L’oreille tendue de… Pierre Nepveu

Pierre Nepveu, Géographies du pays proche, 2022, couverture

«Là où la politique n’est plus écoute, là où elle ne tend plus l’oreille aux complaintes humaines, à la douleur des corps et des esprits, aux drames des petites et grandes communautés, là où elle n’est plus que pouvoir et raison majoritaire, elle se condamne moralement elle-même.»

Pierre Nepveu, Géographies du pays proche. Poète et citoyen dans un Québec pluriel, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2022, 249 p., p. 102.

La réingénierie des Canadiens de Montréal ?

«Bons premiers en popularité», brasserie Dow, publicité

Ça ne va pas bien du tout pour les Canadiens de Montréal — c’est du hockey. Après avoir participé à la finale de la coupe Stanley en 2021, l’équipe est aujourd’hui 32e sur 32 équipes dans la Ligue nationale. Un changement radical s’impose. Comment l’appeler ?

Dans la Presse+ du 20 janvier, on évoquait les mots en r- : reconstruction / rééquipement (retool) / réinitialisation.

Dans celle de ce matin, on s’interroge au sujet du cerbère Carey Price : «À long terme, voudra-t-il vivre ce qui s’en vient, qu’il s’agisse d’une reconstruction, d’une réinitialisation ou bien de quelque chose d’autre que l’on pourrait décrire avec un mot encore plus compliqué ?»

À la fin des années 1990 et au début des années 2000, un «mot compliqué» aurait pu être utilisé : réingénierie.

Voilà ce que coécrivait l’Oreille tendue en 2004 dans le Dictionnaire québécois instantané :

Synonyme songé de réforme. En septembre 1997, un recteur, devenu ministre depuis, en conférence de presse, a annoncé son projet de «réingénierie pédagogique». «Vers une démocratie participative. Une réingénierie de nos institutions s’impose» (le Devoir, 15-16 février 2003). «”Réingénierie”, le nouveau buzz word de Jean Charest» (le Devoir, 2 mai 2003). «Les citoyens des régions du Québec seront parmi les premiers bénéficiaires de la réingénierie de l’État québécois» (un premier ministre du Québec, le Devoir, 4 juin 2003). «C’est sur la base de ces principes de gestion que nous inaugurerons six grands travaux qui seront le cœur de la réingénierie de l’État québécois» (le même premier ministre, la Presse, 5 juin 2003). «Marois lit “compressions” quand elle voit “réingénierie”» (le Devoir, 2 octobre 2003). «Pour qu’il y ait une réingénierie, encore faut-il qu’il y ait une ingénierie !» (le Devoir, 11-12 octobre 2003) «Réingénierie, rénovation et redéploiement de l’État québécois. Une démarche sous le joug du pragmatisme ou de l’idéologie ?» (le Devoir, 18 novembre 2003) (p. 190)

Le mot paraissait promis à un brillant avenir :

Appelé à prendre de l’expansion. «La “réingénierie” des sexes» (la Presse, 25 septembre 2003). «La réingénierie des prix Gémeaux» (Radio-Canada, 20 novembre 2003).

Cela ne s’est pas avéré.

D’ailleurs, des résistances se faisaient entendre dès 2003 :

«[Le] mot “réingénierie*” n’obtient pas l’imprimatur de l’OQLF [Office québécois de la langue française], celui-ci lui préférant l’expression “reconfiguration des processus”» (le Devoir, 8 décembre 2003).

Amateurs de hockey, faudrait-il saisir l’occasion ? Réingénierie ? Reconfiguration des processus ?

À vous la parole.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2019, couverture

Autopromotion 611

Titres de presse : «guerre» à la covid

Vers 15 h 40, l’Oreille tendue sera au microphone de Karyne Lefebvre, à l’émission le 15-18 de la radio de Radio-Canada, pour parler de la métaphore de l’heure en matière de lutte québécoise contre la covid : la guerre.

Il sera probablement question de ceci.

 

[Complément du jour]

On peut (ré)entendre l’entretien .

Quelques lectures :

Baillargeon, Stéphane, «En “guerre” contre la COVID ?», le Devoir, 18 juillet 2020.

Boutet, Josiane, «“Halte au feu.” Ordonner», dans le Pouvoir des mots. Nouvelle édition, Paris, La Dispute, 2016, 256 p., p. 177-185.

Pommier, Frédéric, «La militarite», dans Paroles, paroles. Formules de nos politiques, Paris, Seuil et France inter, 2012, 202 p., p. 132-136.

Tardif, Dominic, «Faut-il parler autrement du cancer ?», le Devoir, 27 octobre 2018.

Faire marche arrière

Titre de la Presse+ du 19 décembre 2021

Prenons une situation imaginaire. Vous faites partie d’un gouvernement appelé à gérer une pandémie. Vous présentez une série de mesures. Vous êtes obligé de changer d’avis. Comment désigner cela ?

En français de référence, on pourra dire que vous avez été forcé de rétropédaler.

Au Québec, il existe une autre possibilité : marcher sur la peinture. Exemple tiré de la Presse+ du 19 décembre 2021 : «On pourrait même dire [que François Legault] a maîtrisé l’art de marcher sur la peinture avec élégance. […] Cette semaine, voyant la dégradation de la situation sanitaire et la montée fulgurante du variant Omicron, M. Legault a été obligé de faire marche arrière.»

Pourquoi marcher sur la peinture ? Parce qu’on s’est peinturé dans le coin, bien sûr. Un ancien premier ministre du Canada ne s’en cachait nullement : «Quand on s’est peinturé dans le coin, on peut toujours marcher sur la peinture, disait Jean Chrétien» (le Devoir, 8-9 mai 2004, p. B3). Bref, il n’y a plus de choix : il faut revenir sur ses pas, au risque de se salir.

 

[Complément du 10 mars 2022]

«S’auto-peinturer dans le coin» (vu sur Twitter) paraît pléonastique.