Ne pas visualiser svp, bis

François Blais, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant, 2009, couverture

Un chroniqueur politique québécois au style bigarré écrivait cette semaine cette phrase :

Moi, je crois à ça, et ça me semble tellement plus durable que l’entreprise étrangère subventionnée qui nous fait souvent dans les mains en se maudissant des impacts pour notre monde.

Faire dans les mains, donc. Nous avons croisé cette expression il y a plusieurs lustres; voir ici.

François Blais n’a pas de ces délicatesses, qui écrit, dans Vie d’Anne-Sophie Bonenfant, «chier dans les mains» (p. 229).

Voilà qui est plus clair.

P.-S.—Pourquoi «Ne pas visualiser svp, bis» ? Parce que.

 

Référence

Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.

Le zeugme du dimanche matin et d’Horace Brown

Whispering City, éd. de 2023, couverture

«As he stood outside Michel Lacoste’s apartment, listening, the thought seemed to him thin and insubstantial. His breathing was even more rapid than he remembered it from those horrible moments a score of years ago, when his friend’s face had turned to him in surprised and pleading terror and then when the roar of the [Montmorency] Falls had blotted out all reason and the falling scream had seemed natural, part of the wild landscape and of the ordered scheme of things. His pulse raced beyond normal.»

Whispering City. A Study in Suspense, Montréal, Véhicule Press, A Ricochet Book, 2023, 161 p., p. 73. Adapted by Horace Brown from the Quebec Productions’ Film based on an original story by George Zuckerman and Michael Lennox. Introduction de Brian Busby. Édition originale : 1947.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Henning Mankell

Henning Mankell, Meurtriers sans visage, éd. de 2003, couverture

«Il tend l’oreille dans le noir et soudain il est parfaitement conscient.

Il y a quelque chose qui a changé. Quelque chose n’est plus comme d’habitude.

Il étend prudemment la main jusqu’à toucher le visage de sa femme. Du bout des doigts, il sent la chaleur de son corps. Ce n’est donc pas elle qui est morte. Aucun des deux n’a encore laissé l’autre seul.

Il tend l’oreille dans le noir.»

Henning Mankell, Meurtriers sans visage. Roman, Paris, Christian Bourgois éditeur, coll. «Points», P1122, 2003, 385 p., p. 12. Édition originale : 1991. Traduction de Philippe Bouquet.

S & S

Boîte de Spic and Span

Pas plus tard qu’hier, l’Oreille tendue s’est surprise à utiliser une expression venue de son lointain passé linguistique : fallait-il ou pas laisser les lieux «spic and span» ? Cette expression, dans le français populaire du Québec, renvoie à la forme ultime de la propreté : il n’y a rien au-delà.

Le produit nettoyant qui porte ce nom existe toujours, mais l’Oreille n’y avait pas pensé depuis des décennies.

Ça ne la rajeunit pas.

 

[Complément du jour]

L’étymologie de spic(k) and span ? Par ici.

Des exemples romanesques ? À votre service, avec deux graphies.

«Et ma maison a beau être spick and span, l’odeur du corps qui pourrit dans le garde-robe risquerait d’alerter les visiteurs» (Autour d’elle, p. 33).

«Dans son abasourdissement, il avait, savon de graisse et brosse à crin, lavé tout ce qu’il y avait de fenêtres dans la maison, les carreaux des lucarnes, l’œil-de-bœuf, jusqu’à ce que tout fût spic and span» (la Bête creuse, p. 537).

 

[Complément du 9 décembre 2024]

Parmi les figures québécoises associées à la propreté, outre le spic and span, il y a Mme Blancheville, comme chez Chloë Rolland :

La poussière s’accumulait, des cernes de vin s’incrustait dans les meubles, la fumée imprégnait les rideaux. Mat, qui avait toujours été plutôt Blancheville, commençait à négliger la pharmacie, le hall, dont il était responsable depuis toujours. Il avait abandonné sa routine (p. 72).

Ça ne rajeunit pas l’Oreille non plus.

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Bienvenu, Sophie, Autour d’elle. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 206 p.

Rolland, Chloë, C’est ton carnage, Simone. Roman, Montréal, Del Busso éditeur, 2024, 181 p.