Métapoutine d’or

Pour paraphraser Alexandre Vialatte — qui, lui, parlait de la femme —, on pourrait dire du sophisme qu’il «remonte à la plus haute Antiquité». Il doit bien être aussi vieux que la parole.

Il connaît cependant depuis quelque temps une belle carrière québécoise. Tout un chacun parle aujourd’hui de lui.

Une raison de cette omniprésence est peut-être à chercher du côté des interventions radiophoniques du philosophe Normand Baillargeon. Au micro de l’émission Dessine-moi un dimanche, animée par Franco Nuovo sur les ondes de Radio-Canada, Baillargeon, de semaine en semaine, s’est mis à la chasse au sophisme dans l’actualité québécoise. Les autres collaborateurs de l’émission lui ont emboîté le pas, puis les auditeurs, qui se sont mis à lui envoyer leurs suggestions. Le meilleur sophisme présenté à l’émission valait à son auteur «La poutine d’or».

«La poutine d’or» de Radio-Canada
Stéphane Leclair remettant «La poutine d’or» à Normand Baillargeon le 8 juillet 2012.

(L’Oreille tendue a souvent fréquenté le studio de Dessine-moi un dimanche. En deux tentatives, elle a remporté une «poutine d’or». Malheureusement, aucune photo ne l’atteste.)

Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?

Essayant de décrire l’argumentation de l’omnicommentateur Richard Martineau, le site mauvaiseherbe.ca crée le «multisophisme» et le «métasophisme». À quand, dès lors, «La métapoutine d’or» ?

 

[Double complément du 2 décembre 2012]

Vous n’aimez pas «omnicommentateur» ? Essayez «toutologue». Le mot est de Guillaume Lamy dans C’est faux ! 50 idées déconstruites par des spécialistes (Québec, Septentrion, 2012; cité dans le Devoir, 1er-2 décembre 2012, p. F7).

«Traiter son adversaire de sophiste, c’est un peu le point #Godwin en philosophie» (@cyborgphilosoph, via @fbouchard).

Tous à vos -ing !

On connaissait le cocooning; c’est banal. (@bibliomontreal préfère coucounage.)

Puis il y eut l’outdooring; ça s’est répandu.

Aujourd’hui, découvrons, grâce au Journal de Montréal, relayé par @oniquet, le couponing.

De quoi s’agit-il ? D’utiliser, en consommateur avisé, avec patience et détermination, les coupons qui donnent droit à des aubaines.

Ce n’est pas tout.

Ce plaisir n’est plus solitaire. Le 20 octobre 2012 s’est tenu, dans l’arrondissement Outremont, à Montréal, un Salon du coupon.

On n’arrête pas le progrès.

Une semaine dans les médias et dans les mots

13 octobre

Non seulement épique est en train de passer dans le langage quotidien, mais ce mot désignerait une génération au complet.

«La génération Y (gén. épique) aide beaucoup la névrose de la génération X, pas capable de se révolter. (N. Lévesque) @plusonlit #notabene» (@Ed_Notabene).

On le sait : l’urbain, c’est bien. Y compris dans la cuisine.

«Fabbrica propose une cuisine plutôt sage dans le registre patrimonial italo-urbain» (la Presse, 13 octobre 2012, cahier Gourmand, p. 8).

14 octobre

À nouvelles réalités, mots nouveaux.

«Se nourrir dans les poubelles. Savoureux portrait du déchétarien Tristram Stuart | L’homme qui n’a rien à gâcher http://www.lemonde.fr/style/article/2012/10/12/l-homme-qui-n-a-rien-a-gacher_1773650_1575563.html» (@NieDesrochers).

La typographie s’enseigne désormais en chantant.

«RT @Christianrit: Voici Alinéa, ma chanson éducative sur la structure du paragraphe. http://youtu.be/5uIfoRnlRko #redaction» (@JoseeMarcotte).

15 octobre

Dans un département d’études littéraires, les cafetières choisissent leurs mots avec soin.

Nespresso et prosopopée

Nouvel exemple de la loi du «Tout et son contraire» : pourquoi n’annonce-t-on jamais que l’on a «posé les bases» d’un «partenariat déstructurant» ?

«L’Université de Nantes et l’Université Laval posent les bases d’un partenariat structurant sur le numérique : http ://www.univ-nantes.fr/1350285498227/0/fiche___actualite/&RH=INSTITUTIONNEL_FR» (@GIENS09).

16 octobre

Même une construction peut être «prise en otage».

«La construction d’un pièce-maîtresse du World Trade Center “prise en otage” par une entreprise de Terrebonne: http://natpo.st/SYUDKd» (@rdimatin).

On connaissait le suicide numérique et l’angoisse fiscale. On fait dorénavant dans…

«Le suicide fiscal… http://blogs.lexpress.fr/attali/2012/10/15/le-suicide-fiscal/» (@jattali).

17 octobre

Doug Saunders a publié Arrival City en 2010. De quoi s’agit-il ?

«un polaroïd des slums, bidonvilles, favelas, banlieues et autres cités où transitent les nouveaux arrivants en provenance des campagnes de la Chine, de l’Inde, du Bangladesh, du Brésil…» (la Presse, 17 octobre 2012, cahier Arts, p. 6)

18 octobre

Il existe des phrases parfaitement logiques, qui étonnent néanmoins.

«La croissance de la Chine poursuit son ralentissement http://bit.ly/WDu5ns» (@rdimatin).

Une croissance qui cesse de croître, est-ce encore de la croissance ?

18-19 octobre

À Montréal, la Commission d’enquête sur l’industrie de la construction, dite Commission Charbonneau, vient de révéler l’existence du «cartel des égouts» (la Presse, 19 octobre 2012, p. A1). Gilles Surprenant, un ingénieur maintenant à la retraite, y reconnaît avoir reçu des «redevances» du temps où il était associé à l’octroi de contrats publics. En clair, mais en moins moderne : des pots-de-vin. (Au Canada, il existe une taxe sur les produits et services, la TPS. Dans l’industrie de la construction montréalaise, il y avait aussi un Monsieur TPS : il touchait la Taxe pour Surprenant.)

Tous les patins ne sont pas sur la glace

On peut, au Québec, être vite sur ses patins, mais il est rare qu’on y en roule.

Le «baiser langue en bouche» dont parle le Petit Robert (édition numérique de 2010) à l’article «patin» y est le plus souvent un french, ce mot venu du French kiss de la langue de Shakespeare, d’où le verbe frencher.

Deux exemples récents, lus sur Twitter.

«TOÉ TOUTE EN MAJUSCULES / via @lesFourchettes “pu de langue pour te frencher dude” http://www.lesfourchettes.net/toe-toute-en-majuscules» (@francisroyo).

«Et je le frencherais MT @OursAvecNous L’hilarante personne qui fait photoreportages de célébrités G&M s’attaque à #GGI http://t.co/3gghcdmq» (@PimpetteDunoyer).

Un exemple familial.

«—Ton frère est où ?

—Il frenche sa blonde.»

Un dernier exemple, publicitaire (le Devoir, 17 octobre 2012, p. B9).

Campagne de publicité de CIBL

Note grammaticale : on peut frencher l’autre ou se faire frencher; on peut aussi se frencher l’un l’autre.

 

[Complément du 21 octobre 2012]

Selon des sources filiales (parfois) sûres, l’activité consistant à se frencher serait du frenchage.

«Quitter» a quitté

Tony Accurso est un entrepreneur en construction québécois.

Depuis quelques mois, des accusations de nature diverse pèsent contre lui. Il en a marre. Il se retire de ses entreprises. Voilà ce qu’il annonçait avant-hier.

Le journal la Presse a rapidement annoncé la chose sur son site Web. Connaissant l’aversion de l’Oreille tendue pour certain usage du verbe quitter, @iericksen lui a signalé, sur Twitter, cette parution : «Un usage absolument absolu de “quitter”» (merci).

Tony Accurson «quitte»

Le journal papier d’hier matin reprenait l’information (p. A2), mais avec une modification de taille, du moins aux yeux de l’Oreille.

Tony Accurson «part»

Ce n’est pas tout. Le lien qui menait à l’article dont le titre contenait le verbe quitter mène toujours au (presque) même article, mais le titre a encore changé. C’est donc le troisième.

Tony Accurson «n’a rien volé»

On n’arrête pas le progrès.