Accouplements 65

Andre Agassi, Open, 2010, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Teddy Bear, le personnage principal du roman les Grandes Marées (1978) de Jacques Poulin, est traducteur de bandes dessinées. Il en vient à partager une île du Saint-Laurent avec, entre autres personnages, un lance-balles. Il le présente à Marie.

Le Prince lui fit immédiatement une forte impression. Il était noir mat et solidement bâti.

[…]

— Le Prince a un cerveau, dit-il.

Se mettant à genoux, il lui indiqua un réceptacle de forme rectangulaire qui était placé derrière l’affût du canon.

— On met une cassette là-dedans, dit-il. On presse le bouton qui est ici et le Prince suit le programme qui est enregistré sur le ruban magnétique de la cassette.

[…]

— Excusez-moi. Je me suis laissé emporter, dit-il.

— C’est pas grave, dit-elle. J’aime beaucoup le tennis moi aussi et je trouve que le Prince est très beau (éd. de 2010, p. 35-36).

Dans ses fabuleux Mémoires, Open (2009), le joueur de tennis Andre Agassi, lui qui n’aime pas ce sport, se souvient d’une machine semblable, quand il avait sept ans. Elle le terrorisait.

At the moment my hatred for tennis is focused on the dragon, a ball machine modified by my fire-belching father. Midnight black, set on big rubber wheels, the word PRINCE painted in white block letters along its base, the dragon looks at first glance like the ball machine at every country club in America, but it’s actually a living, breathing creature straight out of my comic books. The dragon has a brain, a will, a black heart — and a horrifying voice (éd. de 2010, p. 28).

Tous les princes ne sont pas bienveillants.

P.-S. — Il existe bien sûr des études sur le tennis dans l’œuvre de Jacques Poulin, par exemple celle de Georges Desmeules en 1999.

 

Références

Agassi, Andre, Open. An Autobiography, New York, Vintage Books, 2010, 385 p. Ill. Édition originale : 2009.

Desmeules, Georges, «Le tennis au service de Jacques Poulin», Québec français, 114, été 1999, p. 80-82. https://id.erudit.org/iderudit/56194ac

Poulin, Jacques, les Grandes Marées, Montréal, Leméac, coll. «Babel», 195, 2010, 208 p. Édition originale : 1978.

Rire, puis plus

Samuel Cantin, Whitehorse, 2015, couverture

Henri Castagnette, le personnage principal de Whitehorse (2015), libraire à temps partiel, écrivain sans œuvre, velléitaire et fabulateur, vit avec une comédienne débutante, Laura. Quand elle obtient le premier rôle dans un film de Sylvain Pastrami, également intitulé Whitehorse, la jalousie d’Henri explose. Cela se terminera mal (pour l’instant : une deuxième partie est à paraître).

Avant cette fin violente, on aura eu l’occasion de rire dans une série de vignettes absurdes ou parodiques : métaphores routières (p. 30, p. 68), dialogue au Kafka (p. 34) ou au kale (p. 104), conversations embarrassées (p. 60-63), scène de couple avec poireau (p. 84-87), mondanités droguées (p. 133-134), propos sur l’art («Les biennales d’art, ça, c’est un bon concept ! Ça devrait s’appliquer à tout. Faites de l’art juste aux deux ans, gang […]», p. 170).

On aura aussi eu droit, en matière de sexualité et d’homosexualité, à nombre de représentations et de discours. Les mots ne sont pas moins crus que les images. Les langages du corps importent fort au narrateur.

La langue de ce roman graphique accueille généreusement la langue populaire, les mots en anglais et les jurons. En cette matière, il y en a pour tous les goûts, ce qui ne saurait déplaire à l’Oreille tendue : simonaque, fuck, crisse / crime, mon Dieu / My God, cheez whiz, câlisse / câline, maudine / maudit / mautadine, cibole, ostie / esti / sti, tabarnouche / tabarne / tabarnak (c’est le dernier mot du livre), etc.

Attendons la suite. On rira, ou pas ?

 

Référence

Cantin, Samuel, Whitehorse. Première partie, Montréal, Éditions Pow Pow, 2015, 211 p.

Les zeugmes du dimanche matin et d’Ian Manook

Ian Manook, Yeruldelgger, 2016, couverture

1.

«Ils descendirent de la voiture, lui surveillant les alentours et Colette ses escarpins rouges» (p. 515).

Ian Manook, Yeruldelgger. Roman, Paris, Albin Michel, coll. «Le livre de poche. Policier», 33600, 2016, 646 p. Avant-propos inédit de l’auteur. Édition originale : 2013.

2.

«Écoute-moi bien : je suis un vieux flic fatigué. Traquer des minables comme toi a fracassé ma vie. J’y ai perdu mes amours, beaucoup d’amis, pas mal de ma santé, et beaucoup de temps» (p. 217).

«Il parlait d’une voix calme, sans véritable colère, tout en conduisant avec prudence à travers la ville écartelée par les vents, les terrains vagues et la tristesse» (p. 318).

«J’ai une carte de flic, un autre flingue et aucun remords» (p. 359).

«Ça va être plus dur pour toi maintenant, à pied, dans la steppe, et dans ma ligne de mire» (p. 540)

Ian Manook, les Temps sauvages. Roman, Paris, Albin Michel, coll. «Le livre de poche. Policier», 34208, 2016, 573 p. Édition originale : 2015.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Autopromotion 248

Études françaises, 52, 2, 2016, couverture

Le plus récent numéro de la revue Études françaises vient de paraître (Presses de l’Université de Montréal, vol. 52, no 2, 2016, 189 p., ISSN : 0014-2085, ISBN : 978-2-7606-3692-7). Il contient un dossier intitulé «Nouvelles maisons d’édition, nouvelles perspectives en littérature québécoise ?». L’Oreille tendue y a un article sur la langue de quelques romans québécois contemporains. Ses lecteurs ne devraient pas être dépaysés.

Table des matières

Dossier «Nouvelles maisons d’édition, nouvelles perspectives en littérature québécoise ?»

Mercier, Andrée et Élisabeth Nardout-Lafarge, «Présentation. Les lieux du changement ?», p. 5-14. https://doi.org/10.7202/1036921ar

Lapointe, Martine-Emmanuelle, «Portrait d’une maison d’édition naissante. La cas de La mèche», p. 15-28. https://doi.org/10.7202/1036922ar

Côté-Fournier, Laurence, «Les Éditions Rodrigol : un formalisme du commun», p. 29-46. https://doi.org/10.7202/1036923ar

Landry, Pierre-Luc et Marie-Hélène Voyer, «Paratexte et mentions éditoriales : brouillages et hapax au cœur de la “Renaissance québécoise”», p. 47-63. https://doi.org/10.7202/1036924ar

Audet, René, «Des sous-produits éditoriaux au secours de la littérature. Stratégies de construction d’image chez les éditeurs québécois contemporains», p. 65-86. https://doi.org/10.7202/1036925ar

Mercier, Andrée, «Avatars parodiques de la quête identitaire dans le roman québécois contemporain», p. 87-103. https://doi.org/10.7202/1036926ar

Melançon, Benoît, «Un roman, ses langues. Prolégomènes», Études françaises, 52, 2, 2016, p. 105-118. https://doi.org/10.7202/1036927ar

Exercices de lecture

Auger, Manon, «Le “contemporain” de la critique : quelques observations à propos d’un récit impossible», p. 121-140. https://doi.org/10.7202/1036928ar

Simard, Mathieu, «“La valse des adieux” de Louis Aragon ou le passé composé de l’avenir», p. 141-159. https://doi.org/10.7202/1036929ar

Simard-Houde, Mélodie, «Les avatars du “Je”. Roman et reportage dans l’entre-deux-guerres», p. 161-180. https://doi.org/10.7202/1036930ar

Les zeugmes du dimanche matin et de Sébastien Bailly

Sébastien Bailly, les Zeugmes au play, 2011, couverture

Sébastien Bailly n’est pas seulement l’auteur des Zeugmes au plat (commentés ici par l’Oreille tendue) et l’animateur du groupe les Zeugmes au plat sur Facebook. Il zeugme aussi sur Twitter (@sbailly). Quatre exemples ci-dessous.

«Il avait envie de mettre les points sur les i une bonne fois pour toute, et dans sa gueule» (19 janvier 2016).

«Quand on pense que certains ont vécu sous l’empire d’un état alcoolique et de Napoléon III…» (17 mars 2016)

«il finit remorqué, en partie sous l’eau… et les applaudissements» (1er mai 2016).

«Un barbier trop timide et barbant passait ses dimanches à entretenir ses terres. Il rasait les murs, sa femme et ses forêts» (13 juin 2016).

 

Référence

Bailly, Sébastien, les Zeugmes au plat. Éloge d’une tournure humoristique, Paris, Mille et une nuits, coll. «Mille et une nuits», 585, 2011, 107 p. Avant-propos de Hervé Le Tellier.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)