Évitons les pertes

Case de la bande dessinée Séraphin contenant le mot «gaspille»

Souvenez-vous : en 2010, dans la bouche d’une serveuse, le substantif québécois populaire gaspille.

De l’oral, passons à l’écrit.

Chez Michel Tremblay : «Pas de gaspille, finis ton assiette !» (p. 1355)

Chez Kevin Lambert : «Une feuille, une seule. On s’applique parce qu’on en aura pas d’autres, on a juste une chance, pas de gaspille» (p. 13).

Chez Christophe Bernard : «Elle était belle femme, la Charline, dans la fleur de l’âge. Restée vieille fille, pensa le Paspéya. Tu parles d’un gaspille» (p. 641).

Négatif : du gaspille.

Positif : pas de gaspille.

À votre service.

 

Illustration : Albert Chartier, dans Claude-Henri Grignon et Albert Chartier, Séraphin illustré, Montréal, Les 400 coups, 2010, 263 p., p. 36. Préface de Pierre Grignon. Dossier de Michel Viau.

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Lambert, Kevin, Tu aimeras ce que tu as tué. Roman, Montréal, Héliotrope, «série P», 2021, 209 p. Édition originale : 2017.

Tremblay, Michel, la Traversée du malheur, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 1253-1389. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2015.

Chantons la langue avec Nicola Ciccone

Nicole Ciccone, Gratitude, 2021, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Nicola Ciccone, «Dynamite», Gratitude, 2021

 

J’ai pris mes jambes à mon cou
Courant pour te dépasser
J’ai cru que mon cœur allait exploser
Mais tu m’as vite rattrapé
Tu t’es mis à m’taquiner
Une milléniale qui parlait en franglais
Tu m’as dit : «Don’t give up
T’as des skills
T’es pas pire
Keep on trying
Sois plus chill
T’es trop straight
Trop sérieux
Trop old school
Sois plus hip
Plus baveux
Plus Jos Cool»
P’t-êt’ ben que t’es full legit
Mais mon amour c’est d’la dynamite
Baby
P’t-êt’ ben que t’es full legit
Mais mon amour c’est d’la dynamite
On a joggé quelques mètres
J’avais le souffle coupé
J’ai pris un respir
Et j’ai riposté
«Au lieu de faire ta frais-chiée
Avec tes mots parfumés
Tu pourrais p’t-êt’ me parler en français
On dit pas hip, on dit rocambolesque
Ton phrasé manque un peu d’délicatesse
T’es pt-êt’ chill
Mais tes mille fautes de grammaire
C’est comme courir avec la langue à terre»
P’t-êt’ ben que t’es full legit
Mais mon amour c’est d’la dynamite
Baby
P’t-êt’ ben que t’es full legit
Mais mon amour c’est d’la dynamite

J’ai pris mes jambes à mon cou
Courant pour te dépasser
J’ai cru que mon cœur allait exploser
Mais tu m’as vite rattrapé
Tu t’es mis à m’taquiner
Une milléniale qui parlait en franglais
P’t-êt’ ben que t’es full legit
Mais mon amour c’est de la dynamite
Baby
P’t-êt’ ben que t’es full legit
Mais mon amour c’est d’la dynamite
P’t-êt’ ben que t’es full legit
Mais mon amour c’est d’la dynamite
Baby
P’t-êt’ ben que t’es full legit
Mais mon amour c’est d’la dynamite

 

P.-S.—«Franglais» ? Par ici.

 

Avec pas d’tête

Ad. J. Charon, Poules qui pondent, 1927, couverture

Déclaration récente du chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet : «Il y a quelqu’un qui a fabriqué avec [Donald Trump] ce message-là dans le but de nous envoyer encore une fois courir dans toutes les directions, comme des poules décapitées» (le Devoir, 17 décembre 2024).

Les Québécois auront reconnu dans ces «poules décapitées» les poules pas de tête de leur langue populaire.

Ces poules pas de tête auraient pour caractéristique de courir sans véritable direction. Ce faisant, leurs actions seraient inutiles et représenteraient une perte de temps et d’énergie.

À votre service.

P.-S.—Nous avons jadis croisé — n’est-ce pas ? — le crosseur de poule(s) morte (s). On peut supposer que quelques-unes de ces poules mortes n’avaient pas de tête(s).

P.-P.-S.—Mike the Headless Chicken aurait survécu 18 mois sans tête. C’est Wikipédia qui le dit.

P.-P.-P.-S.—Pourquoi «Avec pas d’» ? Parce que.

Tête (pas très) bien faite

André Major, le Cabochon, éd. de 1989, couverture

Soit ce titre, dans la Presse+ du 14 décembre 2024 : «Travailler en cabochon.»

Qu’est-ce que ce cabochon dans le français du Québec ?

Le mot renvoie à la tête (caboche) dans des cas où on en fait trop peu usage : qui ne se sert pas de sa tête, le cabochon, se tient fermement sur l’échelle de la bêtise.

Allons voir Usito : «Personne qui manque d’intelligence, de jugement.» L’exemple littéraire retenu par ce dictionnaire numérique provient d’un roman de 1964, signé par André Major : «Il n’avait pas le courage d’avouer […] qu’il était trop paresseux pour travailler ses maths, qu’il voulait son indépendance, qu’il était un cabochon qui voulait n’en faire qu’à sa tête.»

Sous «Faire du travail de cabochon», Pierre DesRuisseaux propose la définition suivante : «Mal faire un travail, faire un travail bâclé» (p. 62).

Dans la mesure du possible, évitez d’être un cabochon.

 

Références

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Major, André, le Cabochon. Roman, Montréal, L’Hexagone, coll. «Typo», 30, 1989, 191 p. Édition originale : 1964.