Surtout, ne jamais reculer

En France, dès sa nomination, Amélie Oudéa-Castéra, la ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse, des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques (salmigondis certifié d’origine), se met à raconter des bobards sur la scolarisation de ses enfants. On la contredit, arguments à l’appui; elle refuse de se rétracter. (Résumé ici.)

Dès 1776, dans son Essai sur le caractère et les mœurs des François comparés à ceux des Anglois, Jean-Jacques Rutlidge relevait ce trait de caractère (supposé national) :

Il y a en eux [les Français] une insensibilité qui rend vains tous les traits qu’on leur décoche, et qui fait qu’il est presque impossible de les confondre, quelque puissants que soient les antagonistes et les arguments : surprenez-les en mensonge, convainquez-les de bassesse, peignez-les au naturel, c’est peine perdue; ils se moquent des assertions et des preuves les mieux appuyées, et réfutent l’évidence même la plus claire qu’on a à leur opposer (p. 131)

Plus ça change, etc.

 

Référence

Essai sur le caractère et les mœurs des François comparés à ceux des Anglois, À Londres, 1776, 284 p. Paru anonymement. Texte de Jean-Jacques Rutlidge. Orthographe modernisée.

Le zeugme du dimanche matin et de Jacques Attali

«Je n’ai pas l’intention de jouer dans ce quinquennat plus de rôle que celui d’homme libre, qui dit la vérité à ses amis — donc à Emmanuel Macron — et à la cantonade.»

Jacques Attali, cité dans l’Express, 3436, semaine du 10 au 16 mai 2017, p. 62, propos recueillis par Éric Mandonnet.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

La culture épistolaire d’Emmanuel Macron

Dans son discours du 17 avril à Bercy, Emmanuel Macron, le candidat à l’élection présidentielle française, a cité — ô surprise ! — une lettre de Denis Diderot à Sophie Volland.

C’était à la 48e minute.

Sous les quolibets et les sifflets grivois de la foule — «Mais ne sifflez pas Diderot !» —, Macron évoque, «de mémoire», sourire aux lèvres, sous-entendus à la bouche, la «formidable» lettre du 10 juin 1759 :

Adieu, ma Sophie, bonsoir. Votre cœur ne vous dit-il pas que je suis ici [Diderot est chez Sophie Volland, qui n’y est pas] ? Voilà la première fois que j’écris dans les ténèbres. Cette situation devrait m’inspirer des choses bien tendres. Je n’en éprouve qu’une, c’est que je ne saurais sortir d’ici. L’espoir de vous voir un moment m’y retient, et je continue de vous parler, sans savoir si je forme des caractères. Partout où il n’y aura rien, lisez que je vous aime (éd. de 1997, p. 107).

Par souvenir épistolaire interposé, Emmanuel Macron dit à ses électeurs, même les absents («toutes celles et ceux qui ce soir ne sont pas là»), qu’il les aime.

Qui a dit que la culture de la lettre était morte ?

P.-S. — Merci à @PhDidi1713 pour le lien.

P.-P.-S. — Jeune homme, l’Oreille tendue avait cité cette lettre, mais pas dans un meeting politique (1996, p. 212).

 

[Complément du 7 mai 2017]

Dans un de ses deux discours de victoire, celui du Louvre, Emmanuel Macron a dit vouloir défendre «l’esprit des Lumières». Par lettre ?

 

[Complément du 10 juin 2020]

L’Oreille a repris ce texte, sous le titre «Emmanuel Macron, Diderot et Sophie Volland», dans le livre qu’elle a fait paraître au début de 2020, Nos Lumières.

 

[Complément du 27 juillet 2024]

Ceci, dans le quotidien le Monde du jour, sous le titre «Macron tente de renouer le fil avec ses députés» (p. 9) :

Faisant acte d’«humilité», aux dires de l’Élysée, Emmanuel Macron écoute aujourd’hui ses députés et s’excuse presque d’avoir été trop pris par sa fonction pour les recevoir plus souvent. Pour justifier ses absences, et parfois ses silences, «le chef de l’Etat évoque souvent la lettre de Diderot à Sophie Volland», dit-on à l’Élysée, celle où, lorsque la bougie s’éteint et que le philosophe écrit dans le noir, Diderot assure à sa bien-aimée : «Partout où il n’y aura rien, lisez que je vous aime.»

Ça devient une habitude.

 

Références

Diderot, Denis, Œuvres. Tome V. Correspondance, Paris, Robert Laffont, coll. «Bouquins», 1997, xxi/1468 p. Édition établie par Laurent Versini.

Melançon, Benoît, Diderot épistolier. Contribution à une poétique de la lettre familière au XVIIIe siècle, Montréal, Fides, 1996, viii/501 p. Préface de Roland Mortier. https://doi.org/1866/11382

Melançon, Benoît, Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 194 p.

Accouplements 61

«Pour la suite du monde», graffiti, Paris, 2016

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Au printemps 2012, des grèves étudiantes ont secoué le Québec. L’Oreille tendue avait alors rassemblé, sur Tumblr, les Pancartes de la GGI (grève générale illimitée). Elle leur a aussi consacré un texte ici.

Depuis le printemps 2016, des mouvements sociaux secouent la France. Un site Web rassemble «Les meilleurs graffitis du mouvement contre la Loi Travail».

Les rues parlent.