Le zeugme du dimanche matin et de Patrick Émiroglou

Patrick Émiroglou, Salut l’écrivain !, 2019, couverture

«Remarquez, ce n’est pas parce que la planète se meurt, que des timbrés sont aux manettes, que la dictature numérique se renforce chaque jour davantage, que tous les capteurs d’attention numériques du Web me pompent l’air et mes données pour les agréger et les revendre au plus offrant que je m’inquiète, non…»

Patrick Émiroglou, Salut l’écrivain !, Montréal, Del Busso, 2019, 167 p., p. 162.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Autopromotion 453

Kevin Lambert, Querelle, 2019, couverture

Le Québécois Kevin Lambert fait parler de lui en France avec son roman Querelle (Paris, Le Nouvel Attila), l’adaptation de Querelle de Roberval (Montréal, Héliotrope). Le quotidien le Monde lui consacre un article (c’est réservé à ses abonnés). Juste à côté, il y a l’Oreille tendue qui parle du français québécois (on peut lire l’entretien presque au complet sans être abonné).

 

[Complément du 14 septembre 2019]

Sous le titre (excellent) de «Littérature : querelle de Paris», Catherine Lalonde revient sur la question dans le Devoir du jour. L’Oreille en est.

 

[Complément du 16 septembre 2019]

Deuxième partie, aujourd’hui, de l’article de Catherine Lalonde : «Le problème imaginaire avec le joual».

Le zeugme du dimanche matin et de Mikella Nicol

Mikella Nicol, les Filles bleues de l’été, éd. de 2017, couverture

«J’ai poussé la porte de l’Ermitage. Chloé m’a rejointe avec nos sacs. Nous avons fait quelques pas dans le chalet qui sentait l’enfance et le renfermé. Il y avait des mulots noirs, morts dans les trappes.»

Mikella Nicol, les Filles bleues de l’été. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, coll. «Coursière», 2017, 119 p., p. 20. Édition originale : 2014.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Oui, à nous

Maria Candea et Laélia Véron, Le français est à nous !, 2019, couverture

Au printemps, Maria Candea et Laélia Véron faisaient paraître Le français est à nous ! Petit manuel d’émancipation linguistique. Pour qui n’aime pas les discours déclinistes, c’est une lecture obligatoire.

Que veulent-elles faire ?

Notre objectif est triple : définir la langue et les notions linguistiques de base, décrypter les enjeux sociaux et citoyens liés à ces questions de langue et, pour finir, raconter quelques histoires situées à différentes époques de l’histoire du français. À ces trois objectifs répond la structure en trois parties de cet ouvrage [«Qu’est-ce que la langue ?»; «Au nom de la langue»; «Langue et débats : promenades dans les histoires de la langue»]; mais les ponts entre définitions, pratiques et histoire sont bien entendu nombreux (p. 11).

Chaque chapitre est introduit par un encadré contenant un résumé du sujet à traiter, en deux parties : «On pense souvent, à tort, que :»; «Mais souvent, on ne sait pas que :» Tous contiennent un ou deux «Focus», où les autrices abordent une question de façon synthétique : «Que penser de l’écriture dite “inclusive” ?» (p. 117-120); «L’Europe était-elle francophone et francophile au XVIIIe siècle ?» (p. 169-170); «Faut-il réformer l’ortografe du français ?» (p. 196-202); etc. Les textes se terminent sur une bibliographie, et l’ouvrage sur un glossaire.

Les positions défendues le sont avec fermeté : contre «l’idéologie puriste» (p. 8), la prescription linguistique, l’essentialisme, les «réactionnaires professionnels» (p. 25) et la «blogosphère réactionnaire» (p. 78), les «idées reçues nocives» (p. 42), le «registre de la déploration» (p. 62), les «grammairiens interventionnistes» (à la suite d’Éliane Viennot, p. 106). Le sont aussi les propositions, notamment sur l’enseignement de la langue (p. 24-25, p. 44, p. 48, p. 200-201) et sur des questions plus spécifiques (l’accord du participe passé, p. 107 n. 1). Voilà comment lutter contre l’«insécurité linguistique».

Les exemples sont excellents : végan / végane (p. 31), bolos / boloss (p. 31-32), aller au / chez le coiffeur (p. 56-60), souping (p. 67 et p. 73), migrant (p. 96), paysan (p. 99-100), autrice (p. 108-109), étudiante, au sens de prostituée (p. 111-112). Les sources sont diverses, de la littérature à la presse, en passant par les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, les sites Web, les blogues, YouTube).

Candea et Véron ont leurs adversaires de prédilection. L’Académie française, au mieux, ne sert «Rigoureusement à rien» (p. 37); au pire, elle a un «pouvoir de nuisance» (p. 121). De quel amour blessée, d’Alain Borer (2014), est «encore plus catastrophiste et nécrophilique» (p. 82) que Notre langue française, de Jean-Michel Delacomptée (2018). Marc Fumaroli publie des «ouvrages bien peu théorisés» (p. 167) et il défend une conception des sociabilités «clairement antidémocratique» (p. 168), en plus d’être un «grand fournisseur de mythes sur l’Âge classique auprès des médias» (p. 169). Dans les mêmes médias — mais pas dans ses études —, Alain Bentolila raconte n’importe quoi, s’agissant du lexique des «jeunes» (p. 76-78), de même qu’Alain Finkielkraut sur les accents (p. 80). Étiemble et son franglais sont épinglés (p. 71-72); on aurait pu y aller plus fort. Au-delà de la période contemporaine, retenons la déconstruction de l’«approche pseudo-linguistique» (p. 165) de Rivarol et de son discours De l’universalité de la langue française (1784).

L’Oreille tendue a particulièrement apprécié le passage sur la prétendue «langue de Molière» (p. 23-24), la démonstration du caractère circonscrit de l’enseignement du français dans les colonies françaises (p. 122-139), les explications sur l’origine militaire et l’«idéologie profondément raciste» (p. 137) du «petit nègre» (p. 136-138), les pages dures sur l’Organisation internationale de la francophonie (p. 140-156). Maria Candea et Laélia Véron sont toujours sensibles aux variations — géographiques, sociales, historiques («Derrière chaque faute courante, il y a une histoire», p. 56) — et leurs lecteurs ne peuvent que s’en réjouir.

L’Oreille est à l’occasion gossante; on l’en excusera (ou pas). Elle ne comprend guère ce que serait l’«amour du français», plusieurs fois revendiqué (p. 43-45, p. 48, p. 81, p., 225) : aimer la langue et ce qu’elle permet de faire, oui; mais aimer une langue, pourquoi ? À cet égard, le début de la «Conclusion» verse dans le procès d’intention (p. 219-220). Quoi qu’en dise Wikipédia, le Québécois Jean-Marc Léger est bien plus un journaliste et un fonctionnaire qu’un écrivain (p. 145). S’il n’existe pas de définition universellement acceptée des humanités numériques, le passage qui leur est consacré (p. 212-214) pourrait prêter à de longs débats.

Ce sont là des détails. L’essentiel est ailleurs, et à lire.

 

Référence

Candea, Maria et Laélia Véron, Le français est à nous ! Petit manuel d’émancipation linguistique, Paris, La Découverte, coll. «Cahiers libres», 2019, 238 p.