Le niveau baisse ! (2002)

(«Le niveau baisse !» est une rubrique dans laquelle l’Oreille tendue collectionne les citations sur le déclin [supposé] de la langue. Les suggestions sont bienvenues.)

 

«En 2002, dans Je te cherche dès l’aube, [Jean-Paul] Desbiens afirme que, “pour contrer le déclin du français, il faudrait vider les écoles, non pas des élèves, mais de la plupart des professeurs et des administrateurs”, au prétexte allégué qu’ils “parlent et écrivent un français approximatif”. De tels projets d’action taillés à la hache, Desbiens en a esquissé de semblables dès le début des années 1960.»

Source : Jean-François Nadeau, les Têtes réduites. Essai sur la distinction sociale dans un demi-pays, Montréal, Lux éditeur, 2024, 236 p., p. 139.

 

Pour en savoir plus sur cette question :

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

Les rustines des Hells

Kevin Lambert, Tu aimeras ce que tu as tué, éd. de 2021, couverture

Soit la phrase suivante, tirée du premier roman de Kevin Lambert, Tu aimeras ce que tu as tué : «Toutes les bâtisses de Chicoutimi sont construites sur une faille patchée par du béton et de l’asphalte» (p. 191).

Cela peut être appliqué à la pompe sanguine : «mon cœur / Y est patché plein de trous», chantait Gerry Boulet, du groupe Offenbach, dans «Faut que j’me pousse» (1969).

Patché(e) ? Rapiécé(e), dans le français populaire du Québec. Le mot y est féminin : une patch.

Ce n’est pas tout. Le patch, en informatique, c’est la rustine. En médecine, un médicament. Le mot est alors masculin, du moins en français de référence. Pas au Québec, où on a surtout recours au féminin. (Oui, c’est une divergence transatlantique.)

Ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Qui, dans la hiérarchie des motards criminels, qu’on dit parfois parfois et bizarrement criminalisés, grimpe les échelons gagne ses patchs. Le mot est dangereux.

À votre service.

 

Référence

Lambert, Kevin, Tu aimeras ce que tu as tué. Roman, Montréal, Héliotrope, «série P», 2021, 209 p. Édition originale : 2017.

Les zeugmes du dimanche matin et de Julia Deck

Julia Deck, Ann d’Angleterre, 2024, couverture

«À vingt et un ans, Olivia a des cheveux roux incroyables et une passion pour la lecture» (p. 33).

«La classe revient aux anges, les professeures épuisées par le chaperonnage impossible de douze jeunes filles enivrées d’hormones et d’Italie» (p. 72).

«Ici, tout le monde a un travail, de beaux vêtements, des cappuccinos à volonté et des vieux dans des hôpitaux qui s’effondrent» (p. 88).

«Leur complicité se développe à l’écart de Betty, qui est moins drôle avec tous ses drames et ses médicaments» (p. 103).

«Ann se laisse porter par les événements, les sourires extatiques et les nuits trop courtes» (p. 134).

Julia Deck, Ann d’Angleterre. Roman, Paris, Seuil, 2024, 250 p.

 

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 30 décembre 2024.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Évitons les pertes

Case de la bande dessinée Séraphin contenant le mot «gaspille»

Souvenez-vous : en 2010, dans la bouche d’une serveuse, le substantif québécois populaire gaspille.

De l’oral, passons à l’écrit.

Chez Michel Tremblay : «Pas de gaspille, finis ton assiette !» (p. 1355)

Chez Kevin Lambert : «Une feuille, une seule. On s’applique parce qu’on en aura pas d’autres, on a juste une chance, pas de gaspille» (p. 13).

Chez Christophe Bernard : «Elle était belle femme, la Charline, dans la fleur de l’âge. Restée vieille fille, pensa le Paspéya. Tu parles d’un gaspille» (p. 641).

Négatif : du gaspille.

Positif : pas de gaspille.

À votre service.

 

Illustration : Albert Chartier, dans Claude-Henri Grignon et Albert Chartier, Séraphin illustré, Montréal, Les 400 coups, 2010, 263 p., p. 36. Préface de Pierre Grignon. Dossier de Michel Viau.

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Lambert, Kevin, Tu aimeras ce que tu as tué. Roman, Montréal, Héliotrope, «série P», 2021, 209 p. Édition originale : 2017.

Tremblay, Michel, la Traversée du malheur, dans la Diaspora des Desrosiers, Montréal et Arles, Leméac et Actes sud, coll. «Thesaurus», 2017, 1393 p., p. 1253-1389. Préface de Pierre Filion. Édition originale : 2015.

Les classiques de Gromit

Logo de Wallace & Gromit

Le 3 janvier, la chaîne télévisée Netflix lançait la plus récente aventure du couple Wallace et Gromit, Vengeance Most Fowl (la Palme de la vengeance). L’Oreille tendue n’allait évidemment pas manquer ça.

Pour l’instant, retenons deux scènes.

Le chien Gromit est obligé de partager sa chambre avec Norbot, le robot que vient d’inventer son maître (façon de parler), Wallace. Il n’apprécie pas cette compagnie. Que lit-il avant de s’endormir ? A Room of One’s Own, de Virginia Woolf. (Coquille canine évitée de justesse : l’Oreille allait écrire Woof.)

Norbot est venu troubler la quiétude du 62 West Wallaby Street. Réaction de Gromit ? Il se plonge dans Paradise Lost, de John Milton.

Voilà quelqu’un qui connaît ses classiques.

P.-S.—Nous avons, en effet, récemment croisé ce duo dynamique.

Illustration : logo de Wallace & Gromit, photo déposée sur Wikimedia Commons

 

[Complément du 9 janvier 2025]

Stéphane Bortzmeyer, dans les commentaires ci-dessous et sur Mastodon, fait la démonstration qu’il est plus attentif que l’Oreille tendue. Dans le film, l’autrice de A Room of One’s Own est Virginia Woof, et celui de Paradise Lost, John Stilton. Mea maxima culpa.