Accouplements 08

Raymond Chandler, Lettres, 1970, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Dans le Devoir des 6-7 septembre 2014, sous la signature de Christian Desmeules (p. F1) :

Peut-on échapper à l’éternel retour du narrateur enfant dans notre littérature ?

Dans une lettre de Raymond Chandler à Alex Barris, le 16 avril 1949 :

Tous les jeunes scénaristes et les jeunes metteurs en scène s’y sont essayés. «Faisons de la caméra un personnage»; à un moment ou à un autre, on a entendu ça à toutes les tables de Hollywood (éd. 1970, p. 145).

En matière de procédé : du pareil au même.

 

Référence

Chandler, Raymond, Lettres, Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 794, 1970, 309 p. Traduction de Michel Doury. Préface de Philippe Labro.

Les livres sont des lettres

Oublie un livre quelque part, septembre 2014

Cela s’appelle «Oublie un livre quelque part». C’est né sur Facebook, à l’instigation de Julie Patenaude et Kim Vincent :

Durant toute la semaine [du 8 septembre au 14 septembre 2014], laisse un livre dans un lieu public (parc, autobus, café, métro, salle de cours…) dans le but de faire un échange de livres à grande échelle. On a tous un livre qu’on aimerait faire découvrir à quelqu’un ou qui ne nous sert plus; un roman, un livre de cours, une bande dessinée, un album, une biographie… peu importe !

Le fait de partager un de tes livres te donne le droit d’en prendre un que tu trouveras. Ceci peut être répété autant de fois que tu le désires durant la semaine.

**** Le but, c’est de partager… Et de découvrir… Il y a des gens qui ont plein de bonnes idées et qui l’inscrivent sur la page de l’événement ! Si vous ne voulez pas le laisser traîner, vous pouvez l’offrir a quelqu’un, le glisser dans une boîte aux lettres… C’est comme vous voulez ! ***

*** Aussi, il serait intéressant de laisser un petit mot à l’intérieur, invitant la personne qui le trouve à partager sa découverte sur #Partagelitt avec les détails et idéalement une photo !! Exemple : «voici un livre que j’ai déposé ici dans le but que tu le découvres et le partages à ton tour…» Avec le lieux et la date et ton nom si tu veux ! Ça peut être sur un post-it, l’autre personne recolle un autre post-it par dessus et le redépose quelque part ! ***

En espérant que cet échange hors de l’ordinaire te fasse faire de belles découvertes.

Amusez-vous !!!

Ce genre d’échanges existe depuis quelques années, par exemple sous le nom «Passe-Livre» ou «Bookcrossing». En 2005, l’Oreille tendue leur consacrait un bout d’article, dans le cadre d’une réflexion sur les bouteilles à la mer (reprise, depuis, ici). Pour elle, un livre qui circule ainsi, c’est une lettre.

Accouplements 07

Jean-Marc Huitorel, la Beauté du geste, 2005, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

L’Oreille tendue aime les curiosités épistolaires, ces présences de la lettre là où on ne l’attendrait pas. Elle a même publié un recueil de textes sur le sujet.

Pensez aux chapitres 95 et 96 de Tarmac (2009) de Nicolas Dickner. Dans une enveloppe, le narrateur reçoit un emballage vide. Après la réception de cette lettre d’amour, il part au Japon retrouver celle qu’il aime, Hope Randall.

Puis imaginez un ballon de foot, celui que décrit Jean-Marc Huitorel dans la Beauté du geste (2005) :

On signalera encore le travail de Priscilla Monge, dont certains des objets ont à voir avec l’univers du sport. Elle a ainsi fait réaliser un ballon de football aux pentagones noirs découpés dans des cuirs très élégants, ceux utilisés pour les vêtements et les chaussures de luxe, et dont les pentagones blancs sont constitués de serviettes hygiéniques. Dans cette intrusion du féminin, y compris dans ce qu’il a de plus intime, dans un univers largement dominé par les hommes, et en particulier dans cette symbolique implicite du sang, on peut lire une volonté d’opposer le sang des menstrues au sang des guerriers. On peut aussi y voir une dénonciation de l’usage sanguinaire que les dictatures d’Amérique du Sud (l’artiste est née au Costa Rica), au Chili ou en Argentine, ont pu faire des stades (p. 173).

Le Michel «Mickey» Bauermann de Nicolas Dickner ne reçoit pas un morceau de cuir.

 

Références

Huitorel, Jean-Marc, la Beauté du geste. L’art contemporain et le sport, Paris, Éditions du regard, 2005, 214 p. Ill.

Dickner, Nicolas, Tarmac, Québec, Alto, 2009, 271 p. Ill.

Melançon, Benoît, Écrire au pape et au Père Noël. Cabinet de curiosités épistolaires, Montréal, Del Busso éditeur, 2011, 165 p.

Écrire au pape et au Père Noël, 2011, couverture

Accouplements 06

François Bon, Proust est une fiction, 2013, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Lectures croisées des vacances (du mois d’août).

Dans Lettre à mon juge, de Simenon, un très étonnant passage sur une disparue.

Supposez que vous marchez dans une calme rue de province, par une chaude après-midi d’août. La rue est partagée en deux par la ligne qui sépare l’ombre du soleil.

Vous suivez le trottoir inondé de lumière et votre ombre marche avec vous, presque à vos côtés, vous la voyez, cassée en deux par l’angle que les maisons aux murs blancs font avec le trottoir.

Supposez toujours… Faites un effort… Tout à coup, cette ombre qui vous accompagnait disparaît…

Elle ne change pas de place. Elle ne passe pas derrière vous parce que vous avez changé de direction. Je dis bien : elle disparaît (chapitre IV, éd. 2003, p. 1231).

Puis ceci, dans Proust est une fiction de François Bon, tiré d’À la recherche du temps perdu.

je m’avançais, laissant mon ombre derrière moi, comme une barque qui poursuit sa navigation à travers des étendues enchantées (2013, p. 321).

Une ombre disparue, une ombre laissée.

 

Références

Bon, François, Proust est une fiction, Paris, Seuil, coll. «Fiction & Cie», 2013, 329 p.

Simenon, Lettre à mon juge, dans Romans. I, édition établie par Jacques Dubois, avec Benoît Denis, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 495, 2003, p. 1171-1334 et 1471-1487. Édition originale : 1947.

Religion et onomastique du 450

L’Oreille tendue ne veut pas se vanter, mais il lui arrive de quitter son île et de s’aventurer dans le 450. Pas plus tard que l’autre jour, elle s’est ainsi retrouvée dans une église de la Couronne nord pour y assister à un baptême. (Ce serait trop long de vous expliquer.)

Elle en tire deux remarques (il faut bien que le 450 serve à quelque chose).

Satan, si l’Oreille en croit le diacre-clown qui officiait (le mot est fort), existerait. Il faudrait en effet y renoncer publiquement. (Dans un autre baptême, tenu il y a cinq lustres, un prêtre a demandé à l’Oreille de renoncer à Satan «et à ses pompes». Il attend toujours sa réponse.) Y a-t-il d’autres moments dans la liturgie où il est question aujourd’hui de Satan ? L’Oreille s’interroge.

Comme il fallait bien s’occuper, elle en a profité pour lire le Semainier paroissial. Quelle belle mine onomastique ! Une brève étude de cet édifiant document révèle que la lettre a est de toutes la plus populaire dans l’immédiate banlieue francophone montréalaise, tant chez les garçons (deux Noah, Mikaël, Dilan, Mattéo, Malik, Xavier) que chez les filles (Camille, Alessia, Koralie, Julianna, deux Léa, Charlie, Rosalie, Annabella, Camélia, Jade, Adèle). En matière de consonnes, on les aime dures, c ou k (Camille, Mikaël, Koralie, Kyle, Loïc, Camélia, Malik). Les noms avec trait d’union sont rares (une seule occurrence : Emma-Rose), ce qui ne veut pas dire que les noms composés le soient (Mélyanne; parmi les parents, une Alexianne). Le prénom favori de l’Oreille ? Makayla : trois a, un k.

C’est une fille.

P.-S. — À côté de ces petits noms fleuris, il y avait aussi une Florence, un Olivier, une Émilie. Cela détonnait.

 

[Complément du 14 janvier 2016]

Qu’aurait pensé Diderot de cette vague onomastique, lui qui écrivait à Grimm, le 6 novembre 1769, qu’«on abaisse l’âme de ses enfants en leur donnant des noms bas et saugrenus» ?

 

Référence

Diderot, Denis, Correspondance, Paris, Éditions de Minuit, 1955-1970, 16 vol. Éditée par Georges Roth, puis par Jean Varloot.