Dictionnaire des séries 21

Il ne faut pas confondre la mêlée et la mêlée générale.

La mêlée, c’est tout simplement le jeu.

Avec le Gros Bill dans la mêlée
On va garder le championnat
(Oscar Thiffault, «Ils sont en or», chanson, 1957)

Quand Ti-Guy Lafleur entre dans la mêlée
Quand Ti-Guy Lafleur entre dans la mêlée
(Oscar Thiffault, «La toune à Ti-Guy Lafleur», chanson, 1978)

dans la mêlée
sur le jeu de puissance
(Bernard Pozier, «Génétique I», 1991, p. 30)

La mêlée générale, c’est l’occasion pour les joueurs d’âprement se disputer la rondelle. Cela peut aller jusqu’à la bagarre, quand beaucoup d’entre eux, policiers ou pas, acceptent de valser.

Vous êtes prévenus.

 

[Complément du 30 mai 2014]

Dans son Lexique de termes de hockey (1983), Pierre Dallaire donne un autre sens à mêlée (p. 57) — amas de joueurs —, d’où le synonyme empilage (p. 32). Empilade est indiqué comme forme fautive (p. 35). En anglais — le Lexique est bilingue —, on parlerait de melee, pile-up ou scramble (p. 35).

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Références

Dallaire, Pierre, Lexique de termes de hockey français-anglais anglais-français, Montréal, Leméac et Radio-Canada, 1983, 154 p.

Pozier, Bernard, Les poètes chanteront ce but, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Radar», 60, 1991, 84 p. Ill. Réédition : Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2004, 102 p.

Dictionnaire des séries 02

Tatouage, flambeau, Canadiens de Montréal

Comment reconnaître un vrai partisan des Canadiens de Montréal ? À une époque, c’était facile : il avait le CH tatoué sur le cœur.

Les artistes connaissent bien cette métaphore. Le poème «Canadien» (1991) de Bernard Pozier contient ces vers : «et cet emblème aux deux lettres entrecroisées / que l’on dit tatoué sur le cœur» (p. 11). Dans les Taches solaires (2006), Jean-François Chassay a la même formule pour caractériser un de ses «Jean Beaudry» : «le sigle du Canadien tatoué sur le cœur» (p. 345).

Clark Blaise abandonne la métaphore. Dans sa nouvelle «I’m Dreaming of Rocket Richard» (1974), le narrateur se souvient que son père s’était fait tatouer une scène de hockey dans le dos : «The tattoo pictured a front-faced Rocket, staring at an imaginary goalie and slapping a rising shot through a cloud of ice chips» («Le tatouage représentait le Rocket vu de face, dévisageant un gardien imaginaire et tirant sur lui dans un nuage d’éclats de glace», p. 69).

Aujourd’hui, si l’on doit en croire Réal Béland, cela ne suffit plus. Écoutez sa chanson «Hockey bottine» (2007) : «Tout l’monde dans l’temps avait l’CH tatoué / Ç’a ben changé / C’est dans nos mam’lons qu’i est percé.»

Autres temps, autres mœurs.

 

[Complément du 3 mai 2013]

Il existe nombre de chansons consacrées au hockey. Le jour même où l’Oreille tendue publiait le texte qui précède, Les jumeaux Tadros en lançaient une, «La game (go)». Sur YouTube, où on peut l’entendre, on affirme qu’il s’agit de «La chanson Officielle des séries éliminatoires de Hockey» (majuscules certifiées d’origine). On y trouve l’expression «le hockey tatoué su’l cœur». Le monde du hockey est petit.

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Références

Béland, Réal, «Hockey bottine», Réal Béland Live in Pologne, 4 minutes, disque audionumérique, 2007, étiquette Christal Musik CMCD9954.

Blaise, Clark, «I’m Dreaming of Rocket Richard», dans Tribal Justice, Toronto, General Publishing Co. Limited, coll. «New Press Canadian Classics», 1984, p. 63-72. Édition originale : 1974.

Chassay, Jean-François, les Taches solaires. Roman, Montréal, Boréal, 2006, 366 p. Ill.

Pozier, Bernard, Les poètes chanteront ce but, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Radar», 60, 1991, 84 p. Ill. Réédition : Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2004, 102 p.

Lourd bagage familial

Dans l’écosystème intergénérationnel de l’Oreille tendue, on entend souvent, du père vers ses fils, fuser l’interrogation suivante : «Est à droite ou à gauche ?»

Il s’agit évidemment de la forme ramassée de l’interrogation «La poignée que j’ai dans le dos, elle est à droite ou à gauche ?» (Réponse habituelle, et prévisible : «Au centre.»)

Avoir une poignée dans le dos, donc. Traduction libre : être pris pour une (bonne) poire, une valise.

Exemples journalistiques :

«Ne vous retournez pas trop vite, vous pourriez constater avec dépit que c’est bien une poignée que vous avez là dans le dos» (le Devoir, 14 novembre 2000);

«Heu, la poignée dans le dos, elle est à gauche ou à droite ?» (le Devoir, 7 avril 2003);

«Alors M. Galarneau, ma poignée dans le dos, elle est à gauche ou à droite ?» (le Devoir, 12 mai 2003)

Dans son Petit Robert (édition numérique de 2010), l’Oreille découvre la locution suivante : «Con comme une valise (sans poignée) : totalement idiot (en parlant d’une personne).» Serions-nous devant un cas de divergence transatlantique ?

 

[Complément du 3 octobre 2016]

L’expression est commune. On la retrouve même dans des publicités, par exemple celle-ci, tirée de la Presse+ du 1er octobre dernier.

Publicité de Nutri lait, la Presse+, 1er octobre 2016

 

[Complément du 8 juillet 2017]

Qui ne connaît pas le sens de l’expression avoir une poignée dans le dos aura du mal avec ce poème de Philippe Chagnon tiré de Arroser l’asphalte (2017) :

lorsque je passe près d’eux
de jeunes adolescents criant des insanités
recouvrent leur tête de murmures capuchonnés
s’aperçoivent que dans mon dos
tout près de la poignée
quelque chose est envisageable
comme la possibilité de se taire
avant qu’il ne soit trop tard (p. 60)

 

Référence

Chagnon, Philippe, Arroser l’asphalte. Poésie, Montréal, Del Busso éditeur, 2017, 91 p.

Autopromotion 058 ou l’internationale de la gougoune

François Hébert, De Mumbai à Madurai, 2013, couverture

En 2009, l’Oreille tendue publiait un petit livre rassemblant des souvenirs de Thaïlande, Bangkok. Notes de voyage. Sous le titre «retirez-les», on pouvait y lire ceci :

Bouddha et les divinités hindoues ont des relations complexes avec les pieds. Dans un temple, il n’est pas permis que les pieds des pèlerins et des touristes pointent vers leurs statues, et qui enfreint la règle se le fait rappeler sèchement, parfois à coups de bâtons. De même, doit s’y déchausser qui y entre, y compris bébé sur le dos de papa; encore une fois, on ne badine pas avec la règle.

Elle est également laïque, encore que d’application plus douce. Pas de chaussures dans certains espaces des maisons, quelques commerces, les orphelinats, du moins dans les zones fréquentées par les enfants, dans des musées. (Où l’on voit que la tolérance est laïque plus que religieuse.)

Voilà pourquoi le lacet n’est pas de mise, et la gougoune en plastique si populaire (p. 32).

Un écrivain ami de l’Oreille, François Hébert, vient de faire paraître De Mumbai à Madurai. L’énigme de l’arrivée et de l’après-midi, où il la cite (merci).

Selon Benoît Melançon dans Bangkok, le bouddhisme favoriserait l’usage de la gougoune, ou tong comme disent les Français de France, de préférence en plastique, plus facile à déchausser que nos baskets ou running shoes quand il faut entrer nu-pieds dans les temples, et meilleur marché bien entendu.

L’hindouisme aussi, ma foi.

Archéologues, la gougoune est l’artefact de demain ! (p. 32)

Suit un passage à propos des gougounes «fantômes» qui flottent «sur les eaux portuaires de Bombay» (p. 32-33).

Plus tard, à Madurai, Hébert se souviendra de ces «gougounes dépareillées» (p. 96) et il croisera des «stands à gougounes» (p. 80).

C’est dit : il existe bel et bien une internationale de la gougoune.

P.-S. — Le sous-titre de De Mumbai à Madurai provient, par V.S. Naipaul interposé, d’un tableau de Giorgio de Chirico, «L’énigme de l’arrivée et de l’après-midi». Pour François Hébert, ce titre est une «anacoluthe qui laisse rêveur» (p. 166). Ne s’agirait-il pas plutôt d’un zeugme ? Ça se discute.

 

[Complément du 10 janvier 2014]

Un nouveau livre de François Hébert a paru, Où aller (2013). Dans le poème «Quelque part dans le Sud» (p. 30), on lit :

de Macao à Higüey
dans les fossés bouts de tuyaux
sacs aux branches des buissons
plastiques et chromes de véhicules
gougounes dépareillées canettes défoncées
tessons de Crush ou de Fanta

D’autres «gougounes dépareillées».

 

[Complément du 4 janvier 2019]

Soit la réplique suivante, tirée de la nouvelle «Socorro», du recueil le Nombril de la lune, de Françoise Major, qui se déroule au Mexique : «Tu vas t’ennuyer des chanclazos» (p. 132). Chanclazos ? «Coup de gougoune [chancla], LA punition classique des mères latinas» (p. 271). Oui, l’internationale de la gougoune.

 

[Complément du 18 septembre 2019]

Rebelote chez François Hébert, dans le poème «Quoi voir au musée» de Des conditions s’appliquent (2019) :

6

voyons voir le fond des choses

les baleines crèvent
le corail s’éteint
le plancton se raréfie

les océans sont graisseux
de pétrole et de crèmes
pour la beauté

s’emplissent de contenants
cannettes
gougounes

soie dentaire
pour les requins (p. 26)

 

[Complément du 29 mai 2023]

Le plus récent roman de François Hébert, Frank va parler (2023), vient de paraître. Que peut-on y lire au sujet de la crise climatique ? Que «le climat, pour aller vite, se détériore sur la planète à cause des goons ou gorgones actuels de l’économie et de leurs sales gougounes dans les océans» (p. 109-110).

 

[Complément du 3 janvier 2024]

Pas de gougounes dans Si affinités, le recueil posthume de François Hébert, mais ceci : «gongs tongs poteries loteries soieries lanternes» («Dans le Chinatown de San Francisco», p. 65).

 

Références

Hébert, François, De Mumbai à Madurai. L’énigme de l’arrivée et de l’après-midi. Récit, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Romanichels», 2013, 127 p. Ill.

Hébert, François, Où aller, Montréal, l’Hexagone, coll. «L’appel des mots», 2013, 89 p.

Hébert, François, Des conditions s’appliquent. Poèmes, Montréal, L’Hexagone, 2019, 75 p.

Hébert, François, Frank va parler. Roman, Montréal, Leméac, 2023, 203 p.

Hébert, François, Si affinités. Poèmes, Montréal, L’Hexagone, 2023, 104 p. Postface de Nathalie Watteyne.

Major, Françoise, le Nombril de la lune. Nouvelles, Montréal, Le Cheval d’août, 2018, 276 p.

Melançon, Benoît, Bangkok. Notes de voyage, Montréal, Del Busso éditeur, coll. «Passeport», 2009, 62 p. Quinze photographies en noir et blanc. Édition numérique : Montréal, Numerik:)ivres et Del Busso éditeur, 2011.

Benoît Melançon, Bangkok, 2009, couverture

Une langue morte ?

Jean-François Cottier, Profession latiniste, 2008, couverture

Le 16 septembre, à l’émission Dessine-moi un dimanche de la radio de Radio-Canada, à laquelle l’Oreille collabore à l’occasion, on a pu entendre parler d’arguments ad populum et d’arguments ad misericordiam. Plus tôt cette année, il y avait été question de reductio ad Hitlerum et de reductio ad Prattum.

Le docteur Duguay du roman Arvida de Samuel Archibald «aimait saupoudrer du latin un peu partout dans ses phrases», par exemple felis concolor couguar (2011, p. 57). Six des chants poétiques de Toute l’œuvre incomplète de François Hébert comportent des mots dans cette langue : «C’est du latin, ici point incongru» (2010, p. 142).

Nulla dies sine linea, affirme un personnage de Vie et mort d’Anne-Sophie Bonenfant de François Blais (2009, p. 237). Dans Tiroir no 24 de Michael Delisle, c’est Ave Maria gratia plena qui remonte du passé (2010, p. 21). Hope, dans Tarmac de Nicolas Dickner, souffre d’amenorrhoea mysteriosa, «une “inexplicable absence de menstruation”» (2009, p. 98). Un personnage du Ciel de Bay City de Catherine Mavrikakis hurle, «en polonais et en latin, une variante de vade retro Satanas» (2008, p. 77).

L’Oreille tendue elle-même ne dédaigne pas, à l’occasion, de montrer son intérêt pour les langues anciennes. Aux Presses de l’Université de Montréal, elle a fondé une collection appelée «Socius» et elle a publié, de Jean-François Cottier, un petit ouvrage intitulé Profession latiniste. Il lui est aussi arrivé, à Dessine-moi un dimanche, de s’emmêler les pinceaux en essayant de montrer sa connaissance de certaines phrases usuelles dans la langue de Cicéron.

Dans la langue de tous les jours, du moins au Québec, la popularité de versus ne se dément pas.

Pourquoi aborder cette question aujourd’hui ? Parce que le Devoir des 15-16 septembre faisait paraître un cahier spécial «Éducation. Écoles privées». Publicité de l’Académie Sainte-Thérèse : «L’éducation totale. Quo non ascendet» (p. G3). Publicité du Collège de Montréal : «Programme de concentration artistique artis magia» (p. G10).

Qui a dit que le latin était une langue morte ?

P.-S. — À une époque, il y avait même du latin aux murs du vestiaire des Canadiens de Montréal (c’est du hockey). Ça ne paraît plus être le cas.

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p. Ill.

Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.

Cottier, Jean-François, Profession latiniste, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Profession», 2008, 66 p. Ill.

Delisle, Michael, Tiroir no 24, Montréal, Boréal, 2010, 126 p.

Dickner, Nicolas, Tarmac, Québec, Alto, 2009, 271 p. Ill.

Hébert, François, Toute l’œuvre incomplète, Montréal, l’Hexagone, coll. «Écritures», 2010, 154 p.

Mavrikakis, Catherine, le Ciel de Bay City, Montréal, Héliotrope, 2008, 291 p.