Assis, mais à une table

L’Oreille tendue ne cesse d’être frappée de la conversion (québécoise) du verbe asseoir en synonyme de parler; il en était question ici le 6 octobre 2010 et le 25 février 2011.

En ces matières, l’évolution se fait sous nos yeux. Maurice Richard — pas l’ex-joueur de hockey, mort en 2000, mais le maire de Bécancour, là où se trouve la centrale nucléaire Gentilly-2 — était interviewé le 14 mars par la Presse. Les événements récents au Japon, sans susciter ses craintes, nécessitent néanmoins, selon lui, une rencontre avec les gens d’Hydro-Québec, puisque cette société d’État exploite la centrale. Qu’y fera-t-on ? «On va s’attabler avec Hydro-Québec pour discuter de ce qui peut être fait.»

Pas s’asseoir, mais s’attabler. On n’arrête pas le progrès.

Compression de l’espace-temps

Sur les ondes du Réseau des sports, pendant la diffusion télévisée du match de hockey Montréal-Boston du 8 mars, Joël Bouchard : «Ça va se passer dans pas long.»

Pas long ? Plus bref que longtemps. Ne s’emploie qu’avec pas.

 

[Complément du 4 avril 2022]

L’Oreille tendue est prise en faute : long semble exister seul. Exemple chez Marie-Hélène Voyer, dans Mouron des champs (2022) :

vous êtes nées ici
pêle-mêle il y a long
dans le fatras de vos naissances (p. 29)

 

Référence

Voyer, Marie-Hélène, Mouron des champs suivi de Ce peu qui nous fonde, Saguenay, La Peuplade, coll. «Poésie», 2022, 196 p.

De l’éditorial

Il y a toutes sortes de raisons pour lire les pages éditoriales des quotidiens.

On peut y consacrer du temps pour se conforter dans son opinion : notre journal pense comme nous. Les indépendantistes ont plus de chances de trouver chaussure à leur pied au Devoir que dans The Gazette.

On peut y passer périodiquement pour se souvenir de détester ceux qui ne sont pas de notre camp. Beaucoup des mêmes indépendantistes aiment ainsi se faire du mal et lire les textes d’André Pratte dans la Presse.

Quoi qu’il en soit des motivations des uns et des autres, ils s’attendent généralement à trouver une position par éditorial. N’est-ce pas le but de l’exercice ?

Mario Roy, de la Presse, ne semble pas entendre tout à fait les choses ainsi. Réagissant à la récente proposition du premier ministre québécois Jean Charest de réintroduire le vouvoiement dans les écoles de la province, il commence par se moquer de la proposition : «Le vouvoiement à l’école ? Et pourquoi pas le retour de la strappe, du petit catéchisme et du char à bœufs ? On se trompe vraiment d’époque» (5 mars 2011, p. A32). Suit un développement (vasouillard) sur le système scolaire québécois, les concours d’insultes dans la communauté hip-hop, l’absence de politesse sur le Web et dans «la vraie vie». Cela se termine… par un éloge du vouvoiement ! «À sa modeste mesure, le vouvoiement a souvent le mérite de mettre une goutte d’huile dans la mécanique sociale.»

Faudrait se décider, non ?

Bazzismes

Marie-France Bazzo était interviewée par Franco Nuovo dans le cadre de l’émission Je l’ai vu à la radio à la radio de Radio-Canada samedi dernier. L’Oreille s’est tendue à quelques reprises.

Premier bazzisme

L’animatrice et productrice a utilisé à profusion (c’est un euphémisme) l’expression champ gauche pour désigner certains de ses projets. Il fallait comprendre qu’il s’agissait de projets non conventionnels.

Mais pourquoi parler de champ gauche ?

Les amateurs de baseball auront reconnu une partie du terrain, celle-ci :

Terrain de baseball

Les gens qui parlent anglais, eux, auront automatiquement pensé à «out of left field». Selon la version anglo-saxonne de Wikipedia, cette expression, attestée depuis 1961, désigne ce qui est «un peu fou» («a little crazy»). L’encyclopédie participative donne quatre explications de l’origine de cette expression (c’est ici).

En français, l’expression est d’un usage plus récent.

Deuxième bazzisme

L’ex-animatrice d’Indicatif présent n’hésitait pas à utiliser le verbe quitter sans complément. L’Oreille versait des larmes.

Troisième bazzisme

Franco Nuovo (merci) posait ses questions au vous. Son invitée répondait au tu. Ça faisait pas mal champ gauche; on aurait quitté à moins.

 

[Complément du 15 avril 2014]

L’expression champ gauche peut même être employée pour des sports où il n’y a pas, par définition, de champ gauche, par exemple le hockey : «Parce que le champ gauche existe aussi au hockey, voici mon portrait de Sam Ftorek : le doyen des ligues mineures http://bit.ly/1pUNps7» (@MAGodin).

 

[Complément du 1er novembre 2020]

Exemple romanesque, chez Hugo Beauchemin-Lachapelle (2020) : «Malgré ses défauts, La surface de jeu exerce une attraction inexplicable sur le fonctionnaire : est-ce le sujet issu du champ gauche ?» (p. 22)

 

[Complément du 15 janvier 2021]

Exemple théâtral, chez François Archambault (2020) : «Quand on travaille comme moi en innovation, des fois, on a envie d’avoir une perspective un peu champ gauche» (p. 33).

 

Références

Archambault, François, Pétrole, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 24, 2020, 187 p. Ill. Suivi de «Contrepoint. Des décennies perdues» par Alexandre Shields.

Beauchemin-Lachapelle, Hugo, la Surface de jeu. Roman, Montréal, La Mèche, 2020, 276 p.