Le zeugme du dimanche matin et de Julia Deck

Julia Deck, le Triangle d’hiver, 2014, couverture

«La jeune femme a du style, se tient très droite sur son tabouret, et ses cheveux coupés court augmentent encore l’élégance de son maintien. Elle rend la monnaie avec exactitude, leur sourire aux messieurs charmeurs, et se montre exceptionnellement habile dans la gestion des acariâtres.»

Julia Deck, le Triangle d’hiver. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2014, 174 p., p. 170.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Ami ami, bis

Portrait de Michel de Montaigne

«Un ami est un ami.»
Laurent Ruquier

Au Québec, l’amitié est une chose subtile.

On peut être l’ami de quelqu’un. On peut être son chumau-delà du raisonnable —, peu importe le sexe : un chum de gars, une chum de fille. On peut aussi se mettre chummy avec quelqu’un.

Il existe au moins deux graphies de la chose.

«Trump se fait chummé avec la Russie», écrit Olivier Niquet dans son excellente lettre d’information, Tourniquet Express.

Même graphie chez Christophe Bernard dans la Bête creuse : «C’était la fête, du monde en masse, et de tous les âges, chummés, l’âge comptait pas» (p. 597).

«Enweille chummy suis-moi, emboîte-moi le pas», chante Mad’MoiZèle GIRAF.

Le é final de Niquet et Bernard doit évoquer une prononciation distincte de celle du duo québécois de raggamuffin.

Vous faites bien comme vous voulez.

P.-S.—Bis ? Parce que.

 

Réféfence

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Chantons la langue avec Zebda

Zebda, Essence ordinaire, 1998, pochette

(Il n’y a pas que «La langue de chez nous» dans la vie. Les chansons sur la langue ne manquent pas. Petite anthologie en cours. Liste d’écoute disponible sur Spotify. Suggestions bienvenues.)

 

Zebda, «Le Petit Robert», Essence ordinaire, 1998

 

Petit, j’étais largué, on dit ici «à Lourdes»
Dans ce que l’on appelle une famille lourde
L’amour y était le contraire du doute
La tête collée contre le poêle à mazout
Rêveur et j’ose même dire dans le coton
À attendre qu’on me dessine un mouton
Mouton je l’étais jusque dans la tonsure
Mais les brushings font pas dans la littérature
Et la main de ma mère était là en cas de doute
Comme un parapluie qui te protège des gouttes
De pluie, et j’ose même dire du mauvais temps
On avait rien, on était content
Avant qu’on me dise «Dégage»
Et qu’on ne me parle plus au présent
Avant qu’on déchire mes pages
Et qu’on me dise «Place et au suivant»
Avant
Avant
Petit, j’étais gentil, j’étais même agréable
J’écrivais les deux coudes posés sur la table
J’ôtais de ma bouche les insanités
Comme un petit prince de l’humanité
Rêveur, je cédais ma place aux personnes âgées
Pour un sourire, une poignée de dragées
J’enlevais ma casquette en entrant à l’école
Mais être poli, ça dispense pas des colles
Gentil, et tout à la fois dernier de la classe
Éveillé comme pouvait l’être une limace
Je dormais, j’ose même le dire si profond
Et que s’écroule le plafond
Avant qu’on me dise «Dégage»
Et qu’on ne me parle plus au présent
Avant qu’on déchire mes pages
Et qu’on me dise «Place et au suivant»
Avant
Avant
Car j’attendais, petit prince des gloutons
Qu’on me porte à la bouche des paquets de bonbons
Y avait pas la monnaie mais c’était tout comme
Car le baiser remplaçait l’économe
Rêveur, et malgré les corvées de charbon
Ma récompense était un bisou à l’horizon
Mais dépassé le siècle où on te met au couvent
J’étais si nul, ma mère a pris les devants
Et se pointait à l’école un chiffon dans la chevelure
La maîtresse disait «Regardez ces ratures !»
Le cœur en miettes, elle faisait parler l’eau et le sel
Et s’en retournait à sa vaisselle
Avant qu’on me dise «Dégage»
Et qu’on ne me parle plus au présent
Avant qu’on déchire mes pages
Et qu’on me dise «Place et au suivant»
Avant
Avant
À 18 h se pointait le maçon
Un seul regard et à l’heure des cuissons
Y disait «Vous voulez qu’on nous coupe les bourses»
À ces mots une larme descend de la grande ourse
Et j’ai compris qu’il y avait qu’une façon
D’apprendre l’art de la multiplication
Depuis j’ai plus voulu ressembler aux statues
Et j’ai laissé mes potes à la salle de muscu
Ma mère m’a jeté un bouquin sur la table
Un gros machin qui rentrait pas dans mon cartable
C’est tous ces mots qui ont allumé la lumière
Et spéciale dédicace au Petit Robert
Avant qu’on me dise «Dégage»
Et qu’on ne me parle plus au présent
Avant qu’on déchire mes pages
Et qu’on me dise «Place et au suivant»
Avant
Avant
Avant
Petit
Rêveur
Mouton
Gentil
[?]
Avant qu’on me dise «Dégage»
Avant qu’on déchire mes pages
Avant qu’on me dise «Dégage»
Qu’on déchire mes pages
Avant
Qu’on me dise «Dégage»
Qu’on déchire mes pages

Générons de nouveau

Moulinette à légumes, 2008

L’Oreille tendue avait presque oublié qu’elle a un jour créé une rubrique «Générateurs de textes». Alimentons-la.

Vous en voulez en français ?

Ambroise Garel offre deux services : du Lovecraft; de la cuisine.

De ce côté (Twitter, Mastodon), vous obtiendrez, grâce à l’Académotron, d’étranges règles grammaticales.

Ici, on répond à une question complexe : «C’est de gauche ou de droite ?»

Vous préférez l’anglais ?

Là, c’est de la littérature canadienne.

La prose universitaire se prêterait bien à l’exercice : premier exemple; deuxième exemple.

À votre service.

Les zeugmes du dimanche matin et de Françoise Giroud

Françoise Giroud, Histoire d’une femme libre, 2013, couverture

«On y cultive, même en vieillissant, mœurs et mentalité d’étudiant, on a l’esprit généreux, la Légion d’honneur à titre militaire, le cœur large et le revenu maigre» (p. 33).

«Elle a beaucoup d’argent de poche et l’intelligence du cœur» (p. 39).

«Ceux qui, un soir, ou un après-midi de vacances, ont eu envie de vous, vous étiez prête, avec vos airs braves, à leur donner votre temps, vos pensées, votre cœur et leur petit-déjeuner au lit pendant dix ans» (p. 116).

«Le conducteur qui avait offert de le reconduire disposait, en effet, d’une voiture sensiblement moins confortable et d’une élocution en robinet d’eau tiède» (p. 188).

«Ce dont je suis sûre, c’était […] d’avoir respecté son intégrité au lieu de m’efforcer à modifier ses opinions, ses amitiés ou ses cravates […]» (p. 206).

«Celui-ci m’a écoutée poliment quand je lui ai dit que j’étais en train de perdre la volonté de vivre en même temps qu’un kilo par semaine […]» (224).

Françoise Giroud, Histoire d’une femme libre. Récit, Paris, Gallimard, coll. «NRF», 2013, 248 p. Texte de 1960. Édition établie par Alix de Saint-André.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)