Parlons broue

Étienne Blanchard, 2000 mots bilingues par l’image, 1920, p. 41

Au Québec, la bière est (aussi) de la broue.

On peut la boire, se l’envoyer «en arrière du gorgoton», voire la caler.

Le client qui achète «huit grosses par jour» («Nous, les perdants», p. 51) ne pratique pas le commerce des personnes bien en chair; il préfère simplement les grands formats aux petits.

Une bière sans mousse est dite flatte :

Il se lève et finit la grosse bière
flatte sur sa table de travail
(Poèmes anglais, p. 170).

Servie sans avoir été réfrigérée, elle est tablette : «Une semaine entière de pêche avec deux vieux amis, à s’empiffrer de poisson et de bière “tablette”, avait laissé des traces qu’un œil exercé pouvait aisément discerner» (Coups de feu au Forum, p. 163).

Il y a les bières locales et les importées : qui prend «une belge à la fois» (Rosemont de profil, p. 23) n’a pas besoin d’être en compagnie de Belges.

Le buveur de bière(s) court plusieurs risques, dont ceux de l’ivresse et de la bedaine de bière. On ne confondra celle-ci ni avec le six-pack ni avec la bedaine citoyenne.

 

Illustration : «Ouvretout. Opener. A) ouvreboîte : can opener. B) débouchoir (pour bouchons métalliques) : bottle opener. C) Tirebouchon : corkscrew», Étienne Blanchard, 2000 mots bilingues par l’image, Montréal, L’Imprimerie des marchands limitée, 1920, 112 p., p. 40-41.

 

Références

Blanchard, abbé Étienne, 2000 mots bilingues par l’image, Montréal, L’Imprimerie des marchands limitée, 1920, 112 p. Ill.

Brisebois, Robert W., Coups de feu au Forum, Montréal, Hurtubise, 2015, 244 p.

Desbiens, Patrice, Poèmes anglais suivi de la Pays de personne suivi de la Fissure de la fiction, Sudbury, Prise de parole, coll. «Bibliothèque canadienne-française», 2010, 223 p. Préface de Jean Marc Larivière. Éditions originales : 1988, 1995, 1997.

Bock, Raymond, Rosemont de profil, Montréal, Le Quartanier, coll. «Nova», 2, 2013, 54 p.

Parent, Marie, «Nous, les perdants», Liberté, 305, automne 2014, p. 51.

Accouplements 20

Chloé Savoie-Bernard, Royaume scotch tape, 2015, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

En 2009, Anne-Marie Olivier présente à Québec un solo théâtral, Annette. Une fin du monde en une nanoseconde. Il y est question de tricot et d’aiguilles à tricoter : avec de la laine, sur une patinoire de hockey, dans les mains des avorteurs.

En 2015, Chloé Savoie-Bernard publie à Montréal un recueil de poésie, Royaume scotch tape. On y lit ces deux vers :

des aiguilles à tricoter qui rentrent dedans
comme dans une open house (p. 68)

Le poème «camping de pauvre» (p. 27-29) s’ouvre sur le vers «je ne suis pas tricotée serrée» (p. 27) et il est scandé par le mot «maille».

Puis, dans «boogie nights au protoxide d’azote», on lit :

ta chair en lambeaux
j’en ai fait
un tricot (p. 42)

Voilà deux très fortes mises en discours de la violence faite aux femmes.

 

Références

Olivier, Anne-Marie, Annette. Une fin du monde en une nanoseconde, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2012, 53 p.

Savoie-Bernard, Chloé, Royaume scotch tape, Montréal, L’Hexagone, 2015, 74 p.

Matière humaine

Le Québec a un nouveau ministre de l’Éducation, François Blais. (On ne le confondra pas avec un autre François Blais, même si ce dernier est doué en matière de transmission culturelle.)

Interviewé à la télévision l’autre jour, le nouveau ministre a eu cette phrase sibylline : «Je pense que les Québécois ne sont pas faits en chocolat.»

Quel en est le sens ? Blais fait preuve de prudence («Je pense que»), mais il croit néanmoins que les Québécois ne sont pas fragiles / friables / fondants (ils ne sont pas «faits en chocolat»).

En ces temps d’austérité budgétaire, c’est bon à savoir. On aurait pu croire que quelqu’un voulait les manger.

 

[Complément du 6 avril 2015]

L’expression apparaît aussi en poésie, par exemple chez Chloé Savoie-Bernard (Royaume scotch tape, p. 14) :

nous creuserons le sol on a des bras pis des jambes
on n’est pas faits en chocolat

 

[Complément du 9 janvier 2021]

Le dictionnaire numérique Usito propose la définition suivante pour ne pas être fait chocolat : «ne pas être trop fragile pour sortir ou pour travailler sous la pluie». L’Oreille ne voit pas pourquoi il faudrait dire «sous la pluie»; l’expression a une extension bien plus large, ainsi que le montrent les exemples ci-dessus. Pour elle, n’est pas fait en chocolat quiconque n’est pas fragile, peu importe le temps qu’il fait. (On notera d’ailleurs que l’exemple que donne Usito, tiré d’une œuvre d’Arlette Cousture, ne fait pas référence à la pluie.)

Parlant de climat, à certains égards, la région québécoise du Saguenay—Lac-Saint-Jean constitue un microclimat linguistique (pensons au gigon, par exemple).

Autre exemple, tiré de J’ai bu (2020) : «Chus pas fait en marde d’oie : Version saguenéenne et jeannoise de l’expression “ne pas être fait en chocolat”. La fiente d’oie se désintègre rapidement sous la pluie et sèche à tire-d’aile au soleil. En effet, comme le chocolat, la “marde d’oie” ne résiste que brièvement aux intempéries» (p. 88). Pas de pluie ici, mais des «intempéries».

Poursuivons l’enquête.

 

Références

Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.

Savoie-Bernard, Chloé, Royaume scotch tape, Montréal, L’Hexagone, 2015, 74 p.