Sacrer au musée, tous sexes confondus

Affiche de l'exposition «Tabarnak. L’expo qui jure», 2011

L’Oreille tendue aime les jurons, et particulièrement tabarnak. La catégorie «Jurons» — plus bas, à droite — en est la preuve.

Elle ne peut donc qu’être attirée par «Tabarnak. L’expo qui jure», que présente le Musée des religions de Nicolet jusqu’au 2 septembre.

Trouvera-t-elle une réponse à la question, qui est dans l’air du temps, du juron féminin en société ? Josée Blanchette consacrait cette semaine une entrée de son blogue (Cause toujours) à la question. Dans un registre un brin différent, deux psychologues américains viennent de publier les résultats d’une étude intitulée «Naturalistically Observed Swearing, Emotional Support, and Depressive Symptoms in Women Coping With Illness». (Conclusion provisoire de l’étude : il y a plus efficace, pour une femme, que de jurer en public.)

Iront-ils tous au musée ? On le leur souhaite.

Jurons modestement

Il y a les vrais sacres : tabarnac, cibouère, câââââlice, hostie, crisse, sacrament, etc.

Et il y a les versions édulcorées : tabouère, tabaraouette, torpinouche — et câline de bine.

Est-ce à cela que pensait cet entrepreneur de la région (officiellement bilingue) d’Ottawa ?

Conteneur à déchets

P.-S. — L’image vient du blogue de Jean-François Lisée sur le site du magazine l’Actualité par l’intermédiaire de @pimpettedunoyer.

Retour du tabarnac

Une image, une lecture et un tableau donnent l’occasion à l’Oreille tendue de revenir sur un riche sujet, le juron québécois, plus précisément sur le mot tabarnac (orthographe non certifiée), dont elle a eu souvent l’occasion de parler, par exemple ici.

La photo provient du blogue de Jean-François Lisée sur le site du magazine l’Actualité. Elle montre la vitrine du BHV parisien.

BHV, Paris, vitrine

La souche a la vie dure.

La lecture, elle, est en fait une relecture, celle de la Guerre, yes sir ! (1968) de Roch Carrier. Si, chez BHV, on choisit la graphie tabarnak, il n’en va pas de même chez le romancier, qui conserve leur orthographe d’origine aux nombreux sacres de son texte, qu’il emprunte au vocabulaire religieux : tabernacle, ciboire, calice, hostie, christ, etc. Exemples de concaténation : «Calice d’hostie de tabernacle !» (p. 18); «Calice de ciboire d’hostie !» (p. 77); «maudit ciboire de Christ !» (p. 78); «Christ de calice de tabernacle !» (p. 108).

Or qui les pratique sait que ces mots ne se prononcent que rarement suivant cette orthographe : tabernacle fait tabarnac (ou tabarnak), ciboire se mue en cibouère, calice exige un â long, voire un o ouvert, stie peut remplacer avantageusement hostie, dans christ il n’y a pas de t final (criss).

Plutôt que de reprocher à Carrier la faiblesse de son oreille, il faut peut-être se rappeler l’époque à laquelle il publiait son roman. Aujourd’hui, le sacre a droit de cité depuis longtemps en littérature : les modèles à suivre (ou à ne pas suivre, c’est selon) sont nombreux; on trouve même des exemples publics en France. Ce n’était pas vrai du temps de Carrier : ce pionnier a fait ce qu’il a pu avec les moyens du bord. Il faut lui en être reconnaissant.

Pas de circonstances atténuantes, en revanche, pour un tableau de 1998.  (C’est à cause d’un article de la Presse d’hier, sur la peinture et les Canadiens de Montréal, dans lequel l’Oreille cause.) Inspirée de Chagall, «Rocket Scores» / «Le Rocket marque» est une toile de Saul Miller, peintre et expert en «performance» («Performance Specialist»). Des spectateurs y admirent Maurice Richard, l’ancien joueur des Canadiens. Il a un corps impossiblement allongé. Coiffé d’une auréole, il est en train de déjouer le gardien des Maple Leafs de Toronto, sous les yeux d’arbitres et de joueurs à tête d’animal, pendant que des oiseaux s’éloignent de la glace. Des bulles font entendre les deux langues officielles du pays : «Mon Dieu», «It’s the Rocket», «He scores» — et «Tabernac». Non, trois fois non.

Saul Miller, «Rocket Scores», tableau, 1998

 

Références

Carrier, Roch, la Guerre, yes sir ! Roman, Montréal, Éditions du Jour, coll. «Les romanciers du Jour», R-28, 1970, 124 p. Rééditions : Montréal, Stanké, coll. «10/10», 33, 1981, 137 p.; Montréal, Stanké, 1996, 141 p.; dans Presque tout Roch Carrier, Montréal, Stanké, 1996, 431 p.; Montréal, Éditions internationales Alain Stanké, coll. «10/10», 2008, 112 p. Édition originale : 1968.

Laurence, Jean-Christophe, «Peinture-moi le CH… En 100 ans d’existence, le Canadien de Montréal a inspiré beaucoup de peintres du dimanche, mais très peu de vrais artistes», la Presse, 10 février 2011, cahier Au jeu, p. 4.

Une tabarnac de maestria

L’Oreille tendue a déjà eu l’occasion de causer jurons, notamment ici, et d’avouer sa longue relation affectueuse avec le mot tabarnac. Elle ne peut donc que s’incliner devant la maestria dont fait preuve Julien Poulin, l’interprète du personne d’Elvis Gratton, quand il se plie aux demandes du réalisateur Pierre Falardeau.

Cela, en effet, mérite applaudissements.

 

[Complément du 27 janvier 2019]

En version hexagonale, avec putain, cela donnerait ceci :

Clémentine Latron, blogue Dessine-moi un expat, Courrier international, 12 octobre 2018Source : Clémentine Latron, blogue Dessine-moi un expat, Courrier international, 12 octobre 2018

Un tabarnac de scoop

L’entrepreneur numérique Guy Kawasaki lancera Enchantment. The Art of Changing Hearts, Minds, and Actions, son prochain livre, en mars 2011. Il y démontrera notamment que l’utilisation bien dosée du juron peut contribuer à cet enchantment qui, dans le domaine commercial, est à la fois séduction et conviction. Il est possible, oui, d’enchanter son client en sacrant.

Lecteur, tu l’auras d’abord lu chez l’Oreille tendue.

P.-S. — Il est vrai que tu l’auras peut-être entendu ici. Mais ce n’est pas la même chose.