Identités

Marco Micone, On ne naît pas Québécois, on le devient, 2021, couverture

Depuis quelques années, au Québec, il y aurait un combat entre les identitaires et les diversitaires, appelés aussi, pour rester dans le registre de l’insulte, multiculturalistes ou interculturalistes. Les supposés identitaires, ces défenseurs d’une identité nationale forte, n’aimeront pas le plus récent livre de Marco Micone, On ne naît pas Québécois, on le devient (2021), dont le titre est inspiré du Deuxième Sexe (1949) de Simone de Beauvoir («On ne naît pas femme : on le devient»). Les supposés diversitaires, fréquemment accusés de renier leur identité au bénéfice d’un métissage délétère, s’y reconnaîtront un peu plus, mais peut-être pas complètement.

On ne naît pas Québécois, on le devient reprend, en large part, des textes que Micone a publiés depuis plus de 25 ans. Une double ligne de force y est récurrente : l’identité est une dynamique, pas une essence; cette identité prend clairement racine dans la condition socio-économique des uns et des autres («Il y a […] plus de similitudes entre un immigrant et un Québécois de même condition sociale qu’entre un défavorisé et un privilégié se réclamant de la même culture», p. 21). Il faut remercier Micone de ne jamais isoler les questions identitaires des conditions concrètes de leur construction et de leur expression. On le voit dans ses propos sur le monde du travail, mais aussi dans ceux sur «le système scolaire le plus inégalitaire au Canada» (p. 43), le québécois.

Micone a ses têtes de Turc. Il refuse le discours de «tous ceux qui ont intérêt à changer des problèmes sociaux en problèmes culturels» (p. 71). Immigré au Québec à l’adolescence, il n’apprécie guère la Coalition avenir Québec, ce «parti xénosceptique» (p. 97), ni son chef, l’actuel premier ministre du Québec, François Legault. Il n’hésite jamais à pourfendre l’économie néolibérale : un texte s’intitule «Tous contre les pauvres» (p. 109). Une loi récente, promulguée par le gouvernement de la CAQ lui déplaît particulièrement : «Il faut être d’une grande naïveté pour croire que la Loi 21, sur la laïcité de l’État, existerait sans la présence des musulmans» (p. 91). Quand il s’en prend à «un tonitruant essayiste coopté par la droite xénophobe hexagonale» (p. 104), on voit sans mal de qui il s’agit.

L’auteur a également le sens de la formule. Prenons ces trois variations sur un même thème :

«“Moi, voleuse de job ? S’il était possible de voler des jobs, j’en aurais volé une meilleure !” répétait ma mère en revenant de l’usine» (p. 27);

«Le français n’est pas en péril. La complexité de la situation linguistique exige de ceux qui l’analysent qu’on tienne compte de multiples critères et, surtout, qu’on désethnicise enfin la notion de francophone. Il serait dommage que les “voleurs de jobs” d’après-guerre deviennent maintenant des “voleurs de langue”» (p. 60);

«Au fil du temps, les “voleurs de jobs” d’après-guerre se sont mués en “voleurs de langue”, avant d’être supplantés par les “voleurs de laïcité”» (p. 73).

Micone refuse aussi bien le «marécage identitaire» (p. 16), la «forteresse identitaire» (p. 84) et le «bavardage identitaire» (p. 112) que l’«idéologie multiculturaliste» (p. 25). Il aime déplacer les questions, les aborder d’un point de vue inédit, s’opposer à la vulgate. Voilà qui est salutaire.

Cela étant, on n’a pas à être d’accord avec toutes ses affirmations. Le «mouvement souverainiste» serait «irréversible» (p. 51) ? On peut légitimement penser que ce n’est pas le cas et avancer que le (second) référendum de 1995 a mis le dernier clou dans le cercueil de l’indépendantisme. Faut-il refuser l’obsession de plusieurs à utiliser le critère de la langue maternelle pour mesurer l’avancée ou le recul du français au Québec ? Sans aucun doute — l’Oreille tendue a défendu cette position dans un texte en 2017 —, mais il faudrait se retenir d’accuser d’«eugénisme linguistique» (p. 75) ceux qui le font. Est-il vraiment nécessaire d’attaquer «un neurochirurgien prostré devant le dogme néolibéral» (p. 105) en faisant un jeu de mots balourd sur son patronyme ? Laissons-le plutôt à son oubli.

Autrement : lisez — et appréciez, dans une registre différent, l’épilogue, «Le village vide» (p. 125-129).

P.-S.—«Au Québec, l’immigrant multilingue a besoin de parler français, mais il n’a pas besoin du français pour parler» (p. 57) : l’Oreille ne peut que se réjouir d’entendre là l’écho de la célèbre phrase d’André Belleau, «Nous n’avons pas besoin de parler français, nous avons besoin du français pour parler» (1983, p. 6).

 

Références

Belleau, André, «Langue et nationalisme», Liberté, 146 (25, 2), avril 1983, p. 2-9; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 88-92; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 115-123; repris, sous le titre «Langue et nationalisme», dans Francis Gingras (édit.), Miroir du français. Éléments pour une histoire culturelle de la langue française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Espace littéraire», 2014 (troisième édition), p. 425-429; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 113-121. https://id.erudit.org/iderudit/30467ac

Melançon, Benoît, «La langue de mes fils», l’Inconvénient, 70, automne 2017, p. 24-25. https://doi.org/1866/31978. Repris, partiellement, sous le titre «Comment naissent les langues de mes fils», le Devoir, 5 décembre 2017, p. A7. https://www.ledevoir.com/opinion/idees/514663/comment-naissent-les-langues-de-mes-fils?

Micone, Marco, On ne naît pas Québécois, on le devient, Montréal, Del Busso éditeur, 2021, 129 p.

La clinique des phrases (zz)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit la phrase suivante :

Du point de vue de notre avenir politique, deux leçons peuvent être tirées de l’actuelle pandémie. Nous avons pu constater que, presque partout, les populations plongées dans l’insécurité se sont tournées vers leur nation pour se protéger.

S’il est vrai que des institutions supra-étatiques, par exemple l’Union européenne, ont été critiquées pour leur (non-)gestion de la crise du coronavirus, l’Oreille tendue n’a vu nulle part d’appel à remplacer ces institutions par la «nation». Personne, il lui semble, n’a fait appel à la «nation québécoise», à la «nation canadienne», à la «nation française», etc.

Essayons ceci :

Du point de vue de notre avenir politique, deux leçons peuvent être tirées de l’actuelle pandémie. Nous avons pu constater que, presque partout, les populations plongées dans l’insécurité se sont tournées vers leur État pour se protéger.

À votre service.

Le Québec de François Legault en trois dates

École de rang de la région de Granby (début XXe siècle)

Le 11 décembre 2019, le premier ministre du Québec, François Legault, rend visite au gouverneur de la Californie, Gavin Newsom. «Vous êtes catholique, n’est-ce pas ? Moi aussi. Tous les Canadiens français le sont», déclare-t-il alors. Ce portrait ethnicoreligieux ne correspond pas à celui du Québec d’aujourd’hui, pour le dire avec retenue.

Le 24 mars 2020, durant sa conférence de presse quotidienne au sujet de la pandémie, s’agissant des enfants de parents séparés, le premier ministre a affirmé ceci : «Le parent qui est le plus sévère, c’est peut-être celui qui devrait garder les enfants. Il faut que, idéalement, l’enfant reste avec le même parent.» Les spécialistes du droit de la famille, pour ne parler que d’eux, ont mal réagi à ces propos témoignant d’une conception datée des relations familiales.

Hier, le 10 avril, François Legault, contre toute attente, a évoqué la possibilité que les écoles et les services de garde de la province rouvrent avant la date prévue du 4 mai. Cela a semé la consternation chez beaucoup. Il y a dans cette annonce le modèle implicite de l’école de quartier ou de village, celle à laquelle on se rend à pied; dans pareils cas, les risques de contamination seraient peut-être moins grands qu’ailleurs (encore que cela reste à démontrer). Or quiconque a pris le métro à Montréal en début de matinée et en après-midi sait que ce modèle de l’école de proximité n’a plus cours : les enfants et adolescents sont partout. Faut-il le rappeler ? C’est à Montréal que la crise sanitaire actuelle frappe le plus durement.

Il y a, dans certaines prises de position publiques du premier ministre, l’image d’un Québec révolu.

 

Illustration : Wikipédia