Ayoye (!)

Fromage Ayoye ! (La Chaudière, Lac-Mégantic)

Soit le titre suivant, vu il y a quelques jours dans le journal le Devoir : «Ayoye ! Yahoo ! élimine 2000 postes» (5 avril 2012, p. B3).

Ayoye, donc.

Cette interjection peut désigner, à la manière de aïe, la douleur.

«Ayoye tu m’fais mal / à mon cœur d’animal / l’exilé immigré de l’intérieur» («Ayoye», chanson du groupe Offenbach, 1978).

Cette acception n’est pas récente. On trouve le mot, en ce sens, dans l’adaptation en bande dessinée du roman Un homme et son péché de Claude-Henri Grignon, sous le titre Séraphin illustré (textes de Grignon, dessins d’Albert Chartier), qu’a publiée le Bulletin des agriculteurs de 1951 à 1970 (éd. de 2010, p. 90).

Dessin d’Albert Chartier

L’interjection peut aussi marquer l’étonnement, voire, dans certains cas, l’admiration.

«Ayoye les fonds !» (la Presse, 30 janvier 2012, cahier Affaires, p. 3).

Il arrive que les deux registres se mêlent.

«Jackass : ayoye !» (la Presse, 5 avril 2004, cahier Arts et spectacles, p. 4).

On voit ayoye aussi bien avant qu’après l’énoncé qu’elle qualifie.

«Ayoye ! Entre en scène Julie Snyder» (le Devoir, 15-16 mars 2003).

«Un hockeyeur japonais dans la LNH ? Ayoye !» (la Presse, 8 février 2001).

«Le hasard nous mord les fesses. Ayoye !» (Ça va aller, p. 83).

Le point d’exclamation postposé est fréquent, mais pas indispensable.

«Ayoye, mettons» (le Devoir, 19 janvier 2012, p. B6).

On trouve aussi d’autres graphies qu’ayoye.

Ayoï

«pour se plaindre opopoï
disaient les Grecs Gérald Godin disait
ayoï» (comment serrer la main de ce mort-là, p. 18).

«Ayoï ! Ayoï ! Ayoï ! Ayoï !» (Mailloux, 38).

Haa yöye

«HAA YÖYE !» (la Presse, 4 juin 2008, p. A17, publicité pour Volvo).

C’est comme ça.

P.-S. — Selon Amy J. Ransom, ayoye serait «the Québécois equivalent of the Yiddish “Oy vey”» (2011, p. 124). Le yiddish de l’Oreille tendue étant ce qu’il est, celle-ci préfère ne pas exprimer d’opinion sur cette équivalence supposée.

 

[Complément du 9 janvier 2013]

Pour un effet d’insistance, on peut aussi écrire «A.YO.YE», comme l’a fait @NieDesrochers le 8 janvier 2013 dans un tweet (malheureusement) disparu.

 

[Complément du 27 juin 2014]

Deux autres graphies encore, l’une et l’autre chez le bédéiste Luc Giard :

Ayoill (Kesskiss passe Milou ?, p. 29 et 33; Tintin et son ti-gars, p. 3)

Ayioll (Kesskiss passe Milou ?, p. 52)

 

[Complément du 24 janvier 2015]

Ceci encore, vu sur Twitter :

 

[Complément du 3 juillet 2016]

Graphie rare :

 

[Complément du 4 juillet 2017]

Variation intéressante phonétiquement (et proche de la précédente) : «adioye» (le Devoir, 1er-2 juillet 2017, p. E7).

 

[Complément du 5 juillet 2017]

Avec insistance sur la dernière syllabe, chez Sophie Bienvenu, en 2016 : «Ayoyeuh !» (p. 38)

 

[Complément du 6 mars 2018]

En version allongée ?

 

[Complément du 28 février 2020]

Un visiteur de l’Oreille tendue y est arrivé après avoir tapé «aie oille quebec» dans son moteur de recherche.

 

[Complément du 15 mai 2023]

Chez Michel Rabagliati, dans Paul à la pêche (2006) : «Ayoille !» (p. 36, p. 114, p. 115 et p. 125)

 

[Complément du 25 octobre 2023]

Sur Mastodon, découvrons «aïe oïe».

 

Références

Bienvenu, Sophie, Autour d’elle. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 206 p.

Giard, Luc, les P’tits Tintins à Luc Giard. Kesskiss passe Milou ?, Montréal, Éditions du phylactère, coll. «Album Tchiize», 31, 1988, 62 p.

Giard, Luc, les P’tits Tintins à Luc Giard. Tintin et son ti-gars, Montréal, Éditions du phylactère, coll. «Album Tchiize», 5, 1989, 51 p.

Grignon, Claude-Henri et Albert Chartier, Séraphin illustré, Montréal, Les 400 coups, 2010, 263 p. Préface de Pierre Grignon. Dossier de Michel Viau.

Hébert, François, comment serrer la main de ce mort-là, Montréal, l’Hexagone, coll. «L’appel des mots», 2007, 72 p.

Mailloux, histoires de novembre et de juin racontées par Hervé Bouchard citoyen de Jonquière, Montréal, L’effet pourpre, 2002, 190 p.

Mavrikakis, Catherine, Ça va aller. Roman, Montréal, Leméac, 2002, 155 p.

Rabagliati, Michel, Paul à la pêche, Montréal, La Pastèque, 2006, 199 p.

Ransom, Amy J., «Language Choice and Code Switching in Current Popular Music from Québec», article numérique, Glottopol. Revue de sociolinguistique en ligne, 17, janvier 2011, p. 115-131. http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol/telecharger/numero_17/gpl17_10ransom.pdf

Capitales hors capitale

Roy MacGregor, Mensonges et dinosaures, 2006, couverture

Le Québec se voulait la capitale des capitales. Cela n’empêche pas d’autres lieux de se croire plus gros que le bœuf.

La Finlande : «Helsinki, capitale du bonheur» (Radio-Canada, 28 février 2012).

La France : «Soupçonnée de cannibaliser les subventions, l’opération “capitale culturelle” entend rassurer ses accusateurs» (le Monde, 19 mars 2011, p. 27). Il est question de Marseille.

L’Alberta : Drumheller serait la «“capitale canadienne des dinosaures”» (Mensonges et dinosaures, p. 18).

La Colombie-Britannique : «Vancouver, capitale piétonnière» (Radio-Canada, 4 avril 2012).

L’Allemagne : «Métropole capitale. Berlin explose» (la Presse, 24 mars 2012, cahier Arts, p. 1).

L’Australie : «Au cœur de la capitale des opales» (le Devoir, 31 avril-1er mai 2012, p. D1).

En matière de capitalisation, nous ne sommes plus seuls. Il y a toutefois de l’espoir : «Montréal a peut-être encore deux ou trois choses à envier aux autres métropoles culturelles, mais plus pour très longtemps» (la Presse, 24 mars 2012, cahier Arts, p. 8).

Ouf.

 

[Complément du 2 octobre 2017]

Marseille, encore ? Pourquoi pas.

Et la Californie :

 

Référence

MacGregor, Roy, Mensonges et dinosaures, Montréal, Boréal, coll. «Les Carcajous», 10, 2006, 138 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 1999.

L’excellence a une province

«Un partenariat de classe mondiale», publicité, la Presse, 2012

Il ne faut jamais se contenter de peu. C’est pourquoi le Québec se présente volontiers en leader ou en chef de file.

On aime aussi dire qu’il fait partie des ligues majeures — «Les Studios Appolo dans les ligues majeures» (la Presse, 21 février 2012, cahier Arts, p. 6) — et qu’il est un champion — «Le Québec, champion canadien du fisc» (la Presse, 9 décembre 2010, cahier Affaires, p. 1). Bref, c’est une figure de proue : «Le Québec, figure de proue en recherche sur la douleur» (la Presse, 8 novembre 2010, encart publicitaire, p. 5).

Dans son édition des 31 mars-1er avril 2012, le Devoir publie un cahier spécial, «Année internationale des coopératives». On y ajoute deux superlatifs à cette série : «Le Québec est une référence» (p. I3); «La grande aventure coopérative au Québec est un modèle planétaire» (p. I5).

On n’en espérait pas moins.

 

[Complément du 5 avril 2012]

Première page de la Presse de ce matin : «Le Québec brille.» Certes.

Du mot(t)on

Le 23 mars, le blogue OffQC | Quebec French Guide définissait l’expression avoir le motton : qui a le motton est oppressé par la peine. L’exemple qui accompagne la définition est tiré de l’émission de télévision Ici et maintenant (Radio-Canada). On peut en donner d’autres :

Quand je pense que je vais en avoir le cœur net bientôt, un motton bloque ma gorge (l’Étouffoir, p. 232).

[Moi] qui ai un peu le moton à l’idée de vous quitter […] (le Devoir, 11-12 août 2001).

D’où le fait que nos rimes
Foutent le camp et que Rose a le motton (Toute l’œuvre incomplète, p. 50).

Cette définition est juste, mais ce n’est pas la seule possible.

Qui a un motton de collé kekpart ou qui a fait le motton est réputé riche; ce motton est monétaire.

Le motton désigne aussi, littéralement ou métaphoriquement, un grumeau, un amas informe, une masse peu ragoûtante — une motte, en quelque sorte.

Je cours au lavabo. Je me mets à cracher du sang. Du sang foncé. Des filets, des mottons, des caillots (Martine à la plage, p. 67).

Mais cette brunante dans la pensée
même quand je pense
c’est ainsi
par contiguïté, par conglomérat
par mottons de mots («Notes sur le non-poème et le poème», p. 132).

On l’aura noté : on voit moton et motton. C’est comme ça.

 

[Complément du 10 mai 2015]

Un adjectif a été tiré de mot(t)on : «Le trémolo mottoneux de Junior finit par être la seule chose qu’on entend» (Dixie, p. 18).

 

[Complément du 13 mars 2019]

Musicalement ? Certes.

Tweet de Mathieu Arsenault, 2 mars 2019

 

[Complément du 23 juin 2024]

Comme William S. Messier, Patrick Roy favorise la graphie «mottoneuse» (p. 355), contrairement à Michel Tremblay, qui lui préfère «mottonneux» (p. 1156).

 

Références

Boulerice, Simon, Martine à la plage. Roman, Montréal, La mèche, coll. «Les doigts ont soif», 2012, 82 p. Avec des dessins de Luc Paradis.

Charest, Danielle, l’Étouffoir, Paris, Librairie des Champs-Élysées, coll. «Le masque», série «Les reines du crime», 2442, 2000, 281 p. Suivi d’un glossaire.

Hébert, François, Toute l’œuvre incomplète, Montréal l’Hexagone, coll. «Écritures», 2010, 154 p.

Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.

Miron, Gaston, «Notes sur le non-poème et le poème», dans l’Homme rapaillé. Poèmes, Montréal, Typo, 2005, 258 p., p. 123-136. Préface de Pierre Nepveu. Édition originale : 1998.

Patrick Roy, L’homme qui a vu l’ours. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 09, 2015, 459 p.

Tremblay, Michel, Survivre ! Survivre !, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 1101-1251. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2014.