Accouplements 192

Yves Ravey, Pas dupe, 2019, couverture(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Dans la livraison d’hier de ses Notules, le Notulographe livre quelques commentaires sur Pas dupe (2019), d’Yves Ravey. Il loue son art de l’incise et il apprécie le roman lu : «on est ici dans ce qu’on pourrait appeler de la littérature subtile, volatile, du très beau travail». (Les Notules ? Par ici.)

En 2021, l’Oreille signalait elle aussi l’art de l’incise chez ledit Ravey, mais celui d’Adultère (2021). S’agissant de la façon de rapporter la parole dans le même roman, elle écrivait : «Du grand art.» (C’est .)

Hier soir, au Masque et la plume, il était question du plus récent roman de Ravey, Taormine. Arnaud Viviant a moqué le «petit ton à la Simenon» de Ravey; du roman paru, il a déploré qu’il n’appelle pas plus au tourisme. Du grand n’importe quoi.

Nelly Kaprièlian dit des niaiseries

Le masque et la plume, émission de radio, logo

Depuis plusieurs années, l’Oreille tendue écoute religieusement l’émission dominicale le Masque et la plume. On y parle, en alternance, de littérature, de cinéma ou de théâtre. Quatre critiques y sont réunis autour de Jérôme Garcin.

Ce n’est pas par intérêt esthétique que l’Oreille suit l’émission. Des phrases comme «J’ai a-do-ré» ou «C’est bien écrit» ne servent pas à grand-chose en critique littéraire. En revanche, les échanges entre les collaborateurs, chacun campé dans son rôle, ont une réelle valeur anthropologique : coups de gueules, vannes, cacophonie — voilà qui amuse et étonne, vu du Québec.

Dans la livraison du 24 avril, il était question du plus récent roman de Joël Dicker, l’Affaire Alaska Sanders (2022). Nelly Kaprièlian, des Inrockuptibles, comme les autres participants, n’a pas apprécié l’œuvre, et particulièrement ce qu’elle appelle son «style». Elle en profite pour dire deux niaiseries.

Première niaiserie : «Je croyais que c’était traduit de l’américain par un traducteur québécois.» Ne suit évidemment aucune démonstration : du fiel hexagonal à l’état pur.

Deuxième niaiserie : «J’adore le Québec et les Québécois. Commencez pas à me regarder comme ça.» Traduisons : j’ai préparé une petite phrase fielleuse; je sais qu’elle est fielleuse; je ne peux pas résister à la tentation de la dire; je la dis, tout en faisant semblant d’en atténuer la portée (j’aime les Québécois, même s’ils sont nuls [en traduction]).

En si peu de mots, tant de bêtise(s) : il faut admirer.

 

[Complément du 11 mai 2022]

«Chacun campé dans son rôle» ? Allons-y voir.

 

Cinéma

Michel Ciment : «C’est un film bulgare de l’année dernière, mais John Ford a déjà fait bien mieux, quoi qu’en pense la presse parisienne unanime.»

Pierre Murat : «C’est un film sympatoche, mais inférieur aux grands films russes. Je ne vous raconterai pas la fin.»

Xavier Leherpeur : «Vous n’avez rien dit encore de la grammaire du film.»

Éric Neuhoff : «Manifestement, la réalisatrice est mal baisée.»

Sophie Avon : «Le film est imparfait, certes, mais il est beau.»

Jean-Marc Lalanne : «On peut lire le film, jusque dans son rapport aux corps et aux fantasmes, comme une métaphore de la déliquescence dans les Balkans aujourd’hui.»

Camille Nevers : «Ce n’est pas mon film préféré de ce réalisateur.»

Éva Bettan : «Je n’aime pas utiliser ce mot-là, mais je vais l’utiliser quand même.»

 

Littérature

Arnaud Viviant : «En apparence, c’est un roman sur la culture de la betterave, mais c’est un grand livre politique. J’ai a-do-ré.»

Olivia de Lamberterie : «Je n’aime pas les betteraves, mais mon mari, si. J’ai a-do-ré.»

Nelly Kaprièlian : «Ce n’est pas traduit par un traducteur québécois. J’ai a-do-ré.»

Jean-Claude Raspiengas : «Vous pouvez bien rigoler, tous autant que vous êtes, mais le travail du style est magnifique. J’ai a-do-ré.»

Frédéric Beigbeder : «La romancière est jolie. J’ai a-do-ré.»

Éric Neuhoff : «Ouais, elle est pas mal. J’ai a-do-ré.»

Michel Crépu : «De quel livre parle-t-on ? Quoi qu’il en soit, j’ai a-do-ré.»

Jean-Louis Ézine : «Je n’ai pas tout lu, mais ça m’a fait penser à une phrase d’Henri Calet. J’ai a-do-ré.»

Patricia Martin : «J’ai a-do-ré.»

 

Théâtre

Jacques Nerson : «Ça ne va pas du tout. Gérard Philippe, c’était bien bien mieux.»

Vincent Josse : «Je suis trop jeune pour avoir vu ce spectacle.»

Fabienne Pascaud : «Mais voyons, Jacques !»

Armelle Héliot : «Elle est géniale, cette petite comédienne. Ils sont tous bons, les acteurs.»

 

L’animateur

Jérôme Garcin : «Moi, je ne suis pas critique.»

Plogue linguistique du jour

Les Changements orthographiques démystifiés, logo, 2021

Le Centre collégial de développement de matériel didactique (CCDMD) lance un balado, les Changements orthographiques démystifiés. Le site qui l’accompagne est ici. L’historique et la présentation du projet sont . Il a été conçu par Caroline Dault et Annie Desnoyers.

Parmi les «Compléments», on trouve le balado Parler comme jamais, du Hoedt et Piron, et un peu d’Oreille tendue.

P.-S.—Oui, c’est pour le CCDMD que l’Oreille a rendu compte de la première saison de Parler comme jamais.

P.-P.-S.—Plogue ? De ce côté.

Autopromotion 552

Parler comme jamais, Binge audio, logo

À la demande du Centre collégial de développement de matériel didactique, l’Oreille tendue s’est livrée à un exercice inédit (pour elle), le compte rendu de podcast.

Ce compte rendu porte sur la première saison de Parler comme jamais, une production de Binge audio, conçue et animée par Laélia Véron, avec le concours de Maria Candea.

C’est par là.

P.S.—Oui, il a déjà été question ici de Laélia Véron et Maria Candea.

 

[Complément du 8 janvier 2023]

Depuis, Laélia Véron et Maria Candea ont tiré un livre de leur balado :

Véron, Laélia et Maria Candea, Parler comme jamais. La langue : ce qu’on croit et ce qu’on en sait, Paris, Le Robert et Binge audio, 2021, 324 p.

Voyage avec une oreille

L’Oreille tendue s’est absentée de son pavillon quelques jours en juillet-août, d’abord au Québec, puis aux États-Unis, avant d’y revenir. Elle ne s’est pas détendue pour autant. Notes.

Elle peine elle-même à y croire : après une interruption de presque sept lustres, pendant ses vacances, elle a refait du camping. C’était au Parc national d’Oka. Le scrabble en plein air, particulièrement son coup d’ouverture, ça s’est bien passé. Le dos de l’Oreille ne saurait en dire autant.

Au scrabble, à Oka, «vergers»

Pour aller dans ce parc, quand on est montréalais, il faut quitter les «districts urbains», quoi que soient les «districts urbains».

Un «district urbain» en ville / à Montréal

À Oka, il y a un camping et une plage. Des sources conjugales proches de l’Oreille ont fréquenté la seconde. Au retour, elles avaient une question linguistique : quel est le féminin de douchebag ?

Posture; du coup : le livre que lisait l’Oreille — le plus loin possible de la plage — a évidemment été publié en 2017 par des universitaires francophones.

Comment sentir, dans son corps, que l’on est aux États-Unis ? Les routes sont moins cabossées que celles du Québec. Le sel est partout. Les portions n’ont rien à voir avec l’appétit d’un humain normalement constitué.

Taux de change oblige, l’Oreille s’est contentée, cette année, de 18 trous de minigolf. (Elle a gagné, comme au scrabble.)

S’agirait-il, à Stowe, au Vermont, d’un hommage déguisé à un ancien chef du Parti québécois ?

Parizo Trails, Stowe, Vermont

Un samedi soir, dans le jardin familial, le fils cadet de l’Oreille pratique ses longues remises — c’est du football — en se filmant sur son iPad. On n’arrête pas le progrès.

Les vacances, c’est fait pour lire — et pour pratiquer ses longue remises —, mais c’est aussi fait pour se remplir les oreilles. Au menu, cet été, il y a eu la série de baladodiffusions S•Town. Le premier épisode — pardon : le premier «chapitre» — est longuet, mais l’information inattendue livrée au deuxième accroche l’auditeur pour de bon.

Dans le quotidien belge le Soir, l’excellent Michel Francard a consacré quatre livraisons de sa chronique «Vous avez de ces mots» au français parlé au Québec : sur les amérindianismes (1er juillet), sur les québécismes (7 juillet), sur les anglicismes (15 juillet), sur les néologismes (22 juillet). Lecture recommandée, où que l’on soit.

En tournée montréalaise pour cause de 375e anniversaire, la Comédie-Française a présenté Lucrèce Borgia : décor magnifique, musique justement hollywoodienne, jeu soutenu, mise en scène cohérente. On notera toutefois que Victor Hugo ce n’est pas exactement Marivaux. Amateurs de subtilité (textuelle) s’abstenir.

Au Musée McCord, on propose une courte rétrospective des 50 ans de caricature d’Aislin. Le catalogue, à lui seul, vaut le détour — à cause de son regard sans complaisance sur la politique, certes, mais aussi sur le sport et sur Montréal, pour cause de 375e anniversaire, bis.

 

Référence

Mosher, Terry, From Trudeau to Trudeau. Aislin. Fifty Years of Cartooning, Aislin Inc. Publications, 2017, 280 p. Ill. Introduction de Bob Rae.