Avec pas d’tête

Ad. J. Charon, Poules qui pondent, 1927, couverture

Déclaration récente du chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet : «Il y a quelqu’un qui a fabriqué avec [Donald Trump] ce message-là dans le but de nous envoyer encore une fois courir dans toutes les directions, comme des poules décapitées» (le Devoir, 17 décembre 2024).

Les Québécois auront reconnu dans ces «poules décapitées» les poules pas de tête de leur langue populaire.

Ces poules pas de tête auraient pour caractéristique de courir sans véritable direction. Ce faisant, leurs actions seraient inutiles et représenteraient une perte de temps et d’énergie.

À votre service.

P.-S.—Nous avons jadis croisé — n’est-ce pas ? — le crosseur de poule(s) morte (s). On peut supposer que quelques-unes de ces poules mortes n’avaient pas de tête(s).

P.-P.-S.—Mike the Headless Chicken aurait survécu 18 mois sans tête. C’est Wikipédia qui le dit.

P.-P.-P.-S.—Pourquoi «Avec pas d’» ? Parce que.

Tête (pas très) bien faite

André Major, le Cabochon, éd. de 1989, couverture

Soit ce titre, dans la Presse+ du 14 décembre 2024 : «Travailler en cabochon.»

Qu’est-ce que ce cabochon dans le français du Québec ?

Le mot renvoie à la tête (caboche) dans des cas où on en fait trop peu usage : qui ne se sert pas de sa tête, le cabochon, se tient fermement sur l’échelle de la bêtise.

Allons voir Usito : «Personne qui manque d’intelligence, de jugement.» L’exemple littéraire retenu par ce dictionnaire numérique provient d’un roman de 1964, signé par André Major : «Il n’avait pas le courage d’avouer […] qu’il était trop paresseux pour travailler ses maths, qu’il voulait son indépendance, qu’il était un cabochon qui voulait n’en faire qu’à sa tête.»

Sous «Faire du travail de cabochon», Pierre DesRuisseaux propose la définition suivante : «Mal faire un travail, faire un travail bâclé» (p. 62).

Dans la mesure du possible, évitez d’être un cabochon.

 

Références

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Major, André, le Cabochon. Roman, Montréal, L’Hexagone, coll. «Typo», 30, 1989, 191 p. Édition originale : 1964.

Chantons la langue avec Daniel Balavoine

Daniel Balavoine, «Le français est une langue qui résonne», 1978, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Daniel Balavoine, «Le français est une langue qui résonne», 1978

 

Quand j’entends s’enrouler les feuilles de l’automne
Que le ciel de l’été dans mon cœur se cramponne
Je me dis le français est une langue qui résonne
Je me dis le français est une langue qui résonne
Quand du fond du Québec les couleurs se bourgeonnent
[Les trois vers qui suivent sont prononcés avec un «accent québécois».]
Moi j’crois ben qu’c’est la neige qui s’effleure et frissonne
Pis j’me dis qu’le français est une langue qui résonne
Et j’me dis qu’le français est une langue qui résonne

[Quatre des cinq vers qui suivent sont prononcés avec un «accent du Sud».]
Endormi sous la mer qui saigne sur Narbonne
De mes yeux fatigués pleurent des Sables d’Olonne
Je me dis le français est une langue qui résonne
Je me dis le français est une langue qui résonne
Langue d’Oc du Nord les accents s’époumonnent
Dans ma tête versée mon pays se crayonne
Je me dis le français est une langue qui résonne
Je me dis le français est une langue qui résonne

Assis près de Calais dessous les lames bretonnes
Je regarde arriver les vagues anglo-saxonnes
Tous mes mots vieux français éclatent et bouillonnent
Tous mes mots vieux français éclatent et bouillonnent
Si des plages et des forêts s’asphaltent et se carbonent
Si les ailes collées les oiseaux abandonnent
Moi qui m’crois bon Français je sens que je déconne
De mes mots censurés que Villon me pardonne
Je me dis le français est une langue qui résonne
Je me dis le français est une langue qui résonne

 

Chantons la langue avec Mad’MoiZèle GIRAF

Mad’MoiZèle GIRAF, Peindre la GIRAF, 2009, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Mad’MoiZèle GIRAF, «Montréal stylé», Peindre la GIRAF, 2009

 

Enweille chummy suis-moi, emboîte-moi le pas
Pour la virée à Montréal trimbaler dans tous les quartiers
Tout c’qui entoure le mont Royal, suffit d’avoir de bons souliers
Et d’pas avoir trop peur de passer la journée à les user
À marcher de long en large, explorer les rues de la cité
Autant les grandes artères qu’les ruelles ben dissimulées
C’qui fait le charme de ma ville
Ce n’est pas difficile à déc’ler
Moi c’qui me plaît avant tout
C’est surtout sa diversité
Ici on entend parler l’anglais
On entend le mandarin
On entend le portugais
Et ben sûr l’accent italien
On entend les notes de l’arabe créole espagnol à la même table
Et moi j’m’exprime en patois
Le français d’venu québécois
Ouais, Montréal c’est ma ville, ce n’est pas mon bled natal, plutôt ma terre d’accueil, un îlot ben original, du Plateau, Hochelag, Rosemont ou Pointe Saint-Charles, de la Petite Italie, jusqu’où nous mène la Côte-des-neiges, la métropole québécoise m’aide à remplir mon ardoise et moi j’suis bien à l’aise avec tous les gens que je croise
Montréal stylé

Ville européenne en Amérique du Nord
Du sang français coule dans mes veines, mais j’suis pas né d’l’autre bord
J’me sens chez moi aussi bien à Bordeaux qu’à Val D’or
Mais la ville que j’préfère c’est Montréal, je l’adore
De ma fenêtre, tranquillement j’m’amuse à observer les gens
Qui déambulent rapidement sur le boulevard Saint-Laurent
Espérant candidement le bonheur au prochain tournant
Volontaires ou obligés ils font marcher l’marché
Travailleurs, étudiants, libres penseurs et mendiants
Les banlieusards qui font la queue, les enfants et les amoureux
J’me dis que j’suis chanceux d’avoir trouvé ma place
C’est ici que j’veux devenir vieux, que j’vais tenter de laisser ma trace
Oui Montréal c’est ma ville, ça n’est pas mon bled natal plutôt ma terre d’accueil, un îlot bien original, du Plateau, Hochelag, Rosemont ou Pointe Saint-Charles, de la Petite Italie, jusqu’où nous mène la Côte-des-neiges, la métropole québécoise m’aide à remplir mon ardoise et moi j’suis bien à l’aise avec tous les gens que je croise
Montréal stylé

Dans cette ville nord-américaine, toutes les jolies filles me font craquer, on peut les compter par centaines, bien dur de ne pas les remarquer
Mademoiselle, vous êtes belle, venez donc avec moi explorer, je parcours les rues, les ruelles, un peu d’temps veuillez m’accorder
J’habite Saint-Laurent coin Rachel et pis j’adore converser, que ce soit d’la sainte flanelle ou du pont Jacques Cartier
N’importe quel sujet, tout c’qui traite d’actualité
La Mad’MoiZèle GIRAF veut avant tout te faire bouger
Ouvrir les yeux, les oreilles, faire décoller les pieds du plancher
Provoquer les débats, mais surtout rassembler
Laissons d’côté nos différences, appliquons-nous à dialoguer, pour mettre à terre les frontières rien d’mieux qu’la musique reggae
Ouais, Montréal c’est ma ville, ça n’est pas mon bled natal, plutôt ma terre d’accueil, j’y planterai mon cercueil, elle me recueille à chaque soir, habituée à veiller tard, et moi j’adore la faune nocturne qui traîne à l’entrée de ses bars, la métropole québécoise m’aide à remplir mon ardoise, et moi j’suis bien à l’aise, avec tous les gens que je croise
Montréal [prononcé à l’anglaise] stylé

 

P.-S.—Vous avez l’oreille : il a déjà été question de Mad’MoiZèle GIRAF ici.

 

Dérapages incontrôlés

Risque de dérapage, panneau de signalisation routière

Commençons par un aveu : quand l’Oreille tendue décide de se pencher sur une expression de la langue familière québécoise, c’est généralement en fonction de deux critères. Cette expression lui est familière, par exemple à cause de son écosystème linguistique familial (premier exemple, deuxième exemple), ou bien il s’agit de mots qu’elle pratique abondamment (les sacres, notamment). Il est très rare que l’Oreille aborde des aspects de la langue qui lui sont étrangers.

À la demande populaire (n = 1), elle abordera aujourd’hui les mots shire / chire et shirer / chirer, bien qu’elle ne les ait jamais prononcés et qu’elle n’ait pas l’intention de le faire.

Ce qui chire n’est plaisant ni auditivement ni automobilement : cela tourne à vide et fait du bruit.

«Pendant que dehors le camion virait, chirait et tonnait sur la 133, en dedans les éléments se mêlaient et se démêlaient, les membres de disloquaient, les tissus de déchiraient ou se compressaient» (le Basketball et ses fondamentaux, p. 78).

«j’ai roulé en ligne plus ou moins droite et sans trop quitter la chaussé glacée, rien qu’une fois dans une courbe j’ai chiré, viré sur un parterre» (Frank va parler, p. 136).

«Quand j’entends devant ma maison les roues d’un véhicule qui shire, le son aigu d’une mécanique qui tourne à vide, je regarde dehors et me demande si quelqu’un a besoin d’aide» (J’étais juste à côté, p. 159).

(On notera l’attraction mutuelle entre chirer et virer.)

Cela concerne toutes sortes de moyens de locomotion, avec ou sans bruit désagréable : voiture et camion (ci-dessus), vélo (Des histoires d’hiver […], p. 163), avion (Miniatures indiennes, p. 54), voire cheval et chaussure (la Bête creuse, p. 282 et p. 500).

Au sens littéral comme au sens figuré, qui shire (verbe) fait ou part sur une shire (substantif).

«Le monsieur à lunettes fumées a pas dit un mot, il a rembarqué dans sa Pontiac et il est parti en faisait une shire» (Des histoires d’hiver […], p. 99).

«J’ai l’ai goût d’partir su’une chire jusqu’en deux mille cinquante» (J’ai bu, p. 57).

Quand une conversation dérape, ce n’est jamais bon signe : «Et c’est là que ç’a chiré» (le Chemin d’en haut, p. 27).

La chire peut aussi désigner une chute ou une embardée.

«On dirait pas que j’ai juste vingt-cinq ans, et en même temps c’est comme si c’était hier que je becquais mes bobos aux genoux après une chire en bicycle» (Autour d’elle, p. 43).

«Prendre une chire. Culbuter, tomber, faire une embardée» (Trésor des expressions populaires, p. 85).

À votre service — mais essayons de ne pas en faire une habitude.

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Bienvenu, Sophie, Autour d’elle. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 206 p.

Chabot, J. P., le Chemin d’en haut. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 171, 2022, 224 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Hébert, François, Miniatures indiennes. Roman, Montréal, Leméac, 2019, 174 p.

Hébert, François, Frank va parler. Roman, Montréal, Leméac, 2023, 203 p.

Messier, William S., le Basketball et ses fondamentaux. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 12, 2017, 239 p.

Nicol, Patrick, J’étais juste à côté. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 176, 2022, 192 p.

Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.