L’oreille tendue de… Blaise Cendrars

Cendrars, Bourlinguer, éd. de 1966, couverture

«Aux atterrages de Naples, comme convenu, le cher Domenico me cacha dans le poste désert, me dissimulant dans sa couchette, et, pour que la petite bosse que je formais sous la couverture ne se remarquât pas, il jeta par-dessus suroît et maillots sales, comme s’il venait de changer de tenue, et, avant de sortir, il ajouta encore au tas la guitare de l’unijambiste. Je ne pouvais pas bouger, et c’est le cœur battant et l’oreille tendue que j’entendis le tambour du cabestan se dérouler avec fracas juste au-dessus de ma tête, une ancre tomber à l’eau, des coups de sirène et de sifflet, des cris et des appels, le chuintement des vedettes à vapeur des autorités du port qui accostaient le navire, le tapage des treuils, puis les colloques et les longs marchandages des bateliers qui venaient embarquer les passagers car à cette époque lointaine un transatlantique du tonnage de l’Italia n’allait pas encore à quai; puis, à deux ou trois reprises, et je ne sais pas au bout de combien de temps car le temps me paraissait terriblement long, il me sembla que l’on m’appelait par mon nom, mais je suffoquais et m’endormis, asphyxié par l’odeur des pieds du géant et les émanations pharmaceutiques des onguents et des liquides dont il faisait un si furieux usage et qui imprégnaient sa couchette.»

Blaise Cendrars, Bourlinguer, Paris, Denoël, coll. «Le livre de poche», 437-438, 1966, 440 p., p. 27-28. Édition originale : 1948.

L’oreille tendue de… Jean-François Vilar

Autrement, 111, janvier 1990, couverture

«Réunir ces “guides”, historiques ou littéraires, purement anecdotiques parfois, prend du temps. Aucun, en lui-même, n’est satisfaisant, vraiment complet. C’est pour cela qu’il faut flâner, avant, feuilleter beaucoup, prendre des notes, tendre l’oreille.»

Jean-François Vilar, «Paris énigmes», Autrement, série «Mutations», 111, janvier 1990, p. 19-21, p. 20.

P.-S.—Jean-François Vilar ? À votre service.

L’oreille tendue de… Tonino Benacquista

Tonino Benacquista, Tiré de faits irréels, 2025, couverture

«Et en effet, Bertrand, animé d’une joie malsaine, saisit au vol une coupe sur un plateau et l’avala d’un trait pour étancher une trop longue soif. Et il comprit soudain où il était tombé. Dans les Limbes ! Il visitait les Limbes, en vrai, en dur, peuplés de personnages de chair et d’os, les Limbes, suspendus entre jour et nuit, entre réel et fiction, et où l’on célébrait bien plus l’idée de littérature que la littérature elle-même. Il tendit l’oreille quand alentour on causait belles lettres, comme à l’ancienne.»

Tonino Benacquista, Tiré de faits irréels. Roman, Paris, Gallimard, coll. «Blanche», 2025, 192 p. Édition numérique.

L’oreille tendue de… Philippe Manevy

Philippe Manevy, Ton pays sera mon pays, 2021, couverture

«Si je pouvais encore me tenir aux côtés de ma grand-mère, aujourd’hui, je me garderais bien de me moquer. Je tendrais plutôt l’oreille pour tenter de comprendre cette langue étrange, celle de toutes les femmes pour qui le monde des défunts est un territoire familier.»

Philippe Manevy, Ton pays sera mon pays, Montréal, Leméac, coll. «Phares», 2021, 224 p. Édition numérique.

L’oreille tendue de… Primo Levi

Primo Levi, la Clé à molette, éd. de 2021, couverture

«La nouvelle était surprenante : dans tous ses autres récits, Faussone s’était efforcé de jouer les indifférents, l’homme peu porté aux aventures sentimentales, de se faire passer justement pour un de ces types “qui ne courent pas après les filles”, alors que celles-ci courent après eux. Après eux qui ne s’en occupent guère, qui prennent l’une ou l’autre sans trop leur accorder d’importance, qui la gardent le temps d’un chantier, et puis bonsoir ! Et ils s’en vont. Alors je suis devenu attentif, j’ai tendu l’oreille.»

Primo Levi, la Clé à molette, Paris, Robert Laffont, coll. «Pavillons poche», 2021, 284 p. Traduction de Roland Stragliati. Édition numérique.