L’oreille tendue de… Marie-Pascale Huglo

Marie-Pascale Huglo, Des pierres dans les poches, 2023, couverture

«Le petit a reculé jusqu’au fond de la véranda, un nœud dur dans le gosier. Le plancher sous lui était trempé, le cadre des moustiquaires continuait de pourrir. Les marches de l’escalier ont grincé. Le cœur du petit palpitait dans son thorax comme celui des grenouilles emprisonnées dans le creux des mains. Il y a quelqu’un ? La voix de Baba venait d’en haut. Il s’est recroquevillé en arrière des chaises en osier. En bas, tout près, le père grommelait. Il ouvrait des placards dans la cuisine, poussait des meubles, la porte d’entrée s’est rouverte. Le petit tendait l’oreille, il n’arrivait pas à avaler sa salive. Il a craché. Dans son gosier, le nœud dur s’est dénoué, il a craché encore. Le plancher a craqué sous ses fesses, bruit d’éboulement dans le mur. Le petit s’est redressé pour écouter, et c’est là que son téléphone a sonné.»

Marie-Pascale Huglo, «La grenouillère», dans Des pierres dans les poches. Nouvelles, Montréal, Leméac, 2023, 109 p., p. 65-79, p. 77.

Au corps

Sophie Bienvenu, J’étais un héros, 2022, couverture

Comment, dans le français populaire du Québec, exprimer qu’on ne sait pas ? Fouille-moi pourquoi.

Trois exemples, le premier journalistique, les deux autres, romanesques.

«Ils appellent ça, fouille-moi pourquoi, un centre d’achats de vie urbaine, en anglais lifestyle center» (la Presse, 7 janvier 2012, p. A5).

«Il tire une flûte de son sac d’école, il se trémousse pour faire oublier qu’il joue comme un pied, et fouille-moi pourquoi, les clients se ruent dans sa direction» (les Aurores montréales, p. 77-78).

«Fouille-moi pourquoi Miche trouve pertinent de me parler de son enfance de schnoutte, vingt-quatre heures après ma sortie de l’hôpital» (J’étais un héros, p. 19).

On voit aussi, tout simplement, fouille-moi : «Qu’est-ce que ce chien t’a dit, Pacha ? — Fouille-moi… Je ne parle pas caniche» (la Presse, 20 mai 2001).

Ce n’est pas plus clair.

 

Références

Bienvenu, Sophie, J’étais un héros. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2022, 161 p.

Proulx, Monique, les Aurores montréales. Nouvelles, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 85, 2016, 238 p. Édition originale : 1996.

Le zeugme du dimanche matin et d’André Belleau

Portrait d’André Belleau

«Avec ma tête à chiffres et ma règle à calcul, je traduisais à l’usage de mes patrons des situations ou des problèmes en apparence confus et lacunaires dont ils n’avaient ni le goût ni le temps de se demander par quels bouts il fallait les prendre; je leur procurais des langages clairs qui n’avaient au fond pas plus de rapport que les données premières avec la réalité mais qui, parce qu’ils les rassuraient, les laissaient s’immobiliser dans une décision plutôt que dans une autre comme sous la commande d’un faible signal, d’une légère chiquenaude administrative.»

André Belleau, «Ottawa, Ottawa, que me veux-tu ? L’automne», Liberté, 104 (18, 2), mars-avril 1976, p. 23-30, p. 29-30. https://id.erudit.org/iderudit/30932ac

P.-S.—André Belleau ? Par ici.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)