 1975, 50 p.

Milot, Marie-Ève et Marie-Claude St-Laurent, Chienne(s), Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 25, 2020, 155 p. Ill. Suivi de «Contrepoint. Cachez ce cerveau que je ne saurais voir» par Catherine Lord.

Schwartz, Emmanuel, dans Et si on s’éteignait demain ? Collectif dirigé par Marie-Élaine Guay, Montréal, Del Busso éditeur, 2019, p. 32-41.

Tremblay, Michel, La grosse femme d’à côté est enceinte, Montréal, Leméac, 1978, 329 p.

Du nouveau dans la sacristie

L’Oreille tenduec’est de notoriété publique — aime sacrer. Elle a, entre autres penchants, un faible pour tabarnak. Criss ne lui déplaît pas non plus.

Elle ne connaissait toutefois pas tabarcrisse, qu’elle découvre dans «J’use d’la langue» (2008), une chanson d’Arseniq33 : «J’use d’la langue que j’m’expresse le mieux avec tabarcriss.»

Même si la chanson cite Nelligan et évoque Gérald Godin, Gaston Miron et Félix Leclerc, il n’est pas sûr qu’elle trouverait grâce aux oreilles de Mathieu Bock-Côté et de Christian Rioux. C’est comme ça.

Citation métalinguistique du jour

Jean-François Chassay, les Taches solaires, 2006, couverture

 

«Mais putain de marde, y a pas plus Québécoise que moi, tu vois pas que là, juste là, se trouve l’enfant de chienne de fondement à mon problème ?? J’ai honte de ne pas parler 12 langues, seulement une et demie ! J’ai l’impression de ne jamais avoir de bâtard de vocabulaire quand j’ouvre la bouche pis pas une ostie d’idée quand j’ouvre mon cerveau ! Je ferme ma gueule quand je me trouve devant le moindre péquenot européen que je rencontre, convaincue qu’il sait plus de choses que moi et qu’il parle mieux que moi, même si en même temps je suis parfaitement convaincue du contraire ! […] J’ai honte de ne pas parler parfaitement anglais et j’ai honte de cette honte, parce que pourquoi je ne parlerais pas plutôt d’abord slovaque si le cœur m’en dit, est-ce du racisme inconscient à l’égard des Slovaques ou, tiens, pourquoi pas, le swahili ? Et pourquoi au Canada anglais ils ne parlent que l’anglais et n’ont ni honte, ni remords et trouvent ça normal ?»

P.-S. — Le lecteur curieux pourra lire en parallèle cette déclaration d’un personnage du roman les Taches solaires de Jean-François Chassay (2006) et tel passage du roman la Folle de Warshaw de Danielle Phaneuf (2004).

Jean-François Chassay, les Taches solaires. Roman, Montréal, Boréal, 2006, 366 p., p. 288-289.

Compter les sacres

En septembre 2013, Influence Communication, «le plus important courtier en nouvelles au Canada», publiait son «Analyse de l’utilisation des jurons dans les médias québécois» (PDF ici).

L’étude portait sur la période allant du 1er septembre 2012 au 31 août 2013 et couvrait la radio, la télévision et les journaux.

Citations choisies

1. «Au cours des deux dernières années, la radio et la télévision québécoises nous ont servi 71 275 jurons. En moyenne, nos médias diffusent 98 jurons par jour ou quatre à l’heure» (p. 4).

2. «Nous avons remarqué une corrélation entre l’utilisation des jurons et le poids médias des nouvelles suivantes : la loi sur le placement syndical, les révélations sur la corruption/collusion, les problèmes de circulation. En fait, plus nos médias accordent de l’attention à ces thèmes et plus nous relevons de jurons.

Si nous qualifions la radio de média spontané, il en est de même dans l’utilisation des jurons. En effet, 79 % des “sacres” sont diffusés à la radio. Or, celle-ci ne génère en moyenne que 66 % de l’ensemble du contenu des médias électroniques au Québec (radio et télévision). La radio est donc surreprésentée à ce chapitre considérant son poids relatif» (p. 4).

3. «Avec un poids médias frôlant le 25 %, “maudit/maudite” est l’expression la plus largement utilisée dans l’ensemble des médias (radio et télévision) chaque année. À titre d’exemple, lors de la dernière année, sur 12 000 “maudit” recensés au Québec, 1 163 ont été publiés dans les journaux, 1 925 prononcés à la télé et plus de 9 167 entendus à la radio.

Au second rang, on pourrait parler de spécificités médiatiques. “Tabarouette” est le juron radiophonique par excellence dans 19 % des cas. À l’inverse, la télévision privilégie l’interjection “merde” dans 17 % des situations» (p. 5).

Le 5 juin 2013, sur les ondes de Radio-Canada, l’Oreille tendue sacrait, et beaucoup. Cela a peut-être gonflé artificiellement la place de tabarnak dans les chiffres d’Influence Communication. (Selon les statistiques des pages 11-12, parmi «Les jurons les plus populaires», «Tabarnacle» arrive au 19e rang, «Tabarnak» au 25e, «Tabernacle» au 36e et «Tabernak» au 46e.)