Divergences transatlantiques 066

Michael Delisle, Dée, éd. de 2007, couverture

Soit la phrase suivante, tirée de Dée, le roman de Michael Delisle initialement paru en 2002 :

«Dès que l’échevin disparaît, Doc sort un flasque et le tend au père Provost qui en cale de grandes goulées» (éd. de 2007, p. 25).

Pour désigner un «Petit flacon plat», le Petit Robert dit de flasque que c’est un mot féminin (édition numérique de 2018), alors que Delisle l’emploie au masculin.

Cet usage du masculin n’étonne pas l’Oreille tendue, qui, à un an près, a le même âge que Delisle et la même enfance vécue à la périphérie de l’île de Montréal.

Pour ce que ça vaut, on trouve aussi le masculin dans le Dictionnaire de la langue québécoise de Léandre Bergeron (p. 228).

Pourtant, le flasque n’est pas un moyen de locomotion.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Delisle, Michael, Dée, Montréal, BQ, 2007, 128 p. Édition originale : 2002.

Projet bien rangé

«Là, quelque part, tsé.»
Mario Tremblay
Réseau des sports, 17 mai 2013

Lisant le quotidien le Devoir de la fin de semaine dernière, l’Oreille tendue est tombée à deux reprises, dans des entretiens, sur une expression souvent entendue au Québec : «à quelque part». (Elle a déjà évoqué cette étonnante et néanmoins fréquente tournure — ainsi que l’inutilité de la préposition àici.)

Elle a signalé la chose sur Twitter.

 

La réponse de Luc Jodoin à ce tweet — «On entend souvent : en keke part» — mérite un double commentaire.

D’une part, le en de «en quelque part» n’est guère plus utile que le à.

D’autre part, «quelque part» peut avoir un sens élargi (là-bas) et un sens restreint (là derrière).

Exemple, tiré du Dictionnaire québécois instantané, à l’entrée kekpart :

Désigne une partie de l’anatomie qui n’était pas à l’origine destinée au rangement. Son projet, il peut se le fourrer kekpart (p. 125).

En pareil contexte, il peut se le fourrer en kekpart ne serait pas inusité.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2019, couverture

Divergences transatlantiques 065

Verre pour boire un(e) shot

Soit les deux phrases suivantes :

«L’amertume de la journée ne lui resterait pas longtemps en bouche, et elle s’arrangerait pour faire tenir les mois de claustration avec le mari dans une soirée, une seconde un peu gonflée, un dé à coudre de temps qu’elle avalerait comme un shot de mauvaise vodka» (la Ballade de Rikers Island, p. 266).

«un livre qui fait sautiller, danser de joie, un livre qui se fête et se gobe cul sec comme un shot de rhum Diplomático au bar Sirimiri de San Sebastián» (Bibliothèque de survie, p. 47).

Pour une oreille québécoise, le masculin de shot étonne. Autour d’elle, elle n’entend ce mot qu’au féminin.

Le Petit Robert, édition numérique de 2018, l’a bien vu : après une citation de… Frédéric Beigbeder («shots de vodka multicolores, […] avalés cul sec»), on lit «Le mot est féminin au Canada».

Pourtant, il n’a rien à voir avec l’univers de la locomotion

 

Références

Beigbeder, Frédéric, Bibliothèque de survie. Essai, Paris, Éditions de l’Observatoire, 2021, 160 p.

Jauffret, Régis, la Ballade de Rikers Island. Roman, Paris, Seuil, 2014, 425 p.

Pénurie de conjugaison

Les premières fois que l’Oreille s’est tendue devant ce qui semble un usage de plus en plus commun, c’était à la radio : «Vous dire que nous nous entretiendrons avec XYZ dans trente minutes.»

Puis ce fut sur Twitter :

 

Enfin, c’est dans la presse :

«Quel soulagement ! Et vous dire à quel point ce fut un plaisir de parler avec Beigbeder de notre fascination commune pour le roman The Catcher in the Rye et de découvrir l’écrivain généreux et sympathique qu’il est derrière son personnage» (la Presse+, 3 juillet 2021).

«Patricia Wenzel est à la fois enchantée, soulagée et charmée par l’arrivée du chef Danny Smiles. “Te dire comme il est le meilleur candidat que j’aurais pu avoir !”» (la Presse+, 3 juillet 2021)

Vous dire que l’infinitif, c’est bien, mais que la conjugaison, ce n’est pas mal non plus.

P.-S.—Dans sa jeunesse, l’Oreille appelait cela un médiatic.

De la mesure avant toute chose

Le Besoin fou de l’autre, 2021, couverture

Soit la phrase suivante, tirée du collectif le Besoin fou de l’autre (2021) :

«Moi, j’ai pris un mois et demi pis j’ai appris à le seizer» (p. 151).

Seizer, donc. Venu de l’anglais to size (someone / something up) : mesurer, jauger, juger, évaluer, estimer. Se prononce à l’anglaise.

P.-S.—En effet : ce n’est pas la première fois que nous croisons ce mot.

 

Référence

Le Besoin fou de l’autre. Petite anthologie du théâtre québécois durant la pandémie de Covid-19, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 27, 2021, 187 p. Ill. «Avant-propos» par Valérie Deault. «Contrepoint» par Marianne Ackerman.