Le niveau baisse ! (2024)

(«Le niveau baisse !» est une rubrique dans laquelle l’Oreille tendue collectionne les citations sur le déclin [supposé] de la langue. Les suggestions sont bienvenues.)

 

«Le niveau baisse. Concernant l’orthographe, c’est tout à fait avéré. Toutes les études sur la question concordent. Les enseignants le constatent de l’école primaire au supérieur. Mais une fois qu’on a dit ça, qu’est-ce qu’on fait, que pourrions-nous faire ?»

Source : Louise Tourret, «Le niveau d’orthographe en France est-il une cause perdue ?», Rue des écoles (France Culture), 22 octobre 2024.

 

Pour en savoir plus sur cette question :

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

Chantons la langue avec Michel Rivard

Album Michel Rivard, 1989, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Michel Rivard, «Le cœur de ma vie», album Michel Rivard, 1989

 

C’est la langue qui court dans les rues de ma ville
Comme une chanson d’amour, au refrain malhabile
Elle est fière et rebelle et se blesse souvent
Sur les murs des gratte-ciel, contre les tours d’argent

Elle n’est pas toujours belle on la malmène un peu
C’est pas toujours facile d’être seule au milieu
D’un continent immense où ils règlent le jeu
Où ils mènent la danse, où ils sont si nombreux

Elle n’est pas toujours belle mais vivante elle se bat
En mémoire fidèle, de nos maux de nos voix
De nos éclats de rire et de colère aussi
C’est la langue de mon cœur, et le cœur de ma vie

On la parle tout bas aux moments de tendresse
Elle a des mots si doux qu’il se fondent aux caresses
Mais quand il faut crier qu’on est là qu’on existe
Elle a le son qui mord, et les mots qui résistent

C’est une langue de France aux accents d’Amérique
Elle déjoue le silence à grands coups de musique
C’est la langue de mon cœur et le cœur de ma vie
Que jamais elle ne meure, que jamais on ne l’oublie
Que jamais elle ne meure que jamais on ne l’oublie

Il faut pour la défendre la parler de son mieux
Il faut la faire entendre, faut la secouer un peu
Il faut la faire aimer à ces gens près de nous
Qui se croient menacés, de nous savoir debout

Il faut la faire aimer à ces gens de partout
Venus trouver chez nous un goût de liberté
Elle a les mots qu’il faut pour nommer le pays
Pour qu’on parle de lui, qu’on le chante tout haut

C’est une langue de France aux accents d’Amérique
Elle déjoue le silence à grands coups de musique
C’est la langue de mon cœur et le cœur de ma vie
Que jamais elle ne meure, que jamais on ne l’oublie
Que jamais elle ne meure que jamais on ne l’oublie

C’est la langue de mon cœur et le cœur de ma vie
Que jamais elle ne meure que jamais on ne l’oublie

C’est la langue de mon cœur et le cœur de ma vie
Que jamais elle ne meure que jamais on ne l’oublie

C’est la langue de mon cœur
Que jamais elle ne meure
Que jamais elle ne meure
Que jamais elle ne meure

 

P.-S.—«Faire aimer» la langue ? Ça se discute.

P.-P.-S.—Commentaire du compositeur sur sa composition : «Je l’ai écrite parce que, à ce moment-là, j’avais besoin de dire que ma langue meurt, explique-t-il. Et j’étais un petit peu en réaction à la chanson sur la langue d’Yves Duteil qui présentait une vision absolument carte postale du Québec. Je n’ai jamais vraiment embarqué dans cette chanson-là, alors j’avais besoin d’en faire une» (la Presse+, 23 juin 2024).

 

Aimer le français ? Mais pourquoi ?

Conjugaison du verbe aimer au présent et à l’imparfait de l’indicatif

Le gouvernement du Québec et la Fondation pour la langue française publient une publicité dans le quotidien le Devoir : «Partagez votre amour du français auprès d’un nouvel arrivant allophone» (16-17 novembre 2024). Le même quotidien intitule un éditorial «Pour l’amour du français» (6-7 janvier 2024). Le 23 juin 2022, fête nationale oblige, le Journal de Montréal rassemble «24 déclarations d’amour à la langue française». Un lecteur de la Presse+, le 10 décembre 2020, annonce que le temps «est venu de passer à une nouvelle étape dans nos politiques linguistiques en donnant à chacun une chance égale de maîtriser et d’aimer la langue française». Un an plus tôt, dans le magazine l’Actualité, un économiste écrivait : «nous devons aimer notre langue et en être fiers» et il ajoutait : «Pour que nous l’aimions, elle doit être belle.» En 2016, dans son recueil le Point sur la langue, Louis Cornellier disait aimer la langue française, son «esprit», voire son «génie».

La chose irait donc de soi : au Québec, au XXIe siècle, le français est une langue qu’il faudrait aimer. Mais pourquoi ?

On ne demande pas aux États-Uniens d’aimer l’anglais, pas plus qu’on n’exige des Philippins qu’ils aiment le tagalog. Cette liberté ne semble pas s’appliquer aux Québécois francophones. La principale raison de cette injonction est simple : le français serait en «déclin» au Québec — partout, sur tous les plans — et il faudrait le «défendre». L’«amour du français» répondrait à ce «péril» supposé.

Or, sur le plan collectif, la langue n’est pas une affaire d’amour, ni de beauté, ni de clarté, ni de pureté. Chacun est libre, sur le plan individuel, d’affirmer qu’il aime sa langue, qu’il la trouve belle, claire ou pure. Il y a même des personnes qui se vantent d’aimer le français «pour ses beautés et ses complexités» (le Devoir, 28 novembre 2020), comme si le degré de difficulté d’une langue était le signe de sa valeur. On ne convaincra toutefois personne d’adopter une langue pour de pareilles raisons. Une langue ne s’impose, dans l’espace public, que si elle est nécessaire à la vie commune.

Au lieu de «Partagez votre amour du français auprès d’un nouvel arrivant allophone», on pourrait imaginer des slogans d’une nature différente.

Partagez le français avec un nouvel arrivant allophone éviterait de mettre en lumière l’amour et insisterait sur le partage.

Parlez français avec les nouveaux arrivants aurait le double mérite de la précision et de la brièveté.

On pourrait encore pousser l’expérience plus loin et imaginer d’autres messages collectifs.

Défendez le français ferait plaisir aux assiégés de toutes espèces qui occupent les tribunes médiatiques québécoises. Ils n’ont pas besoin de cela pour se crinquer.

Vivez en français, mieux : vivez le français, rappellerait qu’une langue n’existe que si on la parle.

Choisissez le français serait peut-être la meilleure injonction. Sur le marché des langues, dans la sphère publique, des choix s’offrent. Choisir le français, c’est rappeler son caractère indispensable. Ne pas choisir le français, c’est laisser sous-tendre qu’une autre langue — l’anglais, mais pas nécessairement l’anglais — ferait aussi bien l’affaire. Au Québec, en 2024, ce n’est pas le cas.

Les langues, quelles qu’elles soient, sont des outils formidables, le français comme les autres, ni plus ni moins. Parlons-le. Tout simplement. L’amour n’a rien à voir là-dedans.

P.-S.—Le tagalog ? Histoire, une fois de plus, de rendre hommage à André Belleau : «Nous parlerions le bachi-bouzouk, le tagalog, le rhéto-roman ou une langue que nous serions les seuls à connaître, que nous devrions avoir en tant que peuple les mêmes droits, la même politique linguistique, la même Loi 101, sans avoir à nous excuser ou à nous justifier» (éd. de 1986, p. 118).

 

Référence

Belleau, André, «Langue et nationalisme», Liberté, 146 (25, 2), avril 1983, p. 2-9; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 88-92; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 115-123; repris, sous le titre «Langue et nationalisme», dans Francis Gingras (édit.), Miroir du français. Éléments pour une histoire culturelle de la langue française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Espace littéraire», 2014 (troisième édition), p. 425-429; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 113-121. https://id.erudit.org/iderudit/30467ac

Néologismes négatifs du jour

«Solidarité féministe contre le violarcat», graffiti, 2016

Tout va mal ? Les néologues sont d’accord avec vous, en anglais comme en français.

Le gouvernement états-unien est dominé par des potes oligarques ? Parlez de broligarchy.

La pollution s’associe au pouvoir ? Dénoncez les pollutocrates.

Le harcèlement des femmes noires fait rage ? Méfiez-vous du misogynoir.

Le déni climatique épouse la misogynie ? Fuyez la pétromasculinité.

La violence sexuelle rejoint le patriarcat ? Vous devez vous en prendre au violarcat et à la manosphère, voire à la raposphere.

Les frontières entre le travail et la vie personnelle s’effacent ? Prémunissez-vous contre le blurring.

Un richard explique à un pauvre comment sortir de la pauvreté ? Ne le laissez pas richespliquer.

Le travail que vous pratiquez vous déplaît ? Peut-être souffrez-vous de ressentéisme.

Certaines personnalités politiques mésusent des réseaux sociaux ? Désabonnez-vous des trolliticiens.

À votre service.

Surplace

Contenant de mélasse

Qui pédale dans le couscous, la choucroute, la semoule, la purée ou le yaourt a du mal, en arrache. Foi de Petit Robert (édition numérique de 2018), cette personne se trouve à «faire des efforts désordonnés et vains, [à] se dépenser en pure perte».

Variation sur le même thème chez José Saramago, dans Histoire du siège de Lisbonne : «patiner dans de la mélasse» (p. 104).

On n’avance pas plus.

 

Référence

Saramago, José, Histoire du siège de Lisbonne. Roman, Paris, Seuil, coll. «Points», P619, 1992, 341 p. Traduction de Geneviève Leibrich. Édition originale : 1989.