Les zeugmes du touriste et du dimanche matin

Julien Blanc-Gras, Touriste, 2011, couverture

Hull, Grande-Bretagne : «Une riante bourgade ravagée par la crise postindustrielle, où l’on repère les étrangers à leur absence de tatouages et de cirrhose» (p. 16).

Bogotá, Colombie : «Elle déploie son cortège de commerciaux gominés et de bâtiments noircis par la pollution, de chiens errants et de zombies sans toit, défoncés à la colle et à la douleur» (p. 32).

Népal : «Je trouve ensuite refuge dans un monastère coréen et spartiate» (p. 64).

Julien Blanc-Gras, Touriste, Vauvert, Au diable vauvert, 2011, 259 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Érudition religieuse, ou pas

Nuage de jurons, Francis Desharnais et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 2. Le folklore contre-attaque, 2012, case

Dans la Presse du 21 janvier, le chroniqueur sportif François Gagnon consacre un article aux effets des nouvelles technologies sur son métier. Il y fait notamment remarquer que ses lecteurs exigent maintenant d’être informés en temps réel. Sa réaction ? «Simonac ! Il y a cinq ans à peine, ces réponses étaient offertes dans la Presse du lendemain matin» (cahier Sports, p. 2).

Simonac, donc. Il s’agit d’un de ces sacres d’inspiration religieuse dont le Québec est si friand. Pour Léandre Bergeron, en 1981, qui retient la graphie simonaque, ce serait toutefois un juron «inoffensif» (p. 151).

Simonac / simonaque pose un intéressant problème d’exégèse sacrée.

D’une part, il semble témoigner d’une solide érudition ecclésiastique. Selon toute vraisemblance, il viendrait de l’adjectif simoniaque : «Coupable ou entaché de simonie», explique le Petit Robert, la simonie étant la «Volonté réfléchie d’acheter ou de vendre à prix temporel une chose spirituelle (ou assimilable à une chose spirituelle)» (édition numérique de 2010).

D’autre part, on entend parfois saint-simonac, par exemple dans le Matou d’Yves Beauchemin (éd. de 2007, p. 143). Un saint qui pratiquerait la simonie ? Ça ferait désordre, non ?

 

[Complément du 9 janvier 2018]

Comme dans la bande dessinée Motel Galactic, le dessinateur Côté, dans la Presse+ du 7 janvier dernier, propose la graphie simonak. Ça se défend.

 

[Complément du 4 mars 2019]

La romancière Sylvie Drapeau propose une autre graphie : «C’est de l’amour, cimonaque !» (l’Enfer, p. 90)

 

[Complément du 8 août 2019]

En 1976, dans la pièce Un pays dont la devise est je m’oublie, Jean-Claude Germain écrivait «simonacque» (p. 104).

 

Illustration : Francis Desharnais et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 2. Le folklore contre-attaque, Montréal, Éditions Pow Pow, 2012, 101 p., p. 86.

 

Références

Beauchemin, Yves, le Matou. Édition définitive, Montréal, Fides, 2007, 669 p. Édition originale : 1981.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Drapeau, Sylvie, l’Enfer. Roman, Montréal, Leméac, 2018, 94 p.

Germain, Jean-Claude, Un pays dont la devise est je m’oublie. Théâtre, Montréal, VLB éditeur, 1976, 138 p.

Familles, je vous hais

Christian Gailly, Dring, 1991, couverture

On connaissait, en matière de décroissance démographique familiale radicale, le matricide, le parricide, l’infanticide, le fratricide. Plus récemment, le Québec a offert au monde les homicides intrafamiliaux.

Dans la même catégorie, mais par anticipation, il ne faudrait oublier ni le spermicide ni le fœticide — «Éduquer pour contrer le fœticide en fonction du sexe», suggère d’ailleurs le Devoir du 23 janvier 2012 (p. A1).

Ajoutons encore l’onclicide, dont parlent Christian Gailly dans Dring (1991, p. 106) et les Guignols de l’info (2011), eux qui proposent aussi, s’agissant de Ratko Mladic, tanticide, belle-mèreicide et grand-pèreicide.

André Gide paraît avoir eu raison.

 

Références

Gailly, Christian, Dring, Paris, Éditions de Minuit, 1991, 153 p.

Conseil vestimentaire du jour

Sandra Gordon, les Corpuscules de Krause, 2010, couverture

Soit la phrase suivante, tirée des Corpuscules de Krause de Sandra Gordon (2010) : «Du point de vue de l’automobiliste, ça devait être quelque chose de faire pleins feux sur une flâneuse livide fringuée comme la chienne à Jacques, pince-monseigneur à la main, à dix heures du soir» (p. 202).

Fringuée comme la chienne à Jacques ? On y peut voir un exemple d’alternance codique entre variétés du français, du plus hexagonal («fringuée») au moins hexagonal («la chienne à Jacques»). Il faut surtout y entendre un conseil : qui que soit Jacques, il ne faut pas s’habiller comme sa chienne. Qui s’habille comme elle n’est jamais à son avantage.

On ne l’oubliera pas.

 

[Complément du 24 novembre 2017]

Deux exemples théâtraux, tirés de J’aime Hydro de Christine Beaulieu (2017) :

«Il y avait à peu près juste 25 personnes, 90 % d’hommes, tous habillés chez Moores. Quand je suis entrée, ils m’ont tous regardée comme si j’étais la chienne à Jacques» (p. 62);

«je me suis dit “Moores, ç’a beau avoir un bon prix, une bonne coupe et une bonne réputation, c’est pas nécessairement imperméable, tandis que la chienne à Jacques, elle, au moins, elle est en phase avec la nature !”» (p. 67)

P.-S.—Oui : s’agissant de «Moores», l’auteure fait directement allusion à une publicité télévisée.

 

Références

Beaulieu, Christine, J’aime Hydro, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 13, 2017, 253 p. Illustrations de Mathilde Corbeil.

Gordon, Sandra, les Corpuscules de Krause. Roman, Montréal, Leméac, 2010, 237 p.

Citation violente du mercredi matin

Réjean Ducharme, Gros mots, 1999, couverture«Dérision ou vrai piège à la retenir, sinon près de lui, à l’intérieur de lui, je dois tout exhumer mot à mot, piocher au fond du gâchis, des pattes de mouche et de cancrelat enchevêtrées, où ça se complique encore, bourré de fautes corrigées par des plus grosses ou des plus belles, trahissant en autres efforts impuissants celui d’échapper à la contamination culturelle, aux façons de parler devenues des façons de vivre, aux mots qui vous servent moins à vous exprimer qu’on ne se sert de vous pour s’exprimer à travers eux.»

Réjean Ducharme, Gros mots. Roman, Paris, Gallimard, 1999, 310 p., p. 38.