Laissez-les mourir, bis

Le Journal de Montréal, rubrique nécrologique, logo

L’Oreille tendue ne fréquente pas beaucoup les pages du Journal de Montréal : elle n’a guère d’atomes crochus avec les chroniqueurs de la maison.

Ça ne risque pas de changer. Pourquoi ?

Le quotidien publie des notices nécrologiques (en échange de quelques centaines de dollars). Quand, dans une notice, le client, en l’occurrence l’Oreille, écrit «X est mort», le journal remplace d’office «mort» par «décédé», sans consultation — entre autres corrections inutiles.

Vous savez quoi, le Journal de Montréal ? Mêlez-vous de vos affaires.

P.-S.—Non, mourir et décéder ne sont pas des synonymes.

P.-P.-S.—«Bis» ? Oui, «bis».

P.-P.-P.-S.—Merci à la Presse+ de respecter la volonté des familles.

Mourir, dans deux langues

L’Oreille tendue est bien prête à le croire : tout le monde, dit-on, va mourir un jour. Elle n’en disconvient pas.

Cela étant, elle a beaucoup de mal à comprendre pourquoi de plus en plus de gens refusent d’employer le verbe mourir. Si tout le monde doit y passer, n’y aurait-il pas moyen de le dire simplement ?

Dès 2009, elle demandait une chose simple : «Laissez-les mourir.» Elle n’a pas été entendue. (Elle s’y attendait.)

Sur Twitter, elle a découvert, hier, que le mal est le même en français et en anglais : dans ces deux langues, l’euphémisme fleurit.

Cela l’attriste, sans l’étonner.

Des nouvelles de la mort

Les médias — on s’en tiendra à eux aujourd’hui — n’aiment pas appeler la mort par son nom. Ce n’est pas la première fois qu’on le déplore ici.

Exemples nouveaux, tirés de l’actualité d’hier.

Sur le site Web de la Presse : «Claude Léveillée s’éteint.» Sur Twitter : «Décès de Claude Léveillée»; «Mes hommages à Claude Léveillée, décédé»; «Claude Léveillée est parti sur son cheval blanc»; «Claude Léveillée a enfourché son cheval blanc»; «Même si on l’avait vu venir, le départ de Claude Léveillée est triste…»; «Léveillée peut enfin s’endormir (en paix)»; «Le Québec vient de perdre un grand homme»; «Le grand Claude Léveillée nous a quitté» (on appréciera le singulier de quitté).

La situation est plus complexe au Devoir. Son site Web est clair, s’agissant du chanteur : «Claude Léveillée est mort.» (Merci.) Pour un poète et essayiste, dans l’édition papier, c’est beaucoup plus affecté : «Le jardin de l’écriture se referme sur Jean-Pierre Issenhuth» (9 juin 2011, p. B7).

«Le jardin de l’écriture se referme» ? L’Oreille tendue ne connaissait pas cette euphémisation particulièrement lyrique de la mort. Il y a des cas où elle préférerait — presque — décéder.