Le zeugme du dimanche matin, de Radiohead et de Stéfanie Clermont

Stéfanie Clermont, le Jeu de la musique, 2017, couverture

«Nous sommes allés nourrir les canards au parc Strathcona et avons ri en retrouvant, sur une table de pique-nique, un message que nous avions gravé ensemble à l’époque pas si lointaine où nous venions presque tous les jours dans ce parc après l’école pour fumer des joints et chanter nos chansons préférées en essayant de faire des harmonies. Le message à deux mains disait : “One day, I am going to grow wings, a chemical reaction, hysterical and useless”. Les lettres qu’elle avait gravées étaient bien formées et stylisées, les miennes à peine lisibles et trop grosses.

— Ça fait longtemps, a dit Julie. On dirait que ça fait longtemps.

— Pas si longtemps que ça, ai-je dit en haussant les épaules, j’écoute encore Radiohead.

— Moi aussi, et je fume encore du pot.»

Stéfanie Clermont, «Dans l’industrie», dans le Jeu de la musique. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 15, 2017, 340 p., p. 143-156, p. 155.

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 27 décembre 2017.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Accouplements 104

Deux couvertures du Quartanier, 2017

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Clermont, Stéfanie, «Toutes celles que j’ai connues et aimées», dans le Jeu de la musique. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 15, 2017, 340 p., p. 278-318.

«Quand la tension montait, on discutait pendant des heures, et ça n’aidait pas vraiment. L’un de nous mettait All I Really Want to Do de Bob Dylan, pour se rappeler : “I ain’t looking to compete with you, beat or cheat or mistreat you”.
Je ne veux pas te faire compétition, te battre ou te maltraiter. Je ne veux pas te simplifier, t’étiqueter. Je ne te demande pas de voir comme moi, d’être comme moi.
“All I really want to do is, baby, be friends with you.” Je veux seulement qu’on soit amis» (p. 291).

Plamondon, Éric, «Lendemain de pêche», dans Donnacona. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 116, 2017, 118 p., p. 47-68.

«I ain’t lookin’ to compete with you
Beat or cheat or mistreat you
Simplify you, classify you
Deny, defy or crucify you
All I really want to do
Is, baby, be friends with you
Bob Dylan» (p. 49, épigraphe).

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté le Jeu de la musique le 27 décembre 2017.

Bonheur d’Oreille

Lizz Wright au Stockholm Jazz Fest en 2009, photographie de Bengt Nyman

Aveu : jusqu’au 24 juin dernier, l’Oreille tendue ne connaissait pas l’existence de Lizz Wright. En lisant son Devoir du jour, elle découvre que cette chanteuse états-unienne honorera Ella Fitzgerald lors d’un spectacle dans le cadre du Festival international de jazz de Montréal. C’était hier soir.

D’entrée de jeu, Wright a interprété quatre chansons du répertoire de Fitzgerald : «What Is This Thing Called Love», «Love You Madly», «Give Me the Simple Life» et «The Nearness of You». Pour ces pièces, pas de guitare, de basse ou de batterie — comme pour le reste du spectacle —, mais seulement le piano de Kenny Banks. Dire que celui-ci accompagne la chanteuse ne serait pas rendre justice à son travail, manifestement inspiré par l’histoire, y compris la plus récente, du jazz : ils dialoguent et s’amusent («He’s happy», déclare Wright). Toute la soirée, le jeu de cet énergumène — au piano ou à l’orgue — ravira.

On a souvent reproché à Ella Fitzgerald de ne pas être une vraie chanteuse de jazz, car elle aimait chanter de tout. On pourrait faire le même reproche à Lizz Wright, qui chante du jazz, mais aussi du gospel et de la soul, voire du motown et de la pop («The New Game»). Elle a même repris hier un classique de Neil Young, «Old Man», en version pleine de nerf. Dans les deux cas, le reproche n’aurait aucun fondement.

Comme Fitzgerald, la diction est impeccable (on n’est pas chez Bob Dylan). En revanche, la voix de Wright est plus grave que celle de Fitzgerald, et son phrasé plus heurté.

Avant le début du spectacle, Wright a reçu le prix Ella-Fitzgerald des mains de Laurent Saulnier. Dans ses remerciements, elle a parlé de la «joy without condition» de celle qui a donné son nom au prix. C’était aussi un autoportrait.

P.-S.—Même avec trois rappels, 90 minutes, c’était un brin bref.

Illustration : Lizz Wright au Stockholm Jazz Fest, 2009, photo de Bengt Nyman déposée sur Wikimedia Commons