L’oreille tendue de… Stéphane Despatie

Stéphane Despatie, Fretless, 2023, couverture

«C’était comme ça que les mottons passaient chez moi; en me faisant sucer les oreilles. Bien sûr, ça n’arrivait pas assez souvent, mais ça arrivait. Et pendant que j’entendais le bruit de succion, l’oreille, pourtant bien tendue, ne laissait plus entrer d’information et mes yeux, perdus dans un brouillard de malaises, confondaient alors toutes les lèvres et toutes les langues, y compris celle qui s’attardait sur le tubercule de Darwin

Stéphane Despatie, Fretless, Montréal, Mains libres, 2023, 302 p., p. 152.

Accouplements 257

Portraits de Giacomo Casanova et de Denise Filiatrault, collage

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Hoffmann, Benjamin, les Minuscules. Roman, Paris, Gallimard, coll. «NRF», 2024, 285 p.

«Un examen minutieux, inspiré par la jalousie la plus vive qui ne me laissait ignorer ni recoins, ni cachettes, qui me poussait à explorer les pages des livres et le revers du matelas, les profondeurs des chaussures et l’envers des édredons, m’apprit une vérité qui me déchira le cœur : la lettre de ma rivale devait reposer contre le sien puisque je ne la trouvais nulle part. Mon imagination troublée me représentait Giacomo [Casanova] relisant pour la millième fois les mots d’Henriette, les baisant avec des transports passionnés puis les plaçant contre sa peau comme le substitut d’une caresse» (p. 178-179).

Filiatrault, Denise, «Rocket Rock and Roll», 1957, 2 minutes 37 secondes, disque 45 tours et disque 78 tours, étiquette Alouette CF 45-758; repris dans Une simple mélodie. Une anthologie de la chanson québécoise de 1900 à 1960, coffret de dix disques audionumériques, 2007, étiquette Disques XXI XXI-CD 2 1571 et dans les Légendes des Canadiens, Musicor, disque audionumérique, 2009.

«J’ai beau chercher
Tout retourner
Tout chavirer
Je n’peux pas l’trouver

Rock’n’roll Rocket Rocket
Rock’n’roll Rocket Rocket

C’est vraiment bête
De manquer son Rocket
Pour un ticket

Monsieur le placier, quel bonheur
J’ai retrouvé mon ticket
Il était là sur mon cœur
Je vais voir mon Rocket
Ah ! zut ! La partie est finie»

Les zeugmes du dimanche matin et de Jean Echenoz

Jean Echenoz, Bristol, 2025, couverture

«Bristol cherche un interrupteur puis à se rappeler où il est, ce qu’il fait là, quelle heure est-il et qui est est-il au juste : six heures dix et ce n’est que moi» (p. 38).

«Bien qu’il soit encore tôt, la rosée tropicale s’est vite évaporée, le soleil grimpe dans le ciel à toute allure et déjà l’on transpire sous les séquoias, les chapeaux de toile, les effets des vaccins, du décalage horaire et du traitement antipaludéen» (p. 90).

«Ne nous étendons pas sur la mélancolie qui, face à cet échec, s’est emparée de Bristol, évitons de détailler ce tableau, préférons l’ellipse à l’hypotypose. Observons seulement qu’il sort très peu de chez lui, ne reçoit pas plus de visites qu’il n’en fait, mais aussi — la méthode elliptique n’exclut pas de recourir à l’image — que de longues ombres muettes, brunes, malpropres et malodorantes s’étirent à toute heure du jour dans son esprit, dans sa mémoire et son appartement qui s’empoussière à vue d’œil» (p. 123-124).

Jean Echenoz, Bristol. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2025, 205 p.

 

P.-S.—La dernière citation vous dit quelque chose ? On ne peut rien vous cacher.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Accouplements 256

Julia Deck, le Triangle d’hiver, 2014 et Jean Echenoz, Bristol, 2025, couvertures, collage

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Echenoz, Jean, Bristol. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2025, 205 p.

«Nous aurions allégé ces derniers propos, distribués en alternance avec une description du quartier où Bristol et Saint-Clair auraient fait un tour après le déjeuner, les environs du Trocadéro s’y prêtant : un passage au cimetière de Passy, une visite aux jardins du Panthéon bouddhique, une balade jusqu’à l’île aux Cygnes si le temps le permet, sinon c’est toujours l’occasion de visiter le musée de la Marine» (p. 25).

Deck, Julia, le Triangle d’hiver. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2014, 174 p.

«Elle [l’avenue d’Iéna] m’a conduite face au grand A de la tour Eiffel. J’ai longé les bassins du Trocadéro, traversé l’avenue Hussein-Ier-de-Jordanie et l’esplanade des Droits-de-l’Homme-et-des-Libertés où, afin d’employer ces libertés, les hommes et leurs femmes s’enlacent devant l’objectif puis se procurent auprès de revendeurs à la sauvette des miniatures de la tour en A. Marchant sous l’aile Passy du palais de Chaillot, j’ai remarqué que ce bâtiment abritait le musée de la Marine» (p. 142).

P.-S.—La suite de la visite, chez Julia Deck, se trouve naturellement ici.