Modeste suggestion de mise en garde

À la radio de Radio-Canada, entre 11 h et midi, le 30 décembre, on a pu entendre l’émission «Une saison dans la vie de Claude Legault». On y a appris que, pour ce comédien, «Aimer, c’est pas juste fourrer», qu’il préfère le goût du Coca-Cola (il refuse de boire du Pepsi, a-t-il longuement expliqué) et qu’il sacre abondamment (il l’a prouvé par l’exemple).

L’an dernier, à la même époque, dans une émission du même réalisateur, Francis Legault, il était question des érections de Paolo Noël.

Dans la vie de tous les jours, l’Oreille tendue jure sans retenue excessive, elle utilise des gros mots et elle aborde à l’occasion les choses de la reproduction en termes peu choisis. (Pour le Coca-Cola, elle est sans religion.) Quand il lui arrive de parler à la radio, elle ne fait rien de tout cela. Pourquoi ? Parce qu’elle essaie de distinguer ce qui se passe dans sa cuisine de ce qui est diffusé sur les ondes de la radio. Au choix, on appellera cela pudeur, politesse, distance, culture ou civilisation.

Il ne s’agit évidemment pas d’empêcher Claude Legault ou Paolo Noël de parler comme ils parlent dans la vie de tous les jours, ni de penser ce qu’ils pensent. En revanche, si Radio-Canada tient à imposer à ses auditeurs ce genre d’émissions pipeul, pourquoi ne pas expliquer à certains de ses invités que le micro placé devant eux est là pour permettre de les enregistrer et que les propos qu’ils tiennent seront non seulement enregistrés mais rediffusés par la suite, parfois en heure de grande écoute, sur les ondes de la radio, et pas n’importe quelle radio, la radio d’État ? Peut-être parleraient-ils autrement, et d’autre chose.

C’est le début de l’année : on peut toujours rêver.

P.-S. — Au micro d’Antoine Perraud, l’animateur de Tire ta langue, Jérôme Bouvier, le médiateur de Radio France, déclarait le 6 novembre 2011 que, dans le service radiophonique public, il faut «combattre en permanence» ce qu’il appelle l’«entre-soi». C’était dans le cadre d’une émission intitulée «Quelle langue pour une radio de service public ?». Voilà une citation à méditer.

 

[Complément du 2 janvier 2012]

Annuellement, la télévision de Radio-Canada diffuse une revue de fin d’année dont on dit qu’elle devrait faire rire. Celle de 2011 était navrante — ce qui n’est guère étonnant — et elle souffrait du mal décrit ci-dessus — ce qui ne l’est pas plus. Stéphane Baillargeon, du Devoir, déplorait «l’entre-nous» de ce Bye Bye 2011. Sur son blogue, Jean-François Lisée, lui, se posait la question suivante : «Et si on disait Bye-Bye à la vulgarité ?» Il ne paraissait pas exagérément optimiste.

Péril en la demeure ?

On s’inquiète périodiquement de la place du français à Montréal. Un article du Devoir du 28 décembre (p. A2) laisse croire qu’il y a peut-être plus d’espoir qu’on ne le dit généralement.

Dans la nuit du 26 au 27, à Pointe-aux-Trembles, à l’extrémité est de l’île, un incendie a endommagé ce que ses utilisateurs appellent «un lieu d’activités socioculturelles où l’on prie aussi». Le journal, plus simplement, parle de «mosquée».

Le président du «centre», Abdelrhaffar Naim, raconte : «Nous avons vu la boucane monter et nous sommes sortis.»

Parler de boucane, au lieu de fumée, dans une mosquée montréalaise : tout n’est peut-être pas perdu. La langue populaire pénètre partout.

 

[Complément du 13 mars 2024]

Il fut un temps, dans l’histoire linguistique du Québec, où ce mot n’allait pas de soi. C’est le cas chez André Belleau en 1971 : «On était revenu vers le centre par la Côte-des-Neiges. En bas, toutes blanches au-dessus du fleuve, les fumées — j’aimerais dire les boucanes — de Montréal grimpaient puis s’ouvraient comme de grands palmier» (p. 5).

 

Référence

Belleau, André, «Discours de Marcel Duchamp ivre sur la condition des filles du boulevard Saint-Laurent», Liberté, 76-77 (13, 4-5), décembre 1971, p. 5-10. Repris dans Montréal en prose. 1892-1992. Anthologie présentée par Nathalie Fredette, Montréal, l’Hexagone, coll. «Anthologies», 5, 1992, p. 288-294. https://id.erudit.org/iderudit/30676ac

Portrait sanguin du jour

Marcel Schwob, Vies imaginaires, 2011, couverture

«[…] Guillemette, la plus heureuse, saucissière, ayant un petit visage cramoisi qui reluisait comme s’il eût été frotté avec du sang frais de porc.»

Marcel Schwob, «Katherine la dentellière, fille amoureuse», dans Vies imaginaires, Saint-Cyr-sur-Loire, publie.net, coll. «Classiques», 2011. Édition numérique. Édition originale : 1896.