Le 30 octobre 2000, le fils aîné de l’Oreille tendue lançait son premier «Tabarnak !». Il n’avait pas encore trois ans.
Deux jours plus tard, c’était son premier «Pourquoi ?».
Voilà un garçon qui a le sens des priorités.
« Nous n’avons pas besoin de parler français, nous avons besoin du français pour parler » (André Belleau).
Le 30 octobre 2000, le fils aîné de l’Oreille tendue lançait son premier «Tabarnak !». Il n’avait pas encore trois ans.
Deux jours plus tard, c’était son premier «Pourquoi ?».
Voilà un garçon qui a le sens des priorités.
Un juron québécois (câlisse) et une de ses formes dérivées (décâlisser) sont à l’honneur cette semaine.
C’était mardi à l’hôtel du Parlement du Québec.
C’était ce matin à la Commission (québécoise) d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics, dite Commission Charbonneau.
Et nous ne sommes que jeudi midi.
[Complément du 4 octobre 2013]
Plus tard le même jour.
Au courrier, le recueil de nouvelles de Françoise Major, Dans le noir jamais noir (Montréal, La mèche, 2013, 127 p.). Page 13, on lit, tout en majuscules, «MAN, EST GROSSE, ON DÉCÂLISSE».
Sur le blogue OffQc :
Tout le monde le dit et le répète : les jurons du Québec sont caractérisés par une forte présence de l’attirail liturgique (tabernacle faisant tabarnak, calice devenant câlisse, ciboire évoluant en cibouère). On y est moins portés qu’ailleurs sur Dieu, mais Son fils est partout (Christ se retrouvant sous les traits de crisse).
Au fil des ans, la dimension sacrilège des sacres québécois s’est fortement atténuée. D’une part, la déchristianisation de la population a coupé cet usage linguistique de son arrière-plan sacré : dire sacrament quand on ne va pas à l’église a moins de poids que si on est pratiquant. D’autre part, il existe au Québec une constante euphémisation des jurons, qui a eu pour effet de (presque) ravaler, par exemple, crisse au rang d’un banal crime.
(L’Oreille tendue a consacré nombre de textes à ces questions. Ils sont regroupés ici.)
L’hôtel du Parlement du Québec vient d’être le théâtre de pareille euphémisation. Pas plus tard que cet après-midi, des femmes s’y sont dénudé la poitrine en hurlant «Crucifix, décâlisse !». Sur leurs seins, la même formule était écrite. Elles seraient associées au groupe Femen.
(Pourquoi ? Parce que, dans le débat actuel sur le projet de Charte des valeurs québécoises, il est beaucoup question du maintien, ou du retrait, du crucifix qui orne les murs de l’hôtel du Parlement du Québec depuis 1936.)
Le choix du verbe décâlisser est intéressant. Celui-ci signifie partir, s’en aller. Traduction libre : Crucifix, va-t-en !
Crucifix, décrisse ! n’aurait-il pas été un meilleur choix, bien plus fort ? Dire au Christ du crucifix de décrisser, voilà qui aurait été vraiment blasphématoire.
D’une certaine façon, les protestataires se sont gardé une petite gêne.
P.-S. — Crucifix étant aussi un juron québécois, cela peut mener à une certaine confusion du message. Soit on demande au crucifix de décâlisser. Soit on enjoint à quelqu’un de décâlisser, en utilisant crucifix comme marqueur d’intensité.
P.-P.-S. — Sur Twitter, @kick1972 le faisait remarquer : la langue populaire se porte bien au Salon bleu. La semaine dernière, une députée, en pleins débats parlementaires, a envoyé «chier» la première ministre du Québec, Pauline Marois.
On a eu maintes fois l’occasion de le constater : au Québec, plusieurs jurons (tabarnak) ont une forme euphémisée (tabarnan[ne]).
Il en va de même avec crisse dont on connaît une variante en crime, voire en crimepoff(e).
Exemple publicitaire. La brasserie Sleeman, à la télévision, aime bien mettre en scène son passé trouble, voire criminel. Son slogan ? Sa bière est «bonne en crime.»
P.-S. — L’illustration ci-dessus est tirée de la bande dessinée les Casseurs (éd. de 1988, p. 17).
[Complément du 29 août 2016]
Crimepoff(e) a vraisemblablement transité par l’anglais (cream puffs, choux à la crème).
[Complément du 25 août 2019]
Un personnage de la pièce Lignes de fuite (2019) de Catherine Chabot lance ceci : «Je suis peut-être vieux jeu, mais crime-pof !» (p. 31) Dire «crime-pof» est la preuve que l’on est «vieux jeu».
[Complément du 11 décembre 2021]
Dans la Presse+ du jour, une pub jouant de l’homophonie crime / crème.
Références
Chabot, Catherine, Lignes de fuite, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 20, 2019, 130 p. Ill. Suivi d’Aurélie Lanctôt, «Une génération dans le miroir».
Duchateau, André-Paul et Christian Denayer, les Casseurs. Match-poursuite. Une histoire du journal Tintin, Bruxelles et Paris, Éditions du Lombard, coll. «Les casseurs», 15, 1988, 48 p. Repris dans Denayer & Dûchateau, les Casseurs. L’intégrale, Bruxelles, Le Lombard, 2010, vol. 5.
Motel Galactic est une bande dessinée québécoise de science-fiction — plus précisément de «science-fiction du terroir» (t. 1, rabat) — en trois tomes (2011, 2012, 2013). S’y mêlent «la grande fresque épique et le feuillet paroissial de Saint-Jean-de-Lotbinière» (t. 2, rabat). Les auteurs auraient pour objectif, autrement dit, de «joindre l’infiniment grand et l’infiniment québécois» (t. 2, rabat).
Au XXVIe siècle, «la culture québécoise […] s’est imposée dans toute [sic] l’Univers» et la langue commune est le «spatio-joual» (t. 2, p. 11), ce «nouvel anglais» (t. 2, p. 10). Cela va de soi : on sacre beaucoup.
Prenons l’image suivante (t. 2, p. 86).
On y trouve de nombreux jurons, des formes euphémisées de ceux-ci et des interjections : crimepoff, barnak, simonak, ostie, batinsse, cibole, soda, ayoye, crisse, viarge, mothafucka, bâtard, gériboire, sacrament, etc.
Ailleurs, il y a (au moins) calvâsse, cibolak, crime, cristie, estifi, étolle, géritole, shit, tabarslak.
Le spatio-joual est une langue riche.
P.-S. — Le crimepoffe du premier tome (p. 64) devient un crimepoff (sans e) dans le deuxième (p. 86). Ça fait désordre.
Références
Desharnais, Francis et Pierre Bouchard, Motel Galactic, Montréal, Éditions Pow Pow, 2011, 107 p.
Desharnais, Francis et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 2. Le folklore contre-attaque, Montréal, Éditions Pow Pow, 2012, 101 p.
Desharnais, Francis et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 3. Comme dans le temps, Montréal, Éditions Pow Pow, 2013, 107 p.