Souvenir poétiquement réactivé

Maxime Catellier, Mont de rien, 2018, couverture

 

De 1982 à 1999, Ronald Corey a été le président des Canadiens de Montréal — c’est du hockey.

Un jour, dans une entrevue en anglais, il a utilisé une expression courante du français québécois, sans même sans s’en apercevoir : faque. Il ne l’a ni traduite ni expliquée. L’Oreille tendue — allez savoir pourquoi — n’a jamais oublié cette manifestation involontaire d’alternance codique.

C’est, entre autres choses, à Ronald Corey que l’Oreille a pensé en lisant Mont de rien (2018). Dans ce Roman en trois périodes et deux intermèdes, selon le sous-titre, mais rédigé presque au complet en vers, Maxime Catellier utilise au moins huit fois l’expression «fait que», par exemple dans «à l’école je m’ennuie / parce que j’ai appris à lire / trop vite / fait que je lis / pendant que les autres / apprennent à lire» (p. 53).

Ce «fait que» pourrait être remplacé par «ce qui fait que», voire, plus simplement, par «donc». À l’oral, comme chez Ronald Corey, il devient souvent «faque».

Voilà.

P.-S.—Oui, en trois périodes, avec une prolongation…

 

[Complément du 17 novembre 2018]

Comme tout le monde, l’Oreille a vu la montée en puissance de l’expression du coup. Comme beaucoup, elle l’a déplorée.

Lisant l’entrée du jour de BiblioBabil, le blogue (hautement fréquentable) de Luc Jodoin, elle tombe sur ceci : «Faque (du coup, pour les Français)» — et elle rougit, de honte, de tous ses lobes. Comment a-t-elle pu ne pas voir le lien entre faque et du coup ? Excusez-la pour quelques heures : du coup, elle va pleurer dans son coin.

 

[Complément du 21 septembre 2022]

Il faut connaître le québécisme fait que pour réussir à comprendre une case de la bande dessinée Éléments de langage de Bertin Leblanc et Paul Gros (2022) : «Faites que je pense qu’on va se parler souvent dans les prochains mois, mon gars !» (p. 54)

 

Références

Catellier, Maxime, Mont de rien. Roman en trois périodes et deux intermèdes, Montréal, L’Oie de Cravan, 2018, 123 p.

Leblanc, Bertin et Paul Gros, Éléments de langage. Cacophonie en Francophonie, Saint-Avertin, La boîte à bulles, 2022, 208 p.

Seuls ou ensemble

François Blais, Iphigénie en Haute-Ville, 2006, couverture

Dans certains cas — histoire de suivre la mère de l’Oreille tendue —, il faudrait distinguer le fou du fin : «Pas assez fous pour mettre le feu, mais pas assez fins pour l’éteindre !»

Dans d’autres, on peut les prendre ensemble, car l’important est la masse qu’ils désignent : «Ça, ça tombe bien parce que moi, des opinions, j’en ai pour les fins et pour les fous», affirme le personnage éponyme du roman Iphigénie en Haute-Ville de François Blais (2006, p. 89).

La Base de données lexicographiques panfrancophone, à «fins», explique l’expression «il y en a pour les fins pis pour les fous» : «Il y en a en grande quantité, en abondance.»

C’est comme ça.

 

Référence

Blais, François, Iphigénie en Haute-Ville. Roman à l’eau de rose, Québec, L’instant même, 2006, 200 p.

Nous ?

David Turgeon, À propos du style de Genette, 2018, couverture

Robert Vigneault a consacré nombre de travaux à essayer de définir l’essai littéraire. Dans la revue Voix et images, en 1983, il publiait un article intitulé «L’essai québécois : préalables théoriques». On pouvait y lire ceci : «Un signe qui ne trompe pas : chaque fois qu’un auteur se cache derrière l’autorité d’un Nous impersonnel et envahissant (“à notre femme”, portait la dédicace de telle thèse), c’est qu’il est monté dans la chaire de vérité et qu’il préside à l’avancement de la science» (p. 312). Il est vrai que ce «à notre femme» ouvre la porte à des interprétations potentiellement troublantes.

Dans un essai récemment paru, David Turgeon — comme l’Oreille tendue le signalait l’autre jour — analyse le style du théoricien Gérard Genette et aborde à son tour, deux fois, la question du pronom de la première personne du pluriel dans l’écriture savante.

Quand il écrit «Le nous de modestie […] est la forme qu’encore aujourd’hui l’université préconise à ses étudiants d’employer dans leurs travaux» (p. 67), il étonne : cela ne correspond plus guère à la pratique quotidienne des étudiants en lettres que lit massivement l’Oreille pour des raisons professionnelles. Le nous n’est certes pas disparu, mais il est de plus en plus souvent remplacé par le je.

Dans le développement qui suit cette affirmation, Turgeon cite les Éléments de littérature de Marmontel : «À propos de l’usage qui, dans notre langue, veut qu’on mette le pluriel à la place du singulier, je demande pourquoi, dans un écrit qui est l’ouvrage d’un seul homme, l’auteur, en parlant de lui-même, se croit obligé de dire nous ?» (cité p. 68) Ce n’est pas lui qui aurait dédié un ouvrage «à notre femme».

P.-S.—L’Oreille tendue n’a pas réussi à trouver la thèse à laquelle Robert Vigneault fait allusion en 1983, mais elle en a repéré d’autres, soutenues depuis et destinées, elles aussi, «à notre femme» (voir ici et ).

 

Références

Turgeon, David, À propos du style de Genette. Essai, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 122, 2018, 223 p.

Vigneault, Robert, «L’essai québécois : préalables théoriques», Voix et images, 8, 3, hiver 1983, p. 311-329. https://doi.org/10.7202/200385ar