Parlons éducation

Dans la Presse+ du jour, le professeur et essayiste Mathieu Bélisle publie un texte d’opinion intitulé «Des élections résolument provinciales». On y lit cette remarque particulièrement juste et révélatrice de la place de l’éducation dans les programmes politiques québécois :

On se prend à rêver du jour où un chef de parti éprouvera le même empressement, la même fierté à présenter aux Québécois la personne choisie pour diriger le ministère de l’Éducation que celle qu’il éprouve en présentant les éventuels responsables de la Santé et du Trésor, du jour où il fera de l’éducation la grande priorité de son gouvernement en lui donnant l’ampleur d’une véritable vision pensée sur le long terme, où il reconnaîtra, quoi que disent les sondages et les groupes d’intérêt, qu’une société vieillissante n’a pas seulement besoin de soins de santé de qualité et d’une fin de vie vécue dignement, mais aussi, et peut-être surtout, d’un système d’éducation fort, soucieux du commencement de la vie et de son épanouissement.

Lors des élections de 2012, pour le Journal de Montréal, dans «Autoportrait électoral d’un privilégié insatisfait», l’Oreille tendue exprimait des positions bien proches de celles-là.

Moins ça change…

Autopromotion 371

Un écrivain taillant sa plume, tableau de Jan Ekells, 1784

L’Oreille tendue, pour la première fois de sa longue carrière de professeure d’université, a donné récemment un cours de création littéraire. Ce cours portait sur le blogue.

Elle a tenu son journal de cette expérience d’enseignement. Ça se lit ici, chez les amis de la revue numérique Sens public.

 

Référence

Melançon, Benoît, «Le blogue à l’université. Journal d’un enseignement», Sens public, revue numérique, rubrique «Chroniques», 5 juillet 2018.  http://sens-public.org/article1333.html

 

Illustration : Un écrivain taillant sa plume, tableau de Jan Ekells, 1784, Rijksmuseum, Amsterdam

Fin de série

L’Oreille tendue enseigne à l’université depuis 1981. Ce matin, pour la première fois en 37 ans, elle s’est présentée en classe sans ses notes de cours et sans les copies qu’elle devait rendre. Tout ça était resté chez elle.

Dites, docteur, c’est grave ?

Penser la thèse à trente

Collectif Devenir chercheur. Écrire une thèse en sciences sociales, 2013, couverture

«Quelqu’un qui souhaite écrire une thèse
n’a en fait que trois problèmes à résoudre :
comment commencer,
comment terminer
et que faire entre les deux.»
(Howard S. Becker)

Pour réfléchir à la thèse, on peut travailler seul (Umberto Eco, Tis, Marie-Lambert-Chan, Geneviève Belleville, Tiphaine Rivière), se mettre à deux (Catherine Duffau et François-Xavier André), conjuguer ses efforts pour actualiser un ouvrage souvent réédité (Michel Beaud, Magali Gravier et Alain de Tolédo). On peut aussi constituer une équipe : c’est ce qu’ont fait Moritz Hunsmann et Sébastien Kapp pour Devenir chercheur. Écrire une thèse en sciences sociales (2013). Leur ouvrage est né d’un séminaire de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris), «Les aspects concrets de la thèse» (p. 22-23).

Présenter les vingt-cinq chapitres de ce recueil, signés par trente chercheurs, serait barbant. L’Oreille tendue a choisi ceux qui lui paraissent d’un intérêt particulier.

La préface d’Howard S. Becker, «Écrire une thèse, enjeu collectif et malaise personnel» (p. 9-16), se distingue doublement. Elle contient la remarque suivante :

je vais vous livrer un autre secret qui m’a permis de finir ma thèse rapidement et sans souffrance inutile. J’écrivais deux pages par jour, sans exception. C’était ma tâche quotidienne. Si j’avais fini mes deux pages à neuf heures du matin, je m’accordais le reste de la journée. Quand c’était nécessaire, je travaillais pendant des heures. Mais je finissais toujours la journée avec deux nouvelles pages. Un ami avait fait le calcul à ma place : si l’on écrit deux pages par jour, à la fin de l’année, on disposera de 730 pages, c’est-à-dire assez pour au moins deux thèses.

Voici ma dernière injonction à tous ceux qui ont du mal à écrire : commencez à écrire ! Ne restez jamais à regarder votre écran blanc. Écrivez quelque chose, peu importe ce que vous écrivez. Continuez à écrire jusqu’à ce que vous trouviez quelque chose qui a l’air utile, puis travaillez ce passage (p. 15).

Et elle se termine par une citation de Satchel Paige.

Lamia Zaki («Rédiger sa thèse comme on assemble un puzzle. Mieux articuler écriture et réécriture», p. 171-183) rejoint en quelque sorte les propos de Becker, par le biais de souvenirs :

J’aurais trouvé rassurant de savoir qu’une thèse ne se termine pas toujours ni pour tous par une longue période d’écriture frénétique (les récits des jeunes initiés racontant leur dernière année de thèse «coupée du monde», «sans vie sociale», «infernale», accréditent cette conception classique, agréée par le milieu académique, de la nécessaire écriture d’une seule traite). Savoir que l’on peut aussi rédiger sa thèse progressivement, ou plutôt par à-coups, m’aurait davantage motivée que de redouter et d’attendre une phase ultime de souffrance initiatique (p. 175).

«La communication orale. Partie intégrante du processus scientifique» (p. 217-228), de Luc Van Campenhoudt, est, aux yeux de l’Oreille, la meilleure contribution de l’ouvrage. Il s’agit d’une réflexion bienvenue et tout à fait juste sur la prise de parole publique dans la vie des thésards. Des citations ? «Sous diverses formes, la communication orale mais aussi la discussion qui s’ensuit généralement font partie intégrante du processus de recherche» (p. 220). «Ne pas respecter ces règles [de durée des interventions] représente une faute professionnelle, ni plus ni moins» (p. 225). Celle-ci, surtout : «La clarté et la cohérence rendent évidemment vulnérable à la critique car elles permettent aux interlocuteurs de saisir la signification des propos» (p. 225).

Dans «Le canon à idées. Les opportunités du numérique pour les jeunes chercheurs» (p. 251-268), puis dans «Maîtriser son identité numérique» (p. 269-270), Martin Dacos et Pierre Mounier, reprenant des travaux antérieurs, rappellent qu’il est désormais essentiel, pour un thésard, d’envisager la diversité des modes de diffusion du savoir et d’assurer son identité numérique.

Tous les objets abordés ne sont pas originaux — comment l’être ? —, ce qui ne les rend pas moins nécessaires : «Que faire des conseils (ou de l’absence de conseils) de son directeur de thèse ?» (Monique de Saint Martin, p. 63-79); «Le projet de thèse. Un processus itératif» (Jean-Pierre Olivier de Sardan, p. 107-124); «L’apprentissage du xiangqi ou l’ethnographe comme auteur» (Thierry Wendling, p. 201-214); «Le travail des revues» (Nicolas Barreyre, p. 245-249); «Le moment de la soutenance de thèse» (Laurence Zigliara et Rémi Hess, p. 271-280) et «Soutenir le poids de la thèse» (Claudine Dardy, p. 281-287).

Bref, à boire et à manger.

P.-S.—Jean-Louis Fabiani a un texte tout à fait stimulant, «Faire son choix théorique en science sociales» (p. 47-62), qui propose un état présent des débats théoriques en sociologie. Ça n’a malheureusement rien à voir avec le travail de thèse tel qu’il est abordé dans les autres textes du collectif. Fabiani n’est pas le seul dans ce cas.

P.-P.-S.—Lecteur, si tu n’aimes pas le mot posture, n’ouvre pas ce livre. Tu souffriras, et beaucoup.

 

Référence

Hunsmann, Moritz et Sébastien Kapp (édit.), Devenir chercheur. Écrire une thèse en sciences sociales, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, coll. «Cas de figure», 29, 2013, 358 p. Préface de Howard S. Becker.

Incultes ou pas ?

Georges Leroux. Entretiens, 2017, couverture

Le philosophe Georges Leroux a donné de longs entretiens à Christian Nadeau. Dans le huitième chapitre, «L’enseignement et les défis de la démocratie», il évoque le souvenir d’un étudiant qu’il appelle Paul : «Tous les enseignants ont de temps à autre un Paul dans leur classe : c’est l’étudiant attentif, plutôt réservé, mais qui à l’occasion pose la question qu’on attendait, la question qui nous force à aller plus loin et qui crée instantanément un lien entre lui et vous» (p. 206). Puis, un jour, Paul a cessé de venir en classe.

Pourquoi ? «Comme tant d’autres, Paul avait intégré comme un discours vrai s’adressant à lui le portrait que la société aime dresser de sa génération comme une génération sans culture, incapable de l’effort nécessaire. L’éducation qu’il avait reçue le condamnait, pensait-il, à un échec certain. Nous connaissons ce discours, cette description de l’étudiant inculte, produit par une école secondaire incompétente, nous sommes tous responsables de n’avoir pas travaillé à le réfuter. Car, je le soutiens fermement, ce discours est faux. La critique de l’école démocratique, qui est le fait de penseurs conservateurs nostalgiques de l’éducation d’élite, fait l’impasse sur les succès de nos écoles. Les cohortes successives qui arrivent dans nos universités le prouvent tous les jours» (p. 207).

L’Oreille tendue, à qui il arrive de tenir un discours qui va dans le même sens, se sent un peu moins seule.

 

Référence

Nadeau, Christian, Georges Leroux. Entretiens, Montréal, Boréal, coll. «Trajectoires», 2017, 373 p. Ill.