Dans «Histoire de la littérature québécoise contemporaine 101», l’Oreille tendue associait le nom de Daniel Grenier à l’École de la tchén’ssâ. William S. Messier va plus loin — et il est peut-être le premier à l’écrire : «j’suis de l’École de la tchén’ssâ».
Grenier et Messier, outre leur appartenance, imposée ou revendiquée, à cette école, jouent dans la même ligue de balle molle, La ligue du Ruppert Mundys (ou Mundys’s) revival, où s’opposent Les Louis-Ferdinand Céline et Les Martres du Centre-sud.
Et ils ont un verbe en commun : raser.
«Gough vient juste de raser se tuer en tombant juste à côté d’une brochette en bois avec un petit reste de saucisse calcinée plantée dans le gazon en arrière du deuxième but» (Daniel Grenier, «Faits saillants», site Poème sale, 20 octobre 2012).
«Sous la réalité étincelante d’un soleil de fin d’après-midi de juillet, les deux sacs de plastique contenant chacun douze canettes de Pabst Blue Ribbon ont beau cogner sur la roue avant de son vélo, faire tourner son guidon et raser lui faire quitter la piste cyclable pour foncer sur le cours de yoga prénatal, rien ne saurait ternir ce moment» (William S. Messier, «Bon match», site Poème sale, 24 octobre 2012).
Raser ? Au Québec, ne pas se produire (ouf !), alors que cela aurait très bien pu se produire. Autrement dit : passer proche.
[Complément du 15 novembre 2020]
Trois exemples pour passer proche :
«Elle a passé proche» (Créatures du hasard, p. 134).
«J’envisage un moment la possibilité de me noyer dans mon sang, mais l’homme donne soudain un coup de succion qui passe proche de m’arracher la langue en aspirant les liquides» (la Nageuse au milieu du lac, p. 118).
«Donald Trump passe proche de reconnaître sa défaite» (Radio-Canada, 13 novembre 2020).
Références
Carballo, Lula, Créatures du hasard. Récit, Montréal, Le Cheval d’août, 2018, 144 p. Ill.
Nicol, Patrick, la Nageuse au milieu du lac. Album, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 85, 2015, 154 p.
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C’est encore plus « bromantique » quand on sait que je tiens cette utilisation de « raser » de William Messier lui-même, et que quand je l’utilise, c’est surtout pour lui rendre un hommage discret mais sincère.
Quid de l’expression « rasé, compte pas » qui, du moins dans mon entourage familial, appartenait au langage sportif (par exemple, avoir presque réussi un but) et à celui du jeu (de cartes. Ton triomphal de mon grand-père au canasta)?
L’influence est manifestement anglo-saxonne : «Close only counts in horseshoes, hand grenades, and slow dancing.»
Oui, sûrement. Mes parents, qui habitent dans l’ouest de la Montérégie à quelques kilomètres de l’Ontario, ont toujours utilisé cette expression : «Y’a rasé s’tuer», «Y’ont rasé gagner», «J’ai rasé y dire», etc, etc.