Curiosité voltairienne (et optique)

Hervé Le Tellier, l’Anomalie, 2020, couverture

«Comme le Pangloss de Voltaire, ils croient que les nez ont été faits pour porter des lunettes, et que c’est pourquoi nous avons des lunettes.»

Hervé Le Tellier, l’Anomalie. Roman, Paris, Gallimard, 2020, 327 p., p. 303.

 

C’est expliqué au premier chapitre de Candide (1759), le conte de Voltaire : «Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes; aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, et nous avons des chausses. Les pierres ont été formées pour être taillées et pour en faire des châteaux; aussi monseigneur a un très beau château : le plus grand baron de la province doit être le mieux logé; et les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute l’année. Par conséquent, ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise : il fallait dire que tout est au mieux.»

 

Voltaire est toujours bien vivant.

L’art du dialogue (façon de parler)

ain Robbe-Grillet, Dans le labyrinthe, éd. de 1963, couverture

«Il s’arrête aussitôt, sur une phrase incertaine, bouclée à la hâte dans une direction que le début n’annonçait guère, et dont le caractère interrogatif est si peu net que la femme conserve la possibilité de s’abstenir d’y répondre» (p. 72).

«Aussitôt le soldat confirme par des explications plus détaillées; mais, à peine lancé, un doute le prend, si bien qu’il préfère se limiter, par prudence, à une succession de phrases décousues, c’est-à-dire sans lien apparent, pour la plupart inachevées, et de toute façon très obscures pour son interlocuteur, où lui-même d’ailleurs s’embrouille davantage à chaque mot. L’autre ne bronche pas, prêtant l’oreille d’un air d’intérêt poli, les yeux légèrement plissés, la tête inclinée sur le côté gauche, ne manifestant pas plus de compréhension que d’étonnement» (p. 150-151).

Alain Robbe-Grillet, Dans le labyrinthe. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1963, 221 p. Édition originale : 1959.

Lectures sous contrainte

Page de garde avec la signature de Benoît Melançon, juillet 1980

La retraite permet de se livrer à des expériences imprévues. Au cours des dernières semaines, l’Oreille tendue, par exemple, a décidé de ne lire que des livres de sa bibliothèque achetés il y a plus de quarante ans et jamais lus / achevés, ou complètement oubliés. (Elle en possède quelques-uns.)

Bilan d’étape.

Beaucoup de ces livres procurent des bonheurs de lecture, indûment reportés : Gustave Flaubert, la Tentation de saint Antoine (1874); Alain-Fournier, le Grand Meaulnes (1913); Blaise Cendrars, Bourlinguer (1948); Gabrielle Roy, Rue Deschambault (1955 — mais le premier texte choque fort aujourd’hui, bikôse le mot en n-); Franz Kafka, la Métamorphose (1955); Samuel Beckett, Fin de partie (1957); Claude Roy, Défense de la littérature (1968); Nathalie Sarraute, Entre la vie et la mort (1968); Jacques Ferron, le Saint-Élias (1972).

Certains se laissent lire, sans plus, aussitôt refermés aussitôt presque oubliés : Honoré de Balzac, Une fille d’Ève (1839); Alain Robbe-Grillet, Dans le labyrinthe (1959); Heinrich Böll, l’Honneur perdu de Katharine Blum ou Comment peut naître la violence et où elle peut conduire (1975); Peter Handke, la Femme gauchère (1976).

Mais il y a aussi des daubes : Raymond Radiguet, le Diable au corps (1923); André Malraux, la Voie royale (1930, le pire de tous).

À suivre ?