Les mystères de la mémoire

Gump Worlsey dans l’uniforme des Rangers de New York

Personne, parmi ceux qui s’intéressent à la représentation du hockey dans la culture, n’est étonné de la place considérable qu’y occupent les grandes vedettes du passé : Maurice Richard, Jean Béliveau, Guy Lafleur.

On s’attend moins, en revanche, à entendre Les Cowboys fringants chanter Bronco Horvath («Salut mon Ron», 2002) ou JP5 évoquer Gino Odjick («Gino Odjick», 2000).

Il y a plus troublant encore : la postérité de Lorne «Gump» Worsley (1929-2007), le gardien de but qui a joué, dans la Ligue nationale de hockey, pour les Rangers de New York, les Canadiens de Montréal et les North Stars du Minnesota. En chiffres : 1,70 mètre, 81 kilos, 931 matches en carrière, dont 211 à Montréal, 4 coupes Stanley (remise à l’équipe championne de la LNH), 2 trophées Georges-Vézina (remis au meilleur gardien de la ligue pendant la saison régulière; les deux fois, Worsley a partagé cet honneur avec un autre gardien, Charlie Hodge, puis Rogatien Vachon), 28/11/69 (il met fin à sa carrière à cause de sa peur de… l’avion).

On le voit apparaître dans une nouvelle de Dave Bidini (2006, p. 62) et dans le premier roman de Victor-Lévy Beaulieu, Mémoires d’outre-tonneau (1968) : «“Les Canadiens sont pourris, c’t’année, dit l’un. Terry Harper est une grosse andouille. Lorne Worsley est une “mitaine percée”. C’est pas comme ça qu’on gagne un championnat de hockey”» (p. 148). Il est dans les pages de l’excellent Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey de Marc Robitaille (1987). Il a eu droit à une (auto)biographie, They Call Me Gump (1975). Il a été dessiné par Normand Hudon (1958, p. 170).

Worsley était reconnu pour son sens de l’humour. Mordecai Richler disait qu’il était son gardien de but favori («My all-time favourite hockey goalie», 2003, p. 96) et il aimait son esprit. Du temps où Worsley jouait pour les Rangers de New York et que l’équipe n’allait pas bien, on lui aurait demandé quelle équipe lui donnait le plus de mal; il aurait répondu «Les Rangers».

Quatre chansons rappellent son souvenir. Son surnom se mêle à plusieurs autres dans «Le but» de Loco Locass (2009). «Gump Worsley’s Lament», des Huevos Rancheros (1994), est une pièce instrumentale à laquelle on a mêlé des extraits sonores qui n’ont rien à voir avec le sport. Les Jérolas, en 1960, appellent au retour devant le filet des Rangers de «Worsley / C’est lui c’est un vrai goaler / Le bonhomme qui a du cœur / Des comme lui i en a pas un / Ce petit gars de Verdun». (Ce Verdun-là est québécois, pas français.)

La chanson la plus étonnante est cependant du groupe The Weakerthans. «Elegy for Gump Worsley» (2007) est précisément cela, une élégie («Poème lyrique exprimant une plainte douloureuse, des sentiments mélancoliques», le Petit Robert, édition numérique de 2010). Sur le ton de la lamentation, le gardien est décrit comme un homme ordinaire («He looked more like our fathers»), pas comme un athlète. Il fume et il boit («Tugging jersey around the beergut / “I’m strictly a whishey man”»). La chanson se termine sur la citation la plus connue de Worsley :

He swore he was never afraid of the puck
We believe him
If anyone asks
The inscription should read
«My face was my mask»

Worsley, comme beaucoup de gardiens de son époque, jouait sans masque. Il n’avait pourtant pas peur : «Mon visage était mon masque.»

Pourquoi parler de lui aujourd’hui ? Parce que son nom apparaît dans un album collectif de bande dessinée paru il y a quelques semaines. Richard Suicide et Denis Lord signent, dans le Démon du hockey (2011), «Gump Worsley était un plat régional patagonien» (p. 18-24). Pas une seule allusion à Worsley sous leur plume; son nom dans le titre suffit.

Pas mal pour un joueur dont Jean Béliveau a déjà dit qu’il ressemblait à borne fontaine («a fire-hydrant-shaped goalie named Lorne Worsley», 2005, p. 40).

P.-S. — D’où vient ce surnom de «Gump» ? Selon Wikipédia, sa coupe de cheveux aurait ressemblé à celle d’un personnage de bande dessinée, Andy Gump.

 

[Complément du 14 avril 2012]

Sans oublier ce vers de Bernard Pozier : «la bonhommie de Lorne Worsley» (1991, p. 31).

 

[Complément du 19 mai 2021]

Ligue de garage (2016) est une bande dessinée dans laquelle Rémy Simard mêle, à la première personne, introduction générale au hockey et instructions humoristiques sur la façon de faire fonctionner une ligue de garage.

Pages 12-13, il évoque des figures connues du hockey : Jean Béliveau, Wayne Gretzky, Ken Dryden, Guy Lafleur, Chris Nilan (un goon), Henri Richard — «Et Lorne “Gump” Worsley» : «C’est à cause de lui que je suis devenu gardien» (p. 13).

 

Références

Beaulieu, Victor-Lévy, Mémoires d’outre-tonneau, Montréal, Estérel, 1968, 190 p.

Béliveau, Jean, avec Chrys Goyens et Allan Turowetz, Jean Béliveau. My Life in Hockey, Vancouver, Greystone Books, 2005, xii/312 p. Ill. Foreword by Wayne Gretzky. Introduction by Allan Turowetz. Édition originale : 1994.

Bidini, David, «I Am Bobby Wolf», dans The Five Hole Stories, Edmonton, Brindle & Glass, 2006, p. 59-71.

Bruneau, Pierre et Léandre Normand, la Glorieuse Histoire des Canadiens, Montréal, Éditions de l’Homme, 2003, 743 p. Ill. Préface de Jean Béliveau.

Collectif, le Démon du hockey, Montréal, Glénat Québec, 2011, 48 p.

Les Cowboys fringants, «Salut mon Ron», dans Break syndical, 2002, disque audionumérique, étiquette Disques de La Tribu TRICD-7200.

Hudon, Normand, la Tête la première, Québec, Institut littéraire, 1958, 319 p. Ill. Préface de Doris Lussier.

Huevos Rancheros, «Gump Worsley’s Lament», dans Johnny Hanson Presents : Puck Rock Classics Vol. 1, 1994, disque audionumérique, étiquette WRONG-11 Wrong Records; repris sur Dig In, 1995, disque audionumérique, étiquettes MRD-007 Mint Records et LOUDER7 One Louder, et disque 33 tours, étiquette LOUDER7 One Louder (réédition, 2004, disque audionumérique, étiquette Outside Music).

Les Jérolas, «La chanson du hockey», 1960, disque 45 tours, étiquette RCA Victor 57-5491, composition de Jean Lapointe; repris sur le disque collectif Parade des succès volume 1, années 1960, disque 33 tours, étiquette RCA Victor LCP-1037.

JP5, «Gino Odjick», dans Johnny Hanson Presents : Puck Rock Vol. 2, 2000, disque audionumérique, étiquette Sudden Death Records.

Loco Locass, «Le but», 2009.

Pozier, Bernard, «Génétique 2», dans Les poètes chanteront ce but, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Radar», 60, 1991, 84 p., p. 31. Réédition : Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2004, 102 p.

Richler, Mordecai, Dispatches from the Sporting Life, Toronto, Vintage Canada, 2003, xxii/295 p. Foreword by Noah Richler. Édition originale : 2002.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey. Récit, Montréal, VLB éditeur, 1987, 142 p. Ill.

Simard, Rémy, Ligue de garage, Montréal, La Pastèque, 2016, 99 p.

The Weakerthans, «Elegy for Gump Worsley», Reunion Tour, 2007, disque audionumérique, 2007, étiquette Epitaph.

Worsley, Gump, with Tim Moriarty, They Call Me Gump, New York, Dodd, Mead, 1975, xii/176 p. Ill.

Les zeugmes du dimanche matin, de Jacques Poulin et de la pub

Jacques Poulin, Chat sauvage, 1998, couverture

Le littéraire

«J’étais heureux de retrouver les sensations anciennes : désirs et craintes, sueurs et odeurs, qui venaient du milieu de mon corps et de la nuit des temps.»

Jacques Poulin, Chat sauvage. Roman, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 1998, 188 p., p. 61.

 

Le publicitaire (la Presse, 1er décembre 2011, cahier Portfolio métallurgie, p. 7)

Publicité journalistique comportant un zeugme, 2011

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

-ounes

Le français du Québec est friand des mots en –oune.

La minoune est une voiture qui a subi des ans l’irréparable outrage. C’est aussi une femelle féline, voire un hypocoristique (Viens ici, ma minoune).

La pitoune est un jeton, une pièce de bois flotté ou une beauté — nécessairement féminine — surfaite (littéralement). Martin Winckler emploie le mot en ce dernier sens dans son polar les Invisibles (2011, p. 152).

Dans le même registre, poupoune n’est guère mieux. Celle-ci peut être «extrême», croit la Presse (23 octobre 2010, p. A5). Si elle fréquente les pistes de course, elle est dans une catégorie, au moins lexicale, à part : «“Les racing poupounes” : jolies reliques du passé» (la Presse, 28 novembre 2011, cahier Auto, p. 16). Elle a son verbe : se poupouner.

En revanche, poupoune peut s’employer pour parler affectueusement d’une enfant. Ainsi, la chanteuse Shilvi a un album intitulé Ma p’tite poupoune (2001).

Comme le ti-coune, la nounoune n’est pas appréciée pour ses qualités intellectuelles. On suppose qu’il en va de même de la «paranounoune» évoquée par Mélika Abdelmoumen (le Dégoût du bonheur, 2001, p. 154). Certains lecteurs de ce blogue se sont demandé récemment si le mot n’est pas la forme féminine de nono; sur le plan du sens, cela se défend; en revanche, sur le plan morphologique, le passage de nono à nounoune ne va pas de soi. (Cela étant, on peut imaginer un cas semblable, de coco à coucoune.)

Les foufounes désignent l’arrière-train, sans distinction de sexe : tout le monde en a. Elles ont donné leur nom à un célèbre bar montréalais, Les foufounes électriques. À l’antipode des foufounes, il y a la noune (chez les femmes) ou la bizoune (chez les autres).

Une chanson est une toune, par exemple «Toune d’automne» des Cowboys fringants (Break syndical, 2002).

La toutoune n’a (généralement) rien à voir avec la musique. Le mot désigne une personne du sexe, un brin enrobée. Francine Allard a signé une Défense et illustration de la toutoune québécoise (1991); le catalogue numérique de Bibliothèque et Archives nationales du Québec classe ce titre sous «Femmes obèses–Humour».

Les gougounes se portent aux pieds. Ailleurs qu’au Québec, ce seraient des sandales de plage ou des tongs.

La balloune existe sous deux orthographes, avec une l ou deux, et sous au moins cinq espèces. L’une est enfantine : on souffle une balloune comme on souffle un ballon. La deuxième est pré-enfantine : une femme en balloune est enceinte. Les deux suivantes relèvent de la beuverie : qui part sur une balloune vise l’imbibition alcoolique, au risque d’être forcé à souffler dans l’ivressomètre (à souffler dans la balloune). La dernière est sportive : une balloune est un tir sans force au baseball ou au tennis, par exemple.

Qui fait la baboune ou, plus simplement, qui baboune, exprime ouvertement son mécontentement. La bouderie a plus d’un nom, comme la lèvre (aussi dite baboune).

La doudoune québécoise n’est pas une «Veste matelassée, légère et chaude» (le Petit Robert, édition numérique de 2010), mais un «Objet choisi par le jeune enfant qui s’y attache; objet transitionnel» (bis). Bref, un doudou.

La guidoune est une personne aux mœurs légères, femme (surtout) ou homme. Il lui arrive donc de guidouner, parfois contre rétribution. L’ange tutélaire de l’Oreille tendue, André Belleau, avait une belle formule pour parler des échanges linguistiques : «La langue française aussi est à tout le monde. C’est une guidoune que personne n’a réussi à maquer» (éd. de 1986, p. 35).

Parmi les mots en -oune, il en est un particulièrement populaire depuis quelques années. Il y a jadis naguère, surtout dans les cours d’école, moumoune désignait l’efféminement, voire l’homosexualité; il évoque aujourd’hui une faiblesse supposée, et désapprouvée. Les exemples abondent, avec ou sans italiques : «Ce n’est pas un hasard si “moumoune” rime avec “Sigmund”» (le Devoir, 10 juin 2003); «Gang de moumounes» (la Presse, 26 janvier 2004); «Je n’ai pas envie d’avoir l’air d’une moumoune en sortant d’ici» (Suzanne Myre, Humains aigres-doux, p. 148); «Camping de moumoune» (le Devoir, 14 octobre 2005, p. B10); «Croisière d’hiver pour une moumoune quatre saisons» (le Devoir, 24 février 2006, p. B10); «Éloge du hockey moumoune» (la Presse, 21 avril 2006, p. A5); «Ce n’est pas sa faute si vous êtes aptères, / Mounounes, / À ce que rapportent les dernières dépêches Reuter» (François Hébert, Toute l’œuvre incomplète, p. 9). On ne devient pas moumoune; on «vire moumoune» (Patrick Roy, la Ballade de Nicolas Jones, p. 48). La moumoune est victime de sa moumounerie : «Toutes ces moumouneries étaient inutiles pour un Bleuet qui a fait la drave» (la Presse, 1er mars 2003).

On imagine sans peine les euphoniques concaténations que permet cette terminaison.

«[Deux] filles, l’une un peu nounoune et nièce de la Poune [surnom de la comédienne Rose Ouellette], l’autre un brin toutoune et qui ne quittait jamais ses gougounes, se promenaient dans une minoune rue Sainte-Catherine Est. Au feu rouge, à la sortie d’un bar de moumounes, une cliente, partie sur une balloune, traitait ses amis de guidounes» (le Devoir, 5 décembre 2003).

«les poupounes les toutounes
avec leurs grosses foufounes
forment des rimes assez nounounes» (Plume Latraverse, «Le beau filon», Chants d’épuration, 2003)

Plume a raison : le «filon» est «beau».

 

[Complément du 7 janvier 2017]

Un esprit chagrin pourrait voir, dans la «baboune boudeuse» de Patrick Senécal en 2011 (p. 249), un pléonasme (mais aussi une alliération).

 

[Complément du 8 avril 2022]

Qui ne souhaite pas utiliser guidoune peut remplacer ce mot par guedaille. Exemple tiré de Mouron des champs de Marie-Hélène Voyer (2022) : «boîtes de dévotion maisons de poupées bagues de foi brassards de communion trousseaux rongés Vierges d’accouchées coiffes de Sainte-Catherine guêpières de guedailles robes d’enfirouapeuses fourrures informes fuseaux rouets soufflets icônes de bois Jésus de cire statues de carême images pieuses aux visages effacés» (p. 89).

N.B. En 1981, Léandre Bergeron propose la graphie guédaille (p. 108), de même que Pierre Corbeil en 2011 (p. 138); Ephrem Desjardins, en 2002, guidaille (p. 91). C’est comme ça.

 

[Complément du 21 avril 2022]

Coup double, chez Stéfanie Tremblay, dans Musique (2022) : «lady guedaille de Sainte-Guedoune» (p. 63). On notera le guedoune mis pour guidoune.

 

Références

Abdelmoumen, Mélika, le Dégoût du bonheur, Montréal, Point de fuite, 2001, 174 p.

Allard, Francine, Défense et illustration de la toutoune québécoise, Monréal, Stanké, 1991, 125 p.

Belleau, André, «Parle (r)(z) la France», Liberté, 138 (23, 6), novembre-décembre 1981, p. 29-34; repris, sous le titre «Parle(r)(z) la France», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 45-47; repris, sous le titre «Parle(r)(z) de la France», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 33-38; repris, sous le titre «Parle(r)(z) de la France», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 33-38. https://id.erudit.org/iderudit/60322ac

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Corbeil, Pierre, Canadian French for Better Travel, Montréal, Ulysse, 2011, 186 p. Ill. Troisième édition.

Les Cowboys fringants, Break syndical, 2002, disque audionumérique, étiquette La Tribu.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Hébert, François, Toute l’œuvre incomplète, Montréal, l’Hexagone, coll. «Écritures», 2010, 154 p.

Latraverse, Plume, Chants d’épuration, 2003, disque audionumérique, étiquette Disques Dragon.

Myre, Suzanne, Humains aigres-doux. Nouvelles, Montréal, Marchand de feuilles, 2004, 157 p.

Roy, Patrick, la Ballade de Nicolas Jones. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 01, 2010, 220 p.

Senécal, Patrick, Malphas 1. Le cas des casiers carnassiers, Québec, Alire, coll. «GF», 16, 2011, 337 p.

Shilvi, Ma p’tite poupoune, 2001, disque audionumérique, étiquette Les Disques Petite Plume.

Tremblay, Stéfanie, Musique, Saguenay, La Peuplade, coll. «Poésie», 2022, 120 p.

Voyer, Marie-Hélène, Mouron des champs suivi de Ce peu qui nous fonde, Saguenay, La Peuplade, coll. «Poésie», 2022, 196 p.

Winckler, Martin, les Invisibles, Paris, Fleuve noir, 2011, 277 p.

Arrive cet instant…

Comme ailleurs dans la francophonie, on entend souvent au Québec l’expression à un moment donné. Plus fréquemment encore, c’est à un m’ment d’nné. Jusqu’à hier, l’Oreille tendue ne connaissait pas la version suivante, découverte sur Twitter : «Amendonné, quand tu prépares tes valises, pense aux bouquins pour le trajet !» Il n’est jamais trop tard pour apprendre.

 

[Complément du 10 janvier 2014]

Nouvelle graphie, aussi repérée sur Twitter : «Et faire de la critique bénévole, ben c’t’épuisant un mendné.»

 

[Complément du 11 janvier 2014]

@revi_redac et ses consœurs correctrices attestent l’existence de madné.

 

[Complément du 17 novembre 2014]

Chez Alice Michaud-Lapointe, dans Titre de transport (2014) : «àmendné» (p. 48).

 

[Complément du 7 janvier 2015]

Vu sur TPLMoms : «un manné».

 

[Complément du 11 septembre 2019]

Dans Querelle de Roberval (2018), de Kevin Lambert, on voit à plusieurs reprises «à moment donné» (p. 19, p. 28, p. 172, p. 202, p. 209).

 

[Complément du 24 septembre 2021]

Mandonné ? Mandonné !

[Complément du 28 août 2022]

Chez Marc Séguin, dans la Presse+ du jour : «une mandné».

 

[Complément du 16 août 2023]

Nous avons vu «un manné». Voyons maintenant «à manné» : «À manné, t’entends un oiseau» (le Plein d’ordinaire, p. 23).

 

Références

Lambert, Kevin, Querelle de Roberval. Fiction syndicale, Montréal, Héliotrope, 2018, 277 p.

Michaud-Lapointe, Alice, Titre de transport, Montréal, Héliotrope, série «K», 2014, 206 p.

Tremblay, Étienne, le Plein d’ordinaire. Roman, Montréal, Les Herbes rouges, 2023, 315 p.

Souligner ou pas ?

L’écrivain Martin Winckler vit maintenant à Montréal. C’est là où il situe l’action de son plus récent roman, un polar, les Invisibles (2011). Pour aller vite : meurtres, finalement résolus, parmi les itinérants autochtones, les éthiciens et les mécènes des uns et des autres.

Winckler a-t-il cédé, comme plusieurs de ses compatriotes, au syndrome Ma cabane au Canada ? Non.

Sur le plan factuel, une seule erreur est à signaler : Stephen Harper est rebaptisé Steven (p. 43).

Sur le plan linguistique, on félicitera le romancier : il a bien tendu l’oreille. Les dialogues en langue populaire sonnent presque toujours juste : «T’es qui, toué ?» (p. 30); «Qu’est-ce t’attends ?» (p. 31); «Gad’ ta marde !» (p. 32); «C’est-tu tout ce que tu peux faire ?» (p. 34); «Tu t’mets-tu à parler comme nous ?» (p. 161); «Comment t’sais ça ?» (p. 209); «Qu’est-ce tu m’veux, tabarnac ? Laisse-moé donc tranquille !» (p. 217); «Ça vas-tu ?» (p. 264); «T’sais-tu [?]» (p. 268 et 270). Les tournures idiomatiques sont bien choisies : «la question à mille piasses» (p. 122); «Jamais dans cent ans !» (p. 269). L’alternance codique anglais / français, si typique de Montréal, est fréquente. Il n’est que de très rares cas où l’on peut chipoter. On ne parle guère de «meublé» (p. 22, 23 et 44) à Montréal. Au lieu de «Crisse ! Remue-toi !» (p. 30), on aurait attendu quelque chose comme «Crisse ! Grouille-toi !» ou, mieux, «Crisse ! Grouille-toé !». Un policier québécois ne dira jamais «Monsieur, posez la batte, s’il vous plaît» (p. 216); le masculin est de rigueur. Qu’on se rassure : on a vu bien pire.

Il y a pourtant un aspect du roman — en l’occurrence de sa mise en pages — qui est moins réussi : certains mots qui seraient propres au français du Québec sont en italiques, d’autres pas, sans qu’il soit toujours possible de comprendre pourquoi. Pour «parce que», il y a «Pasque» (p. 99) et «Pasque» (p. 264). Quand on «s’enivre», on lit «s’paqueter la gueule» (p. 99) et «m’paqueter la gueule» (p. 200). Les compagnes sont des «blondes» (p. 152), puis des «blondes» (p. 154, 241 et 269). Pourquoi «logement» (p. 22, 173 et 213), mais «cans» (p. 20) ?

Le narrateur, un Français fraîchement débarqué à Montréal, se met à parler de «cellulaire» — on peut légitimement penser qu’il aurait dit «portable» à la maison —, on le voit «pitonner» dans un «4 1/2» (p. 226) et on l’entend dire «niaiseuse» (p. 152), tout cela sans italiques. En revanche «poupouner» (p. 99), «pitoune» (p. 152) et «pantoute» (p. 239) en ont.

L’usage des jurons n’est pas plus clair. Page 30 : «Crisse ! Remue-toi !». Page 166 : «toute une tabarnac de crisse d’utopie». Page 210 : «Crisse». Page 213 : «une tabarnac de procédure». Page 217 : «Qu’est-ce tu m’veux, tabarnac ?». Page 260 : «Calisse». Ça fait désordre.

On a déjà rencontré, ici même, un problème identique, dans un autre polar, Peaux, de Diane Vincent (2009).

Morale de cette histoire ? Accueillez les mots du cru comme vous accueillez les autres; ça sera plus simple pour tout le monde.

 

Références

Vincent, Diane, Peaux de chagrins, Montréal, Triptyque, coll. «L’épaulard», 2009, 236 p.

Winckler, Martin, les Invisibles, Paris, Fleuve noir, 2011, 277 p.